Non au deuxième tube routier au Gothard

Ce deuxième tube est un vrai leurre

Pour la votation sur la réfection du tunnel du Gothard une seule chose est sûre: le tunnel routier doit être assaini. Toute autre assertion déclenche une multitude d’avis différents et d’allégations ainsi que beaucoup d’insécurité et de déclarations contradictoires. Pour un citoyen ou une citoyenne responsable, la seule solution est donc de refuser le projet mis en vote en mentionnant : « Retour à l’expéditeur ! » Car ce qui nous est présenté comme une simple adaptation de la loi n’est rien d’autre qu’une tentative d’imposer dans la Constitution ce deuxième tunnel routier qui a déjà été plusieurs fois refusé.

La construction d’un deuxième tube au Gothard transformerait la Suisse en couloir infernal avec un déferlement de camions en transit sur la route au lieu du rail.

Officiellement, la question posée dans le cadre de la votation est la suivante : est-on pour ou contre la « modification du 26 septembre 2014 de la Loi fédérale sur le transit routier dans la région alpine (LTRA) (réfection du tunnel routier du Gothard) ». Si l’on avait voulu présenter les choses franchement, n’aurait-on pas demandé : « Est-ce qu’un deuxième tube routier doit être percé au Gothard ? » Mais parce que les citoyens suisses ont déjà par trois fois refusé ce tunnel, on essaie de le camoufler dans une phrase un peu compliquée.

Les questions primordiales n’ont pas de réponse

La réfection du tunnel routier du Gothard mentionnée dans la question soumise au vote est vraiment nécessaire. Mais les autres questions à se poser sont : quand ? comment ? et à quel prix ? Ce sont des questions centrales qui devraient être clarifiées avant la votation. Or cela n’est pas le cas. Non seulement des études présentant toutes sortes de résultats différents sont publiées par divers groupes d’intérêts mais en plus, l’Office fédéral des routes (OFROU) présente régulièrement des chiffres et des faits nouveaux.

La partie la plus triste de cette comédie dramatique est jouée par la conseillère fédérale Doris Leuthard : elle était tout d’abord une adversaire du deuxième tube puis elle a soudain changé de camp et la construction du deuxième tube est devenue partie intégrante d’un projet de prestige personnel. Son parti, le PDC, est d’un avis partagé, c’est pourquoi elle a repoussé la votation après les élections fédérales. Mais ceci pourrait avoir un effet boomerang : les incohérences du projet de votation et la faiblesse des arguments en faveur d’un deuxième tube apparaissent de plus en plus clairement au fil des discussions. Afin de dissimuler ces lacunes, on présume que la conseillère fédérale a même interdit d’émettre des avis contraires : le CEO des CFF ne doit pas être obligatoirement pour le deuxième tube, mais il ne peut pas non plus dire quoi que ce soit contre. Parmi le Conseil d’administration, seul le président a le droit de parler, tous les autres membres ont l’interdiction de prendre la parole à ce sujet (le représentant du personnel au Conseil d’administration des CFF Andrea Hämmerle a cependant bravé cette interdiction et s’est exprimé contre la construction d’un deuxième tube, cf. interview). Parmi les femmes PDC, Doris Leuthard est entre-temps parvenue à obtenir un consentement en faveur du deuxième tube.

Sécurité aussi sans tunnel, lien assuré avec le Tessin

Deux arguments sont surtout mis en avant dans la campagne de votation en faveur d’un deuxième tube : la sécurité, et le lien entre le Tessin et le reste de la Suisse. Toutefois, les deux arguments sont discutables : la sécurité serait certes un peu meilleure à l’intérieur du tunnel si le trafic s’effectuait dans un seul sens et sur une seule voie ; mais seulement si le système de compte-gouttes est conservé (ce qui est prévu) et si le trafic n’augmente pas. Une augmentation du trafic est cependant plus que probable puisqu’il y aura extension de la capacité de la route, et c’est là que le bât blesse ! Selon une étude du bureau de prévention des accidents, une augmentation du trafic de seulement 3% annulerait tout effet positif sur la sécurité. S’il s’agit véritablement d’augmenter la sécurité, nous pouvons trouver des solutions meilleures, plus efficaces, plus rapides et moins chères (voir encadré).

D’autre part, ce n’est pas vrai que le Tessin serait coupé des autres cantons suisses sans le deuxième tube : la liaison sera en tout temps assurée que l’on soit à pied, avec un véhicule privé (vélo, moto, voiture), en camion, en train naturellement, ou même en avion. Grâce au ferroutage, le lien à travers le Gothard sera même meilleur qu’avec un chantier pour la construction d’un deuxième tube et une fermeture du tunnel routier qui pourrait être malgré tout nécessaire (nous avons présenté le ferroutage de manière détaillée dans le contact.sev 20/2015.) Pour couronner le tout, l’OFROU trouve soudain que la réfection d’urgence qui entraînerait la fermeture du tunnel n’est plus nécessaire … Pourrait-on parler d’une planification bâclée et peu crédible ?

