Andrea Hämmerle prend congé de la politique des transports (en tant qu’actif)
«Diviser la concession grandes lignes serait fatal»
Après cinq ans au Conseil d’administration des CFF, Andrea Hämmerle cède son siège de représentant du personnel à Fabio Pedrina. Nous avons parlé avec le spécialiste en politique des transports des Grisons des défis actuels des CFF.
Comment peut-on représenter les intérêts des travailleuses et des travailleurs dans un organe stratégique?
Les thèmes qui concernent le personnel au Conseil d’administration (CA) sont par exemple le mandat de négociation de la CCT, les ateliers de Bellinzone ou maintenant également Railfit 20/30. Lors du traitement de tels thèmes, j’ai bien sûr défendu les intérêts des travailleuses et travailleurs avec Daniel Trolliet puisque nous sommes tous deux les représentants du personnel.
Les deux représentants du personnel ne sont-ils pas parfois un peu perdus face aux sept autres membres du CA?
La composition du CA CFF est très bien faite. Il y règne un excellent climat de discussion même en cas de divergence d’opinion. Il arrive très rarement que nous devions procéder au vote et que quelqu’un se trouve en position de minorité. Nous essayons plutôt de trouver un consensus sans votation.
Pour le programme d’économies de Railfit, le SEV s’inquiète car trop de postes sont supprimés et la pression augmente parmi le personnel, ce qui est néfaste pour sa santé. Est-ce que ces préoccupations sont prises suffisamment au sérieux au CA?
J’ai l’impression que le CA est conscient de l’importance du personnel, en particulier en ce qui concerne la satisfaction du personnel. Un personnel insatisfait et frustré nuit à une entreprise et à son développement.
Avec Railfit, le SEV craint en outre que trop de suppressions de postes contribue à une baisse de la qualité des prestations, ce qui peut aussi porter atteinte à la sécurité. Ces préoccupations sont-elles également prises au sérieux au CA?
Dans toute l’entreprise, tout le monde est conscient que la sécurité est de première priorité. La plus grande marque de qualité des chemins de fer est sa sécurité. Si le rail devient peu sûr, il perd un de ses principaux atouts. Personne ne veut dès lors faire des suppressions quelles qu’elles soient au niveau de la sécurité.
Qu’en est-il de la qualité des prestations?
Toute la société ainsi que les prestations sont dans une période d’incroyables changements. La numérisation nous pousse à utiliser internet et les smartphones et à négliger les contacts personnels. S’il n’y a plus du tout de contacts personnels nulle part il n’y a plus de plaisir non plus, mais il sera alors trop tard. Nous sommes en pleine escalade vers le sommet. Les contacts humains entre le personnel et la clientèle sont très importants, que ce soit dans les trains ou aux guichets. Mais si chaque jour, seule une poignée de gens passe au guichet, il devient très difficile de maintenir cette prestation.
Le salaire du CEO, qui gagne un million, n’est-il pas disproportionné en comparaison avec les 450 000 francs d’un Conseiller fédéral?
Je vous demande un peu de compréhension: il y a certains thèmes dont nous discutons au CA mais que je ne peux pas rapporter vers l’extérieur. Les salaires des cadres font partie de ces thèmes. Cependant, on en discute au CA, très intensivement.
Faut-il définir une limite salariale supérieure au niveau politique pour les managers des CFF?
Les instances politiques doivent décider s’il faut ou non une limite salariale supérieure. Le Conseil fédéral a décidé que les bonus ne doivent pas dépasser la moitié du salaire fixe. Cette prescription doit être appliquée d’ici 2018. Il y a en outre au Parlement diverses motions sur ce thème. Si certaines d’entre elles sont acceptées, les CFF les appliqueront bien entendu.
Que penses-tu du dessein de l’Office fédéral des transports (OFT) de mettre au concours dès la fin de l’année les concessions de trafic grandes lignes qui arriveront à échéance et de les répartir si possible sur plusieurs entreprises?
Ce serait une erreur fatale car cela mettrait en péril les avantages du système suisse du chemin de fer intégré. Si la concession pour le trafic grandes lignes n’est plus donnée à une entreprise en un seul lot, celle-ci ne pourra plus exploiter le trafic grandes lignes d’une seule et même main. C’est pourtant ce qu’il y a de plus efficace et ce système a fait ses preuves. Une répartition serait néfaste pour la clientèle et pour les chemins de fer.
