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Avec la notion de «Corporate Governance», le service public pourrait être démantelé

L’Etat doit se contenter de payer mais ne rien avoir à dire

En divers endroits et à divers niveaux, les zélateurs de la libéralisation et les turbos de la privatisation ont trouvé une nouvelle manière de combattre cet Etat qu’ils haïssent: les pouvoirs publics devraient se défaire de leurs participations dans des institutions de service public et remettre leurs paquets d’actions à des entreprises déjà privatisées comme des compagnies de chemins de fer, de bus, des services de fourniture et d’élimination (énergies, eau, eaux usées, ordures, etc.) et à des établissements d’utilité publique.

Ombre sur une composition des Chemins de fer appenzellois en gare de St-Gall. Le canton possède 11% des actions – les vendre soulève des questions.

«L’Etat», quelle que soit la manière dont on comprend et interprète cette notion, a comme mission, selon nous, d’assurer la cohérence du vivre ensemble. En font partie des tâches centrales comme la formation, la fourniture de biens vitaux (énergie, alimentation, eau) et de services essentiels (transports, communication, collecte et traitement des ordures, finances publiques). Les pouvoirs publics – en Suisse le plus souvent les cantons et les communes – ont pris en charge eux-mêmes l’exécution de certaines de ces tâches; pour d’autres ils ont trouvé plus judicieux de créer des entreprises publiques ou d’économie mixte et d’y prendre des participations.

La Corporate Governance exige-t-elle une séparation ?

Depuis quelques années, les ténors de la libéralisation réclament de plus en plus que les pouvoirs publics se retirent des entreprises. Dans sa session de février, le Grand Conseil de St-Gall prendra connaissance du rapport «Public Corporate Governance» dans lequel le gouvernement cantonal propose la vente des participations de l’Etat et le retrait de ses représentants des conseils d’administration. En fait, le Conseil d’Etat a la compétence de vendre les actions, le Grand Conseil n’a rien à dire à ce sujet.

Le point «Entreprises de transport» nous intéresse particulièrement. Le gouvernement y explique «qu’une participation du canton dans les entreprises de transport n’est plus absolument nécessaire». «Les entreprises de transport sont des sociétés autonomes, gérées selon les critères de l’économie privée. Il n’y a aucune nécessité pour le canton d’exercer une influence sur la manière de produire les prestations. Un pilotage efficace est réalisé via la commande de ces prestations. Il faut dès lors examiner non seulement la représentation du canton dans l’organe stratégique de direction mais aussi, sur le principe, si une vente des parts dans les entreprises de transport ne serait pas possible et opportune.» On ne peut nier que la participation du canton n’est «pas absolument nécessaire». Mais qu’elle ne soit pas opportune est une autre question. Apparemment le gouvernement a déjà décidé de retirer ses représentants. En ce qui concerne la vente des actions, il doit vérifier si c’est vraiment possible. Mais le gouvernement ne dit rien de ce qu’il ambitionne ou vise par son retrait. Pour le Südostbahn, où le canton est le deuxième plus gros actionnaire (après la Confédération) avec 19,17% des actions, il affirme qu’il y a «en soi un conflit d’intérêts car pour le canton, en tant qu’actionnaire, c’est le succès de l’entreprise qui prime alors qu’en tant que commanditaire de prestations de transport public ce sont des prestations au prix le plus avantageux possible qui importent». La vente des actions est toutefois quasi impossible sur le plan juridique et il n’en retirerait rien. Il en va de même pour les Chemins de fer appenzellois où le canton détient 11% des actions.

Pour la troisième compagnie, le Frauenfeld-Wil, la situation est différente car les actions ne sont pas liées. Le Conseil d’Etat veut vendre ses 6%, si possible à un «organisme de droit public». La situation est encore différente avec Bus Ostschweiz. Le canton y est le plus gros actionnaire avec 41% des parts. Le transfert d’actions pourrait être refusé «entre autres pour barrer la route à des concurrents ou pour garder la société en tant qu’entreprise autonome sous contrôle du vote des actionnaires actuels. Compte tenu des circonstances, une vente des parts du canton doit toutefois être envisagée».

Une décision incompréhensible

Sans aucune nécessité, le canton de St-Gall veut se retirer des transports publics – ses motifs sont exclusivement idéologiques. A l’avenir il aura autant à payer mais il n’aura plus rien à dire. De ce point de vue, que reste-t-il d’une gestion responsable de l’Etat?
 
Peter Anliker

Corporate Governance – mot magique ou maléfice ?

Le mot anglais «Governance» signifie «conduite», «direction», «Corporate Governance» s’entend dès lors pour «gouvernance d’entreprise». Cette notion, bien que souvent traduite par «management», en est toutefois bien éloignée: le management s’applique à la direction opérationnelle, aux actes orientés vers le succès d’une entreprise à court et moyen terme; la gouvernance d’entreprise définit les principes et directives stratégiques d’ordre supérieur.

Cette notion, issue du monde des affaires où elle définit la conduite d’une entreprise tendant à maximiser les bénéfices, a été reprise dans des domaines apparentés comme la conduite d’une association et en politique aussi où la Corporate Governance définit les lignes directrices qui déterminent comment gérer une collectivité publique. Et ces lignes directrices entrainent aussi des mesures concrètes.

Comme il ressort de ce qui précède, il n’y a pas qu’une seule gouvernance d’entreprise et par conséquent pas non plus une manière unique de diriger une entreprise ou une collectivité. Et même le nouveau terme de Good Governance (bonne gouvernance) n’aide pas car la question reste : bonne pour qui?

Aujourd’hui, on entend généralement sous «bonne gouvernance» la recherche d’une création de valeur à long terme, par opposition aux gains à court terme. Les intérêts des divers intervenants doivent être défendus aussi équitablement que possible, une bonne collaboration doit régner entre la direction (niveau opérationnel) et les responsables de la surveillance (niveau stratégique). Et il ne devrait pas y avoir d’imbrications croisées entre les bénéficiaires de participations (ils ne doivent pas pouvoir se glisser de l’argent dans les poches les uns des autres).

En Suisse, la Fondation Ethos, active avant tout pour les caisses de pension, s’efforce d’observer une bonne gouvernance. L’initiative populaire «contre les rémunérations abusives», lancée par Thomas Minder, est souvent citée aussi comme l’exemple de ce que la Corporate Governance devrait améliorer dans le monde des entreprises.

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