Torpillage des NLFA

Il y a peu à redire contre la réfection du tunnel routier. Mais on ne peut tout de même pas en profiter pour étendre en catimini la capacité de la route, portant ainsi atteinte à la Constitution. Et cette capacité ne pourra qu’augmenter avec un tunnel supplémentaire. Les partisans du deuxième tube le savent très bien, par exemple le conseiller national Ulrich Giezendanner qui, tel le prophète, annonce qu’avec la construction d’un deuxième tube, les bouchons d’été au Gothard seront bientôt de l’histoire ancienne. Comment cela serait-il possible sans augmenter la capacité? Un deuxième tube attirerait indubitablement plus de trafic, et cela occasionnerait de nouveaux bouchons au Gothard mais aussi ailleurs sur le réseau routier suisse. (La fin des bouchons au Gothard a déjà été promise avant l’ouverture du tunnel autoroutier en 1980. Nous savons ce que cela a donné.)

Pollution programmée

Le Tessin souffre aujourd’hui déjà du trafic à moteur, surtout celui des poids-lourds. La pollution de l’air atteint parfois des seuils critiques et le bruit réduit la qualité de vie le long de l’autoroute. Le transfert du trafic est la bonne solution. Grâce au nouveau tunnel ferroviaire, le Tessin se rapproche de la Suisse allemande. Il s’agit de saisir cette chance de développer le tourisme et d’éviter de détériorer les lieux par une recrudescence des nuisances.

Réserve de capacité

Le tunnel actuel a une capacité de 1000 unités de voitures particulières par heure, un camion équivalant à 3 unités. Le système de compte-gouttes laisse passer au maximum 150 camions par heure et par sens de traversée, la capacité est donc de 5000 camions par jour. En 2014, il y a eu en moyenne 2257 camions par jour, le tunnel n’est dès lors pas complètement saturé aujourd’hui. La situation est problématique à certaines périodes comme les départs en vacances. Mais sur certaines autoroutes de Suisse et dans quelques agglomérations, le problème est bien pire qu’au Gothard. Si l’on réfléchit à long terme, pourquoi donner l’argent au Gothard alors qu’il y a d’autres endroits où des problèmes plus grands ne trouvent pas de solution par manque de moyens financiers ?

Le deuxième tube existe déjà

Le tunnel de base du Gothard sera inauguré en juin, le deuxième tube existe donc déjà ! On se réjouit beaucoup de l’ouverture de ce tunnel, la ruée sur le voyage inaugural le montre. Il s’agit donc de garder son sang-froid: seul un Non le 28 février nous donnera une vraie chance d’apprécier les répercussions du nouveau tunnel ferroviaire et de planifier sérieusement la réfection du tunnel routier. Le projet soumis au vote n’a pas été préparé avec sérieux. Les cheminots aussi se réjouissent de l’ouverture du tunnel des NLFA, c’est pourquoi ils disent Non au deuxième tube routier !

Peter Anliker/mv

Commentaire: Inutile, malhonnête et trop cher

Il est rare qu’un projet aussi peu mûr arrive en votation. On parle ici du changement de loi qui permettrait la construction d’un second tube routier au Gothard. Et ce, bien qu’il soit déjà passé dans les deux chambres. On discute sur des bases qui changent toujours, et l’estimation des coûts y relative est également très variable.

Alors que la discussion s’oriente sur le sens et la constitutionnalité d’un tel projet, des idées quelque peu fantasques arrivent maintenant dans la presse, comme par exemple le réseau souterrain de transports marchandises. Ou encore l’idée assez ancienne d’utiliser une route alternative prévoyant un tunnel bien plus court, partant d’en dessus d’Hospental.

Ce sont bien sûr des réflexions intéressantes d’ingénieurs. Mais le fait est que le tunnel de base ferroviaire entrera en service dans quelques mois. Même l’Office fédéral des routes a estimé que l’on pouvait encore attendre un peu pour assainir le tunnel routier. En utilisant intelligemment ce temps à disposition pour accumuler des infos sur différentes expériences. Pour une politique de transport efficace. Et pour un projet d’assainissement conforme à la Constitution, sans augmentation de la capacité.

