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Angle droit: Filmer une infraction

Protection des données versus infraction LCR

Dans un Arrêt publié (147 IV 16) le Tribunal fédéral a analysé les conditions permettant d’utiliser un enregistrement vidéo lors d’une infraction LCR.

L’affaire commence à Lausanne en mai 2018. Au volant de sa voiture, Alain tente de dépasser Bernard, qui conduit une trottinette électrique, dans une longue courbe à gauche. Alain fait usage du klaxon, sans raison et de manière abusive. Après son dépassement, alors que Bernard se trouve à la hauteur de l’arrière droit de la voiture et qu’aucun véhicule ne circule en sens inverse, Alain se rabat subitement à droite, avant de freiner. Bernard doit freiner énergiquement. Alain garde cette position quelque 1,5 seconde avant de se décaler vers sa gauche et de poursuivre sa route. Bernard fournit à la Justice un DVD comprenant la scène filmée au moyen d’une caméra GoPro fixée sur le guidon de son engin.

Une année plus tard, le Tribunal de police condamne Alain à 30 jours-amende, ainsi qu’à une amende de 3000 francs, pour violation simple et violation grave des règles de la circulation routière (selon l’art. 90 al. 1 et 2 LCR). En septembre 2019, la Cour d’appel pénale du Tribunal cantonal vaudois confirme le jugement. Alain fait appel au Tribunal fédéral.

Selon lui, l’enregistrement vidéo figurant au dossier a été obtenu de manière illégale, sans son consentement Il ne peut être exploité dans le cadre de la procédure pénale.

Les preuves récoltées d’une manière illicite par les autorités pénales ne sont en principe pas exploitables. En cas de violation de la loi fédérale sur la protection des données (LPD) les preuves sont illicites. Par contre, les preuves récoltées de manière licite par des particuliers sont exploitables sans restriction.

Le droit au respect de la sphère privée signifie par exemple, qu’un individu ne doit pas se sentir observé en permanence. Dès lors, les prises de vue, ou les enregistrements qui se font en continu sur l’ensemble d’un parcours effectué par le conducteur circulant sur la voie publique s’apparentent à un système de surveillance de l’espace public. Cela relève de la compétence de l’Etat.

Selon le Préposé fédéral à la protection des données (PFPDT), « les enregistrements effectués avec une caméra de bord ne devraient être utilisés ni comme divertissement, ni comme moyen de preuve en cas de délits mineurs, comme des manœuvres routières risquées, mais banales. L’atteinte au principe de transparence est alors trop manifeste pour justifier le recours aux données enregistrées. Il faut éviter de jouer à l’apprenti shérif. Les caméras de bord privées ne devraient donc pas être utilisées pour surveiller systématiquement les autres usagers de la route. »

Le TF note qu’un simple intérêt de « justicier » du conducteur muni d’une caméra de bord n’est pas suffisant pour justifier le déclenchement d’une procédure. La caméra GoPro fixée sur le guidon de la trottinette de Bernard enregistrait en continu ce qui entrait dans son champ de vision, sans discrimination, et n’était pas reconnaissable. Les prises de vue concernant sa plaque d’immatriculation constituent ainsi une atteinte à sa personnalité. Vu que le TF a considéré que la vidéo filmée par Bernard n’était pas conforme aux principes de la LPD, il a donc procédé à une pesée d’intérêts. Et compte tenu de la nature des infractions reprochées et du fait que le dépassement n’a pas occasionné d’accident ou de lésion, le TF n’a pas admis de motif justificatif et a donc qualifié les prises de vue recueillies par Bernard d’inexploitables.

Le TF a donc admis le recours et annulé le jugement.

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