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Violence dans les TP

Agression verbale ou physique ? Annoncez-la.

Une agression est une agression de trop. Le droit de travailler en sécurité sans devoir à penser à son intégrité physique ou psychique ou à sa santé est un droit inaliénable. Dessin : Tiemo Wydler.

Alors que les agressions, verbales ou physiques, envers le personnel des transports publics restent encore bien trop nombreuses, il est temps de rappeler que, depuis 2010, la loi prévoit la poursuite d’office lors d’infractions prévues par le Code pénal. Syndicats, entreprises, policiers et juges d’instruction doivent remettre la sécurité du personnel des transports publics au centre. Le point avec Gilbert D’Alessandro, président central de la VPT du SEV.

Es-tu préoccupé par la violence que subissent nos collègues dans les bus, les trams, les trains et au guichet notamment ?

Gilbert D’Alessandro : Tout à fait. Une agression est une agression de trop. C’est un principe de base que nous nous devons d’avoir une tolérance zéro en la matière. Être atteint dans son intégrité est souvent traumatisant. Il ne faut surtout pas banaliser une agression. La violence, qu’elle ait lieu dans le cadre d’une entreprise de transport concessionnée (ETC) ou aux CFF, est la même.

Violence verbale ou physique, agression, incivilité, intimidation, crachats, insultes, les formes sont multiples…

C’est vrai, et nous pouvons rajouter des formes plus sournoises comme les rappels incessants au respect de l’horaire qui, répétés durant toute la journée, sont une forme de violence.

Gilbert D’Alessandro, président central de la VPT du SEV. Photo Yves Sancey

Autre exemple, les travaux. Les entreprises devraient prendre encore plus de mesures en amont pour repérer avec les chauffeurs les lieux critiques qui vont créer des tensions si la route est rétrécie ou que des problèmes de croisement ou de priorité se posent.

As-tu des exemples concrets de mesures prises pour éviter ces sources de violence ?

À Fribourg, il y a une relativement bonne communication et coordination en amont entre la Ville et les chauffeurs pour anticiper ce genre de problèmes. Aux TPF, ils anticipent aussi des week-ends plus chargés dans les bus en mettant davantage de Securitas à disposition.

Aux tl, dans les services nocturnes (bus pyjama) du week-end, des agents de sécurité sont présents dans chaque bus. Cela coûte à l’entreprise, mais c’est très apprécié par les collègues. Il y a donc des bonnes pratiques, mais elles ne sont malheureusement pas toujours uniformes dans toutes les ETC et tous les cantons.

Mais est-ce suffisant ?

Non, bien sûr. En semaine également, à partir d’une certaine heure, les contrôleuses et contrôleurs de train ou de bus devraient être accompagné·es par la police ferroviaire. Cet accompagnement a un coût, bien sûr, mais ne pas le faire aussi. Les entreprises devraient se doter, comme les Securitrans aux CFF, d’un personnel de sécurité formé par elles qui connaît le métier particulier du transport.

Un·e collègue se fait insulter durant son service, que faire ?

Dans la plupart des bus, un autocollant indique que toute agression contre le personnel sera poursuivie d'office. Photo Yves Sancey

Il faut avertir immédiatement son entreprise (voir l’encadré). Toutes les ETC doivent avoir un document - un formulaire interne à signer - où on peut annoncer ce genre de chose. Celui des tpf est particulièrement bien fait et pourrait inspirer bien d’autres ETC. Il faut le faire à tous les coups. Même pour quelque chose qui peut paraître relativement banal. Il faut ensuite appeler son supérieur dans les 24 heures. Il peut demander que l’on sorte la cassette si le véhicule était filmé. L’entreprise va ensuite vous convoquer pour comprendre ce qui s’est passé. À la fin, c’est vous qui décidez si vous déposez une plainte ou pas. Si vous cochez la case « Je désire que l’entreprise dénonce l’infraction à l’autorité compétente en vertu de l’art. 59a de la loi fédérale sur le transport de voyageurs (LTV) », alors l’entreprise prend le relais et c’est poursuivi d’office. Certaines entreprises pensent néanmoins que c’est à elle de décider. Ce n’est pas le cas. On peut décider aussi de s’arrêter là. Cela a néanmoins permis de signaler l’incident. Sans trace, les agressions restent invisibles. Il faut les annoncer !