Une division du trafic grandes lignes aurait aussi des répercussions pour le personnel…
Oui, les conséquences seraient énormes: les CFF devraient transférer plus de mille collaboratrices et collaborateurs à une autre entreprise, par exemple au BLS ou au SOB. Ces entreprises ont d’autres CCT. De plus, un tel changement aurait des répercussions graves sur les caisses de pensions. Les CFF devraient en outre remettre du matériel roulant à la concurrence. A quelles conditions? rien n’est moins clair. Ce serait vraiment une grave crise à tous les niveaux. S’y ajoutent les questions stratégiques: je doute qu’un BLS par exemple soit en mesure de fournir du trafic grandes lignes dans de grandes proportions. Sauf si les CFF lui en fournissent les moyens, mais alors l’exercice n’aurait plus aucun sens. Finalement, le danger est grand que des entreprises ferroviaires étrangères importantes mettent le pied dans la porte en profitant d’un petit chemin de fer suisse pour s’introduire dans notre marché. Cela pourrait intéresser la SNCF, la Deutsche Bahn, Trenitalia ou qui sais-je encore. Une répartition de la concession pour le trafic grandes lignes serait fatale à tous les points de vue. Et pour les CFF, c’est son existence qui serait mise en danger à moyen ou long terme.
Est-ce qu’il faut vraiment avoir en Suisse plus de concurrence dans le domaine du rail, comme le déclare l’OFT dans sa stratégie pour les transports publics d’ici 2030?
Les CFF sont aujourd’hui bien assez en situation de concurrence. Il y a d’une part la concurrence entre les compagnies de chemin de fer. Le BLS et le SOB ne représentent pas un grand danger, par contre les grands prestataires étrangers peuvent être une menace. Cette concurrence se joue jusqu’ici principalement dans le domaine du fret. D’autre part, il y a cette concurrence que nous connaissons tous: celle de la route. Dans la situation de concurrence actuelle, vouloir organiser encore une mini-concurrence entre les compagnies de chemins de fer suisses, de mon point de vue, ne mènerait à rien.
Que penses-tu de l’externalisation de CFF Cargo hors des CFF, idée qui est discutée actuellement au Parlement?
Je trouve que cela serait faux! Les CFF sont un chemin de fer intégré, comme déjà dit. Cela signifie que le trafic voyageurs, le trafic régional des voyageurs, le trafic marchandises, l’infrastructure et l’immobilier sont sous le même toit et qu’ils sont dirigés d’une seule et même main. C’est la seule possibilité d’exploiter de manière efficace notre système ferroviaire car ce dernier est extrêmement complexe étant donné qu’il s’agit d’un trafic mixte. Si maintenant on élimine un élément, rien ne nous empêchera de continuer à en éliminer d’autres. Par exemple l’immobilier, qui se trouve être notre meilleure vache à lait. Certains n’attendent que cela... Mais cela signifierait la fin des CFF sous la forme que nous connaissons et estimons.
Es-tu pour ou contre les bus longue distance en Suisse?
Je trouve qu’une telle évolution ne va pas dans le bon sens mais c’est difficile de la freiner. En complément de l’offre que l’on a déjà avec le train et le car postal, quelques petites ouvertures pourraient éventuellement entrer en ligne de compte. Mais ce n’est pas une bonne idée d’octroyer d’autres concessions parallèlement aux lignes de trains et des cars postaux. En tous les cas, le plus important est que les bus longue distance soient contraints de se conformer aux mêmes exigences que celles qui sont imposées aux CFF et à CarPostal: je veux parler de la CCT, de l’accès pour les handicapés, de la sécurité, de la durée du travail, etc.
Les bus longue distance représentent-ils vraiment un danger?
Oui, c’est une menace de dumping qui plane avant tout: au niveau des prix, des salaires, des prestations sociales, et pour la protection de l’environnement.
Venons-en au transfert du trafic de la route au rail, pour lequel tu t’es toujours beaucoup engagé: est-ce que les CFF font ce qu’il faut pour cela? Ils ont fermé en 2016 d’autres points de desserte du trafic par wagons complets…
Le transfert du trafic est une histoire politique. Il ne s’agit pas juste de dire aux CFF: vous devez tout mettre en oeuvre pour le transfert du trafic et payer ce qu’il faut pour cela. Les autorités politiques exigent des CFF qu’ils ne fassent pas trop de déficit et qu’ils fournissent les prestations qu’elles leur commandent et qu’elles financent. Si ces mêmes autorités politiques veulent le transfert du trafic elles doivent payer pour cela, en donnant des mandats de prestations dans ce sens, etc.