Le SEV s’est prononcé pour cette option. C’est aussi la position de la base du syndicat. Ce mardi 2 février, de nombreux membres ont pris part à une grande distribution de flyers dans les gares, pour appeler à voter non.

Peter Anliker/Hes

En faveur de la Léventine et du canton d’Uri

Dire non, pour maintenir la ligne de faîte du Gothard

Avec l’ouverture programmée du tunnel de base du Gothard, on se demande toujours ce qu’il va advenir de la ligne de faîte. Bien que peu de monde ait pour l’instant proposé sérieusement la fermeture de cette ligne, il y a bien sûr des préoccupations en particulier au niveau des coûts pour l’entretien des voies et l’exploitation de cette ligne de montagne. Le numéro de janvier de la « Schweizer Eisenbahn-Revue » cite l’Office fédéral des transports qui fait la sourde oreille à toute demande de subvention des CFF. La baisse du trafic consécutive à l’ouverture du tunnel de base fera inévitablement décroître les recettes de la ligne de faîte augmentant de fait la pression pour une maîtrise des coûts. Il va de soi qu’une hausse du trafic, et donc des recettes, feraient disparaître ces inquiétudes. Une hausse des recettes par exemple grâce à la mise en place du transfert des marchandises de la route au rail, avec le recours nécessaire à la ligne de montagne. Pas besoin d’être prophète pour imaginer que l’augmentation de l’infrastructure routière favoriserait d’autres réflexions et la ligne de faîte en ferait les frais. Pas besoin non plus d’être magicien pour imaginer quelles en seraient les conséquences pour la Léventine et la vallée de la Reuss, notamment pour l’emploi dépendant de l’exploitation de la ligne de faîte. Voici donc, si besoin, un ultérieur argument pour glisser dans les urnes un NON au 2e tube autoroutier.

Gi/Hes

Trois questions à Andrea Hämmerle

«Un projet anticonstitutionnel»

Andrea Hämmerle n’accepte pas de se taire. Des membres SEV ont critiqué le fait qu’il ne se déclare pas contre le deuxième tube. Il ne peut laisser passer cela.

«Le peuple suisse a investi 20 milliards dans les NLFA. Un investissement supplémentaire au Gothard ferait concurrence aux NLFA et réduirait leur rentabilité.»
contact.sev : Andrea Hämmerle, tu fais certainement partie des opposants au deuxième tube au Gothard, en tant que cofondateur de l’Initiative des Alpes. Qu’est-ce qui t’a décidé à t’exprimer malgré les directives très claires appelant les membres du Conseil d’administration des CFF à ne pas s’exprimer à ce sujet ?

Andrea Hämmerle : Je suis cofondateur de l’Initiative des Alpes, ancien conseiller national et politicien spécialisé dans les transports. Je suis maintenant un citoyen et c’est en tant que citoyen que je m’exprime à propos du deuxième tube. Non pas en tant que membre du Conseil d’administration des CFF. C’est le président qui est responsable de communiquer les décisions du Conseil d’administration.

Quel est selon toi l’argument le plus flagrant en défaveur de ce projet ?

Il y a trois arguments principaux: premièrement, le deuxième tube augmente considérablement les capacités, et cela va à l’encontre de la Constitution. C’est une autre question de savoir si on en a l’utilité, ce qui est certain c’est que ça augmente la capacité. Deuxièmement, la Suisse a investi 20 milliards dans la NLFA. Et un investissement supplémentaire au Gothard concurrencerait la ligne ferroviaire et diminuerait sa rentabilité. Troisièmementla pression pour ouvrir le deuxième tube après l’assainissement serait énorme, au niveau politique, aussi bien en Suisse qu’en Europe.

Pour toi, en tant que Grison, il serait pourtant mieux que tous les camions ne passent pas par le San Bernardino !

Je pense en premier lieu au niveau national et à long terme, et non pas dans une optique uniquement grisonne. Je suis aussi convaincu que le canton des Grisons ne profiterait pas, à long terme, d’un nouveau tube au Gothard.

pan./Hes

Andrea Hämmerle, 69 ans, est juriste et paysan bio et vit à Pratval (GR). De 1991 à 2011, il a été conseiller national. Il est membre du SEV et représentant du personnel au Conseil d’administration des CFF.

D’autres solutions, meilleures qu’un deuxième tube, pour assurer la sécurité dans le tunnel du Gothard

Rappelons-nous le terrible incendie du 24 octobre 2001 dans le tunnel du Gothard qui s’est soldé par le décès de 11 personnes. Cette catastrophe sert aujourd’hui d’argument en faveur du deuxième tube. Avec raison ?