D’où vient cet article 59 LTV ?

Il est issu d’une longue bataille syndicale portée par les conducteurs de SEV eux-mêmes, notamment Johan Pain, et un long travail parlementaire porté par le Fribourgeois Erwin Jutzet. L’article 59 LTV le dit clairement depuis 2007 : « les infractions prévues par le Code pénal sont poursuivies d’office lorsqu’elles sont commises contre les personnes dans l’exercice de leurs fonctions pour les employés des entreprises qui disposent d’une concession ou d’une autorisation », ou un sous-traitant. Ce principe de poursuivre d’office est aussi reconnu à l’article 88 de la Loi sur les chemins de fer (LCdF) pour les employé·es d’entreprises ferroviaires concessionnaires (voir box ci-dessous). Avant, nos collègues devaient porter eux-mêmes la procédure et c’était très lourd en plus de l’agression.

Et en cas d’agression physique, que faire ?

Dans ce cas, il faut faire la même chose que pour une agression verbale, mais l’infraction sera de toute façon poursuivie d’office une fois qu’elle a été signalée à l’entreprise. Si l’on conduit, il faut stopper le véhicule ou arrêter de contrôler. Cela devrait être obligatoire pour toutes les entreprises d’équiper leurs véhicules d’un bouton d’urgence ou d’un téléphone portable avec un GPS. Aux tpf, cela s’appelle Houston.

L’année prochaine, nous fêterons les 25 ans des premières signatures de la Charte d’engagement pour une meilleure sécurité dans les transports publics. Peux-tu nous rappeler de quoi il s’agit ?

Les questions de violence subies par nos collègues ne sont, hélas pas nouvelles. Il y a 25 ans, GATU, l’ancêtre de la VPT, prenait ces questions à bras le corps et se battait pour que les violences soient poursuivies d’office. Par cette charte, directions, collaborateurs et syndicats s’engageaient à développer collectivement des mesures de prévention et d’accompagnement pour diminuer les risques de violence et d’agression et assurer le soutien nécessaire aux victimes. Ils s’engageaient notamment à mettre sur pied un groupe paritaire qui a pour but d’observer les faits d’agressivité et de violence, de les analyser et de faire des propositions aux directions.

Qu’est-il prévu pour la suite ?

Dans le cadre des festivités des 25 ans de la Charte l’année prochaine, nous allons faire une campagne pour remettre cette problématique au cœur de nos actions. Nous en profiterons pour réactiver ces commissions paritaires et en créer là où il n’y en a pas. À Fribourg, nous avions inclus également des représentants de la police et des écoles. Il faut réactiver cela.

Du pain sur la planche pour ces prochains mois…

…Oui ! Nous avons aussi un travail d’information à faire auprès de nos collègues pour qu’ils et elles sachent mieux quoi faire en cas d’agression. Et auprès des juges et policiers pour leur rappeler cet article de loi trop méconnu. Nous manquons de statistiques. L’information sur ces questions auprès des nouveaux conducteurs est trop rapide et il devrait y avoir davantage de formation à la désescalade. Des campagnes devaient être lancées auprès des usagers, des cyclistes et des automobilistes pour expliquer ce que c’est de conduire un bus ou un tram qui ne s’arrête pas comme un vélo. Alors oui, il nous reste du boulot !

Yves Sancey

Une agression c’est toujours une de trop

Un contrôleur giflé dans un train. Une conductrice de bus que l’on traite de connasse parce qu’une cliente se plaint qu’elle va rater sa correspondance avec le retard pris sur la route encombrée. Une assistante clientèle qui doit mettre à l’abri des usager·es terrorisés par une bande de jeunes fêtards qui se battent au couteau… Ces derniers mois, de plus en plus de nos collègues de la ZPV, LPV, AS et VPT sont confronté·es à des menaces et des agressions verbales et parfois physiques. La droite autoritaire n’a pas le monopole sur la question de la sécurité. Il est légitime que nos collègues refusent d’aller travailler la peur au ventre. La réponse à cette insécurité, pour les usager·es aussi, passe en grande partie par des moyens supplémentaires pour assurer une meilleure présence dans les trains, les bus et les gares.

