La professeure bâloise Elisabeth Zemp Stutz est spécialiste de la thématique des genres et de la santé

«C’est la société qui est gagnante»

Elisabeth Zemp Stutz étudie les différences entre les genres sur le plan de la santé, entre autres dans le monde du travail. Elle est l’oratrice principale de la journée de formation 2015 de la commission des femmes SEV.

contact.sev: Si l’on commence par Adam et Eve, quelle est la différence entre l’homme et la femme?

Elisabeth Zemp Stutz: Pour ce qui est d’Adam et Eve, la différence réside dans la séduction.

C’est donc la première distribution des rôles: la femme en tant que séductrice incitatrice au péché?

Effectivement, nous avons là déjà une catégorisation des sexes puisque l’acte qui mène à l’exclusion du Paradis est attribué à Eve. Mais revenons à la différence: elle existe à plusieurs niveaux. Sur le plan génétique et biologique, et pour le développement corporel et les fonctions de l’organisme, comme par exemple le métabolisme ou le système hormonal. Il y a aussi beaucoup de différences qui ont leurs origines dans les comportements culturels et sociétaux, au niveau de l’interprétation, de la manière d’agir ou du choix de la profession par exemple. Souvent, les deux domaines sont étroitement liés et difficilement dissociables.

Est-ce que les différences entre hommes et femmes se sont amenuisées, entre autres grâce à certaines mesures politiques?

Les mesures politiques ont pour objectif d’obtenir une égalité entre les hommes et les femmes. Dans le domaine de la santé, les possibilités d’appliquer cette égalité sont plus limitées. Par exemple, on ne peut pas répartir équitablement une grossesse entre l’homme et la femme... Mais les chances doivent être les mêmes au niveau de la santé, et ceci peut être obtenu par des mesures politiques.

A quel endroit peut-on agir?

La différence la plus connue réside dans l’espérance de vie. Elle a passé durant le dernier siècle de 50 à 80 ans, et de manière plus prononcée pour les femmes des pays occidentaux que pour les hommes. Dans les années 90, la différence en Suisse entre les hommes et les femmes était de sept ans. Les hommes vivaient à l’époque sept ans de moins que les femmes. Cette différence a diminué. Depuis 2012, la différence est de quatre ans. Ceci à cause d’une amélioration chez les hommes, un recul des suicides et des décès suite à un problème cardio-vasculaire ou un cancer. Dans ces domaines, il est possible de réduire les différences les plus importantes liées à des décès prématurés. Chose plus difficile dans d’autres secteurs comme celui de la reproduction. Les grossesses non désirées, les problèmes en relation avec la menstruation, les maladies gynécologiques cancéreuses jouent un rôle important déjà dans la vie des femmes jeunes. De manière analogue, des problèmes spécifiques au sexe apparaissent aussi plus tard dans la vie des hommes, c’est le cas du cancer de la prostate par exemple.

Quelles mesures s’imposent pour la santé d’un point de vue général?

Beaucoup de ces maladies dépendent du mode de vie et apparaissent à la longue, aussi bien les risques que les bienfaits agissent sur la durée. Voici quelques exemples classiques: faire du sport et manger sainement agissent positivement, fumer et être en surpoids font pencher la balance du mauvais côté ...

Où faut-il mettre l’accent?

On devrait si possible tenir compte des situations quotidiennes réelles et invoquer des motifs qui accrochent. Ceux-ci ne sont pas les mêmes pour les hommes que pour les femmes. Par exemple dans la prévention anti-tabac, il y a des projets qui visent les femmes en prévenant que la fumée est mauvaise pour la peau, jouant ainsi sur l’importance du paraître. Et dans les derniers projets de prévention de la ligue pulmonaire qui sont ciblés sur les jeunes hommes en apprentissage, le message est que les habits d’un « vrai mec » ne doivent pas empester la cigarette mais plutôt diffuser les bonnes odeurs de la testostérone (qui sait à quoi cela peut bien ressembler...).

Mais faut-il vraiment faire tout cela pour encore augmenter l’espérance de vie?

Drôle de question! Que craignez-vous exactement?