L’accident a eu lieu à cause d’un chauffeur de camion en état d’ébriété qui a touché la paroi du tunnel et s’est retrouvé sur la voie opposée, où un camionneur qui venait en sens inverse a tenté de l’éviter, causant « seulement » une collision latérale. Suite à cela, l’un des deux réservoirs des camions s’est fendu et l’essence s’est répandue sur la route. Puis un câble électrique endommagé a causé un court-circuit et le mélange de diesel et de gaz dans l’air a pris feu. Les deux camions se sont trouvés pris dans les flammes et le feu s’est très vite répandu à sept autres véhicules. Le manque d’air a conduit au décès du chauffeur qui a causé l’accident et de dix autres automobilistes. Bref, la catastrophe n’a pas été causée par une collision frontale ! Il en va de même pour l’incendie de 1999 dans le tunnel des Tauern en Autriche : dans ce tunnel de 6,5 km de long, qui à l’époque ne comptait qu’un seul tube, roulait très tôt le matin un camionneur très fatigué. Il a foncé dans une colonne de voitures arrêtées et les voitures se sont embouties les unes les autres, puis un autre camion a été touché, qui transportait un chargement de sprays hautement explosifs. Douze personnes ont perdu la vie dans ce terrible incendie.

Les accidents graves ne sont pas à exclure même s’il n’y a pas de trafic en sens inverse. Citons l’exemple du drame de Sierre où, dans un tunnel à quatre voies et deux tubes séparés, 28 passagers d’un bus ont péri en mars 2012.On n’a jamais pu déterminer les causes mais l’aire de stationnement d’urgence (dans une légère courbe le bus a heurté la paroi de droite du tunnel puis percuté le mur terminant l’aire de stationnement) et la grande vitesse du bus (presque 100 km/h) ont fortement contribué à la violence de l’impact. Dans le tunnel du Mont-Blanc entre la France et l’Italie, un camion a aussi pris feu en 1999, causant 41 morts. Concernant l’accident du Gothard, la mauvaise aération a été critiquée, ainsi que le nombre insuffisant de niches anti-incendies et une organisation catastrophique des compagnies de secours.

La plupart des automobilistes ont peur surtout des collisions frontales et des incendies lorsqu’ils traversent un tunnel, mais ce ne sont cependant pas les seuls dangers. L’argument principal des partisans du 2e tube, la sécurité, n’est pas recevable. Certes, un deuxième tube dans lequel le trafic serait limité à une seule voie (comme cela est prévu pour l’instant) augmenterait un peu la sécurité. Mais le tunnel routier du Gothard est aujourd’hui déjà beaucoup plus sûr qu’à l’époque de l’incendie. L’aération a été améliorée, les véhicules en surchauffe sont détectés automatiquement par des « portails thermiques » devant les deux entrées du tunnel et ils sont interceptés (le portail sud est en fonction depuis 2013 et le portail nord depuis quelques semaines). Le système de compte-gouttes règle le nombre de camions qui empruntent le tunnel. Grâce à ces mesures, le nombre d’accidents dans le tunnel a pu être maintenu en dessous de la dizaine alors qu’auparavant, on dénombrait jusqu’à 68 accidents. Et heureusement, pour la plupart des accidents, il ne s’agit que de tôles froissées.

Le système de compte-gouttes contribue fortement à limiter les accidents car le plus grand des dangers reste la densité du trafic. En d’autres termes: moins de trafic = moins d’accidents … quoi de plus logique ! Le mieux pour gagner en sécurité serait donc de réaliser un transfert conséquent du trafic de la route au rail. Aujourd’hui déjà, certains chargements dangereux par exemple ne peuvent être transportés à travers les Alpes que par le rail, ceci aussi bien au Gothard que dans les autres voies transalpines, et les choses doivent rester ainsi, entre autres pour éviter un retour vers la route, comme l’écrit le Conseil fédéral. On pourrait encore augmenter la sécurité en installant une glissière de sécurité centrale escamotable, en introduisant (et en la rendant obligatoire à l’avenir) une meilleure base technique des véhicules comme par exemple les systèmes d’alerte de franchissement de ligne et de distance, et en limitant la vitesse (aujourd’hui la limite est fixée à 80 km/h, avec une vitesse maximale de 60 km/h la traversée serait prolongée de 4 minutes). Par contre, un nouveau tunnel aurait des répercussions négatives sur la sécurité car une augmentation du trafic signifierait plus d’accidents. Et comme le deuxième tunnel ne serait pas utilisé à double sens seulement durant l’assainissement mais aussi lors de perturbations de l’exploitation ou en cas d’accident dans un des tubes, des collisions seraient envisageables car les automobilistes seraient surpris de voir tout à coup des voitures venir en sens inverse.

pan./mv