Cette insécurité se lit dans les chiffres. Rien qu’au premier trimestre 2024, 400 voies de fait ont été signalées par le personnel aux CFF (cf. notre dernier numéro). Dans les statistiques criminelles de 2023, près de 700 délits poursuivis d’office conformément à l’article 285 du Code pénal ont été enregistrés dans les transports publics (TP), aux arrêts ou dans les gares. Ce n’est que la partie visible de l’iceberg des agressions. Ça suffit.

Une agression est une agression de trop. Le droit de travailler en sécurité sans devoir à penser à son intégrité physique ou psychique ou à sa santé est un droit inaliénable. C’est un besoin fondamental de tout être humain qui est au cœur des luttes syndicales depuis le 19e siècle.

Aujourd’hui, la loi sur le travail, la loi sur la durée du travail (Ltr et LDT), le CO et les CCT imposent aux employeurs de prévoir des mesures pour la protection de l’intégrité personnelle des collègues. Ils ont aussi le devoir de mettre en place des mesures de luttes contre la discrimination, le mobbing et le harcèlement sexuel.

Les entreprises ont signé en 2000 la Charte d’engagement pour une meilleure sécurité dans les TP (voir téléchargements/Downloads, en haut). Il est temps de la remettre à jour.

Dans le combat pour une meilleure protection de la santé et de la sécurité, la connaissance et le savoir-faire du personnel pour agir sur le terrain sont fondamentaux. Nos collègues sont bien souvent les plus à même de proposer des solutions pour un meilleur confort et une plus grande sûreté dans la conduite.

Face au sentiment de peur, de repli sur soi, de résignation et d’impuissance, il y a un puissant antidote : le syndicat qui crée du lien et des solidarités. Il se bat avec vous pour vos droits et votre sécurité.

Commentaire de Valérie Boillat, vice-présidente SEV

Que faire en cas d’agression ?

Le SEV a édité une brochure (voir téléchargements/Downloads, en haut) qui donne quelques conseils en cas d’agression. En résumé:

  • Garder son calme et se protéger. Pour le personnel de conduite, durant l’agression, actionner le bouton de sécurité permettant à la centrale d’enregistrer le son dans l’habitacle, de juger la gravité de la situation et de demander l’intervention de la police au besoin.
  • Contacter la police et éventuellement l’ambulance (144) pour se faire soigner.
  • Au besoin, demander une aide psychologique.
  • Informer sa hiérarchie et se faire relever si nécessaire. S’assurer d’avoir tous les éléments de preuve (témoins, vidéos, photos).
  • Téléphoner au supérieur hiérarchique pour obtenir la cassette de l’enregistrement.
  • Ne pas attendre 24 heures sinon, elle peut être effacée.
  • Remplir le formulaire interne à disposition pour signaler l’agression. L’entreprise a le devoir d’annoncer l’agression à la police et endosse les démarches.
  • Dans un délai de trois mois, une plainte pénale peut s’ajouter à la poursuite d’office ou une action civile.
  • Au besoin, contacter l’assistance judiciaire du SEV.

 

Loi sur le transport de voyageurs (LTV)

Art. 59 Poursuite d’office

Les infractions prévues par le code pénal sont poursuivies d’office lorsqu’elles sont commises contre les personnes suivantes dans l’exercice de leurs fonctions:

a. les employés des entreprises qui disposent d’une concession ou d’une autorisation selon les art. 6 à 8;

b. les personnes qui exécutent une tâche à la place d’un employé visé à la let. a.

 

Loi fédérale sur les chemins de fer (LCdF)

Art. 88 Poursuite d’office

Les actes punissables en vertu du code pénal sont poursuivis d’office lorsqu’ils sont commis contre des employés d’entreprises ferroviaires concessionnaires au sens de l’art. 5 dans l’exercice de leurs fonctions.