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Angle Droit

Gare aux cadeaux empoisonnés

Peter est propriétaire d’une entreprise de construction dans la région zurichoise, spécialisée dans la construction des voies ferrées. Cela lui arrive donc régulièrement de répondre aux mises au concours des CFF pour des chantiers de grande envergure. Peter pense qu’il est de bon aloi de soigner activement les contacts avec Kurt, le responsable aux CFF de l’adjudication des mandats pour ces chantiers.

Il envisage d’inviter Kurt chaque semaine à partager un fin menu de midi dans son restaurant gastro préféré. Il explique à Kurt sa généreuse démarche en lui affirmant qu’à ses yeux, il est le «chef de projet le plus sympathique des CFF». Kurt se sent flatté et enthousiasmé à l’idée d’accepter l’invitation de Peter: aller diner chaque semaine dans son restaurant préféré! Mais en même temps il a quelques craintes: le fait d’accepter cette offre pourrait-il s’avérer punissable?

Selon l’article 322quater CPS, la corruption est punissable lorsqu’un employé «aura sollicité, se sera fait promettre ou aura accepté un avantage indu, en sa faveur ou en celle d’un tiers, pour l’exécution ou l’omission d’un acte en relation avec son activité officielle et qui soit contraire à ses devoirs ou dépende de son pouvoir d’appréciation».

En tant que responsable de projet aux CFF, Kurt est au bénéfice d’un contrat de droit public. Il exerce ainsi une fonction publique et est considéré comme fonctionnaire aux yeux de la loi. En tant que tel il est directement concerné par l’article de loi précité.

L’action incriminable résiderait donc dans le fait que Kurt accepte un avantage indu pour l’exécution d’un acte qui serait contraire à ses devoirs ou dépendrait de son pouvoir d’appréciation. Les repas et boissons généreusement proposés à profusion par Peter sont clairement interdits par le règlement de service (chiffre 41 de la CCT CFF). Et une invitation hebdomadaire ne peut pas être considérée comme un «avantage de faible importance qui serait conforme aux usages sociaux» (article 322decies CPS). Ceci d’autant plus qu’il ne s’agit pas d’un repas dans une cafétéria mais dans un restaurant gastro dont on peut imaginer le prix.

Par contre, on peut se demander si le lien avec l’activité professionnelle de Kurt est suffi-samment établi. En premier lieu, Peter propose ses invitations parce qu’à ses yeux, Kurt est le chef de projet le plus sympathique des CFF. Pour qu’il y ait corruption, il faut que l’avantage soit proposé en échange d’un certain comportement. Mais Peter fait sa proposition sans lien direct avec un projet spécifique ni l’adjudication d’un mandat concret. Donc une condamnation pour corruption n’entre pas en ligne de compte dans le cas présent.

Toutefois ceci n’exclut pas tout risque de poursuites pénales: encore faut-il examiner si Kurt, en acceptant cette offre, ne profite pas d’un avantage au sens de l’article 322sexies CPS. Si c’est le cas, il est tout de même punissable. Contrairement au premier article de loi cité, l’acceptation d’un avantage ne se réfère pas à l’exécution d’un acte lié à un projet précis, resp. à l’octroi d’un mandat concret. En d’autres mots, Peter n’a nullement besoin d’inviter Kurt à diner pour bénéficier de l’adjudication d’un mandat spécifique. Toutefois l’avantage est bien suffisant pour agir sur Kurt et sa manière d’exécuter son travail. Car il est évident que des repas réguliers offerts sont tout à fait aptes à modifier l’humeur de Kurt à l’avantage de Peter, ce qui pourrait très subtilement l’influencer dans l’adjudication des mandats. Si Kurt accepte l’offre de Peter, il devient dès lors punissable selon l’article 322sexies CPS pour acceptation d’un avantage.

En conclusion, on peut dire que les cadeaux et autres avantages proposés, s’ils dépassent clairement le cadre de la faible importance, doivent être refusés. En cas de doute, le team d’assistance judiciaire du SEV se tient volontiers à disposition.

Service d’assistance judiciaire du SEV