Pollution
Malade à cause des déchets
J’ai rencontré Enzo Tosti en 2013, peu de temps avant qu’il ne tombe malade. Il travaillait comme assistant sanitaire et social au sein de l’Association italienne d’assistance aux personnes défavorisées d’Afragola, une commune de la banlieue de Naples. Il s’occupait de patients souffrant de problèmes psychiques. Il passait son temps libre à combattre les décharges illégales. Depuis que la revue médicale britannique «Lancet», en août 2004, avait publié une étude définissant la zone située entre les communes de la banlieue napolitaine d’Acerra, de Marigliano et de Nola comme «le triangle de la mort», en raison de la pollution causée par les déchets industriels éliminés de manière illégale, pas un jour passe sans que Enzo Tosti ne dénonce une décharge sauvage ou un incendie criminel.
Il m’a servi de guide pour que je découvre les dessous de la situation de crise extrême des décharges illégales de la région Campanie. Une crise connue dans le monde entier. Il fallait que je comprenne ce qui se cachait sous les incendies criminels de ces décharges illégales qui ont donné le nom de «Terre des feux» à cette banlieue napolitaine de 2 millions d’habitants. Il y avait de tout: pneus usés, bâches en plastique utilisées pour recouvrir les serres, panneaux d’amiante, lanières de cuir et autres déchets provenant de dizaines d’usines de chaussures et de textiles travaillant pour les grandes marques et aussi pour l’industrie de la contrefaçon. Enzo Tosti en était venu à la conclusion qu’il ne s’agissait que du «symptôme d’un système industriel malade».
Puis, en octobre 2015, Enzo Tosti est tombé malade. Après un test sanguin de routine et une série d’autres tests, il a été diagnostiqué avec un lymphome non hodgkinien. Il s’agit d’une tumeur rare. Malheureusement elle n’est pas rare dans les 52 communes de l’arrière-pays napolitain où les enquêtes ont permis d’établir que la camorra avait depuis des années illégalement éliminé des déchets industriels. Une étude de l’Institut italien supérieur de la santé (ISS) a confirmé une diffusion de cette tumeur rare supérieure de 50% à la moyenne nationale, en particulier chez les hommes. Pour d’autres maladies, les dégâts humains de la pollution provoquée par les décharges et leurs feux sont plus importants. Elle varie à plus de 62% de la moyenne nationale italienne pour le cancer des sarcomes des tissus mous, et à plus de 66% pour les leucémies myéloïdes. Dans le cas d’Enzo Tosti la maladie est latente, il sait qu’il a dans son corps une bombe à retardement.
Tosti s’est lui-même convaincu qu’il existe un lien entre la pollution et son cancer, c’est pourquoi il a décidé de faire des tests toxicologiques pour comprendre ce qu’il avait dans le sang. Il les a payé de sa poche: 800 euros au laboratoire Lg-Inca d’Oderzo, en Vénétie, spécialisé dans la recherche de métaux lourds et d’autres poisons, notamment les polychlorobiphényles (PCB), produits en Italie par l’usine Caffaro dans la province de Brescia, utilisés comme isolants et solvants et interdits depuis 1983. Les analyses ont rapporté des «valeurs critiques» d’hexachlorobiphényle 153, 138, 187 et 170, mais surtout d’hexachlorobenzène, que la littérature scientifique associe au risque de leucémie lymphatique. «Je me suis immédiatement demandé pourquoi ces substances avaient fini dans mon corps», raconte Enzo Tosti. La seule explication qui puisse être donnée c’est qu’il s’agit de poisons enfouis illégalement dans le sol, qui se retrouvent dans l’eau des puits utilisés pour l’irrigation et, de là, dans le cycle alimentaire.
Il est désormais prouvé que des tonnes de déchets toxiques ont été enterrées dans la «Terre des feux». L’association écologique italienne Legambiente a enregistré, à partir de 1991, 82 enquêtes judiciaires sur le trafic de déchets dans les décharges légales et illégales des sociétés napolitaines et de Caserte, avec 915 ordonnances de détention provisoire, 1’806 plaintes et 443 entreprises impliquées. La dernière opération judiciaire remonte à la fin du mois d’août de cette année, lorsque les drones de l’armée ont identifié, et permis de confisquer, une décharge illégale d’huiles usées.
Cependant, aucune étude n’a démontré la corrélation entre les tumeurs du sang et les poisons enfouis dans le sol ou diffusés dans l’atmosphère. À partir de là, Tosti et son épouse Gerardina Caruso ont eu l’idée d’étendre les analyses à tous les patients. Ils ont soumis leur idée à des associations locales et ont notamment réussi à impliquer Antonio Giordano, oncologue à la tête de l’Institut de recherche sur le cancer Sbarro de l’université de Philadelphie, aux États-Unis. Grâce au soutien de quelques fondations et à une campagne de souscriptions, 150’000 euros ont été collectés et le projet, nommé «Veritas», a pu démarrer. Une centaine de patients ont été sélectionnés. Les tests ont donné des résultats sans équivoques: métaux lourds, dioxines et PCB ont été détectés en grande quantité chez tous les patients.
Les résultats ont été analysés par l’équipe du professeur Giordano et ils seront publiés dans le «Journal of cellular physiology». Les conclusions sont pour l’heure top secret. Mais une hypothèse confirmerait que les poisons agissant sur le système immunitaire qui, au lieu de protéger le corps, se transformerait en agent pathogène. Pour cette raison, les promoteurs du projet «Veritas» demandent à l’État italien de donner la possibilité à tous les citoyens des zones polluées de fournir des tests toxicologiques gratuits et la possibilité d’un traitement de désintoxication.
Enzo Tosti a joué en quelque sorte le rôle de cobaye et le taux de poisons dans son sang a chuté de manière drastique.
Angelo Mastrandrea,
journaliste-reporter
Commentaires
Giuseppe Riccardi 21/11/2019 09:48:27
Tutto ciò che è successo nella terra dei fuochi è una tragedia nazionale,purtroppo anche
la gente lontana dalla zona disastrata si ammala di tumori,finchè esportano frutta e verdure contaminata in tutto il mondo la situazione a breve tempo non diventerá meglio.