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Angle droit

Touche pas à mon mégaphone

© Yvette W/Pixabay

En ces temps vertigineux de confinement, il peut paraître absurde d’évoquer une affaire de manifestation de rue, mais dans un Arrêt du 15 janvier 2020, le Tribunal fédéral s’est penché sur une question qui peut aussi intéresser les syndicats, à savoir la liberté d’information et d’expression et l’utilisation de mégaphones lors d’une manifestation.

En août 2018, une association antispéciste dépose une demande d’autorisation pour une manifestation de deux heures prévue un samedi en octobre. Une manifestation silencieuse, devant l’Alimentarium de Vevey, ponctuée de discours prononcés au mégaphone.

La manifestation a été autorisée, mais pas l’usage de mégaphones. L’association a recouru contre cette interdiction auprès du Tribunal cantonal, qui a rejeté le recours. Du point de vue du TC, le maintien de la tranquillité publique avait la priorité. L’interdiction de l’usage d’un mégaphone était proportionnelle, puisque cet instrument n’est pas indispensable pour diffuser un message. L’association a alors recouru au TF pour violation de sa liberté d’expression.

Le TF retient que les libertés d’opinion et d’information sont garanties par l’article 16 de la Constitution. Toute personne a le droit de former, d’exprimer et de répandre librement son opinion. Selon l’article 10 §1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme CEDH, la liberté d’expression comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées, sans ingérence d’autorités publiques.

La Constitution garantit aussi la liberté de réunion, toute personne ayant le droit d’organiser des réunions et d’y prendre part ou non. Sont considérées comme des réunions tout regroupement de personnes, dans le but de former ou d’exprimer mutuellement une opinion. L’article 11 § 1 de la CEDH offre des garanties comparables.

Des restrictions, prévues par la Loi, peuvent être appliquées à ces principes pour des motifs de sécurité nationale, de sûreté publique, de défense de l’ordre, de protection de la santé ou de la morale, ou des droits et libertés d’autrui. Voilà pour la théorie juridique.

Il existe en principe un droit conditionnel à l’usage du domaine public pour des manifestations avec appel au public. Mais cela exige qu’un ordre de priorité soit fixé entre les divers usagers et c’est la raison pour laquelle ces manifestations sont soumises à autorisation. L’autorité doit faire une pesée d’intérêts et examiner les conditions cadres, les éventuelles charges ainsi que les alternatives possibles. Les organisateurs ne peuvent pas exiger de pouvoir effectuer une manifestation à un endroit et à un moment déterminés. En revanche, ils ont droit à ce que l’effet d’appel au public qu’ils souhaitent soit pris en considération. L’autorité dispose ainsi d’une certaine liberté d’appréciation lorsqu’elle décide de l’octroi ou du refus d’une autorisation de manifester.

Dans son règlement général de police figurent les règles communales pour l’obtention de l’autorisation, la procédure à suivre pour les organisateurs, les conditions et précautions à prendre pour assurer le maintien de la sécurité, de la tranquillité et de l’ordre publics, etc… La tranquillité publique est l’un des biens expressément protégés par le Règlement. Mais il est douteux, selon le TF, que la tranquillité publique des promeneurs un samedi après-midi, sur un espace restreint et pendant une durée limitée, représente un intérêt public suffisant pour limiter une liberté fondamentale.

La liberté d’expression, comme les autres libertés fondamentales, n’a pas une valeur absolue. Une limitation peut être conforme au droit si elle est prévue par une loi, si elle poursuit un intérêt public et si elle est proportionnée au but légitime poursuivi. En matière de liberté d’expression, le principe de l’intérêt public se confond en pratique avec le souci de maintenir l’ordre public. La protection de la sécurité, de la tranquillité, de la morale et de la santé publique répond à un intérêt public. Mais cela ne signifie pas censurer ou réprimer l’expression des opinions subversives ou qui choquent les sentiments moraux, religieux, politiques de la population ou encore qui mettent en cause les institutions.

Sur ce principe de proportionnalité, le Tribunal cantonal avait considéré que les manifestants n’auraient pas été empêchés de faire passer leur message. Pas besoin d’un mégaphone pour cela. L’objectif pouvait être atteint en lisant le texte à haute voix ou en distribuant des tracts.

Là, le TF n’est pas d’accord. Le but de tranquillité publique pouvait être atteint sans interdire l’usage d’un mégaphone, prévu environ 5 minutes toutes les 15 minutes. Ce mode d’expression prend en compte la tranquillité publique, ce qui ne serait pas le cas de l’utilisation sans interruption d’un haut-parleur. Le rassemblement était prévu un samedi après-midi et non pas un dimanche ou un jour férié, soit à des moments où en général on n’a pas particulièrement besoin de repos.

Le Tribunal cantonal avait donc porté une atteinte disproportionnée aux libertés de réunion, d’opinion et d’information des manifestants de l’association recourante. Le recours a donc été admis et l’arrêt attaqué annulé.