Est-ce que les autorités politiques en font assez pour le transfert du trafic?
L’article de la Constitution pour le transfert du trafic concerne seulement le trafic marchandises à travers les Alpes. Les autorités politiques n’est font pas suffisamment à ce niveau car l’objectif de la Constitution et ce qui est concrétisé par la loi, soit 650 000 camions par année, n’est pas encore atteint. Par contre on constate qu’en comparaison avec l’étranger, la politique de transfert du trafic a déjà rencontré un grand succès. Il n’y a aucun autre axe de transit en Europe qui compte une aussi grande part de trafic marchandises par le rail.
Après ton départ du CA CFF, auras-tu encore des mandats liés à la politique des transports ou bien est-ce que tu quittes définitivement ce domaine?
Je quitte la politique des transports en tant qu’actif, oui. Mais je vais continuer à m’y intéresser.
Que dis-tu au personnel des CFF en guise de message d’adieu?
Durant les cinq années de mon mandat au CA CFF, je suis souvent allé à des assemblées de sections SEV en tant qu’orateur. Ceci a confirmé ce que je savais déjà: le personnel CFF est incroyablement motivé et s’identifie beaucoup à l’entreprise, même s’il se fâche parfois contre la direction. Je le vois aussi presque chaque fois que je prends le train. Je trouve ça bien, c’est vraiment super! J’espère vraiment que les choses resteront ainsi et que les CFF existeront encore dans 20, 30 ou 50 ans. On ne sait pas comment les choses vont tourner. Cela dépend du politique, du management, du personnel et de la clientèle.
Markus Fischer/Murielle Vianin
Andrea Hämmerle (70) a grandi au château de Rietberg à Pratval (GR) où Jörg Jenatsch a occis en 1621 son ancêtre Pompejus Planta. Il a étudié à Bâle, a fait partie du mouvement de Mai 68, et de 1979 à 1986 il a été secrétaire syndical à l’union syndicale des Grisons. Dès 1983 il exploite la ferme familiale à Rietberg en y introduisant la culture biologique. Depuis il a transmis sa ferme à son fils. Il se lance dans la politique en 1970 au conseil communal de Pratval où il reste jusqu’en 1973, puis de 1987 à 1992 il est président du PS Grisons, de 1989 à 1994 il siège au Grand Conseil des Grisons et de 1991 à 2011 au Conseil national, dans le cadre duquel il participe entre autres à la Commission des transports et des télécommunications et à la Délégation de surveillance de la NLFA, qu’il préside toutes deux durant plusieurs années. Il s’est engagé en particulier pour le transfert du trafic de la route au rail, a contribué au lancement de l’Initiative des Alpes, et défend également la culture biologique. De 2001 à 2008 il a présidé le parc national. Depuis 2012 il représente les intérêts du personnel au Conseil d’administration des CFF. Il est marié et a trois enfants, dont un enfant recueilli, et cinq petits enfants. Il voyage à travers le monde depuis 1966. Il en a écrit un livre intitulé «Ein Bündner erfährt die Welt» (Un Grison découvre le monde), édition Somedia, 2013.
Commentaires
Reinhard Grünenfelder 19/04/2017 19:08:19
Diese neue Aufteilung des Fernverkehr hätte für das ganze SBB Personal schwerwiegende unvorhersehbare folgen.
Diesem Vorhaben der BLS. und SOB muss ganz klar durch den SEV. und aber auch durch die Politiker Einhalt geboten werden. So kann man klar nicht mit der SBB und auch mit dem Personal Umgehen. Wir müssen uns einfach zur Wehr setzen.
Gruss Reinhard Grünenfelder
Reymond 21/04/2017 16:47:03
Et sur un avis aussi pertinent, est-ce que le SEV envisage déjà comment préserver d'une telle catastrophe, quel devant va-t-elle prendre et mettre en place un plan d'action à long terme pour quand la bataille devra s'engager, car c'est juste une question de temps, tout le peuple suisse aura déjà en tête une réponse. Prévenir c'est mieux que guérir !