Ce que je veux dire, c’est: laissez-moi mourir d’une crise cardiaque plutôt que d’attraper un cancer vingt ans plus tard...

Une « belle mort » d’une crise cardiaque est un mythe! Dans les faits, on trimballe bien souvent avec soi des problèmes de cœur pendant des années... Pour ce qui est maintenant de la question: veut-on rallonger l’espérance de vie? Durant les 50 dernières années, nous n’avons pas seulement gagné des années de vie mais aussi des années de vie en relativement bonne santé. La durée de maladie et de souffrance des gens s’est réduite à une petite période en fin de vie. Donc les efforts en matière de prévention n’apportent pas seulement un plus dans la longueur de la vie, mais aussi dans la qualité de vie.

Parlons maintenant de l’environnement professionnel. Les transports publics sont surtout un monde d’hommes. Faut-il dans ces conditions prendre garde tout particulièrement aux femmes?

Il y a des dispositions de protection qui doivent être respectées lorsque des femmes effectuent des métiers typiquement masculins, dans le domaine de la reproduction mais aussi concernant les charges physiques. Il y a en outre au quotidien diverses choses dont il faut avoir conscience, dans la préparation du travail et la manière de s’occuper des gens. On connaît par exemple des institutions de désintoxication qui ne tiennent pas suffisamment compte des besoins des femmes car elles constituent moins de 20 à 30 % des pensionnaires. Il faudrait avoir là peut-être des règles de conduite.

Dans les transports publics, la mécanicienne de locomotives est un cas typique. Auparavant, la profession comportait beaucoup de tâches très physiques, maintenant ce n’est plus le cas. Malgré cela, la part des femmes est encore très restreinte.

La charge physique ne devrait plus être, de nos jours, un critère d’exclusion. Entre-temps les femmes peuvent apporter les connaissances et aptitudes nécessaires. Il faut laisser l’évolution se faire et signaler, dans les profils professionnels et les annonces, que la conduite d’une locomotive peut aussi être effectuée par une femme.

Vous avez toujours fait remarquer que les médicaments n’agissent pas de même sur les femmes que sur les hommes. Je pourrais m’imaginer que la protection de la santé n’est pas non plus la même pour les hommes et pour les femmes à la place de travail, même s’il s’agit de la même profession.

La différence existe pour les médicaments parce que les substances sont censées agir sur le métabolisme. Et les processus sont différents chez les hommes ou chez les femmes. Pour le travail ce n’est pas le même problème: il s’agit là de protéger le personnel contre toutes substances et influences nocives, hommes et femmes confondus. L’important est de savoir si une femme doit être particulièrement protégée, peut-être parce qu’elle est enceinte ou que sa fertilité pourrait être atteinte. Pour cela, il faut des dispositions spéciales de protection.

A qui votre activité de prévention de la santé profite-elle le plus: aux personnes isolées, à la société ou à l’économie?

Idéalement à tout le monde!

Et dans les faits?

(elle hésite) Nous travaillons dans la santé publique, « Public Health ». Nous essayons d’agir par des programmes, la législation et des conditions cadres. Dans cette perspective, ce sont moins les personnes isolées que la population qui profitent de nos activités. C’est la société qui est gagnante. Mais cela concerne naturellement aussi les individus. Nous savons que les pays les plus riches investissent beaucoup plus dans les systèmes de santé que la plupart des pays du Sud, et que cela se répercute drastiquement sur chacune et chacun; un exemple en est le taux de mortalité en couches.

Votre champ d’activité est extrêmement large: cela va de l’allaitement durant les premiers mois de vie jusqu’à la médication en cas de maladies cardio-vasculaires. Où va votre préférence?

Mon intérêt principal est la question de savoir comment le genre agit sur la santé, et d’y répondre pour toutes les tranches d’âge et dans tous les domaines de la santé.

Où est-il urgent d’agir?

En Suisse?

Partout. Vous avez fait des recherches sur l’allaitement dans les pays du Sud, les choses sont sûrement différentes chez nous...

La conciliation entre l’allaitement et le travail est un thème d’actualité chez nous également. Plus de femmes travaillent aujourd’hui que par le passé, elles effectuent des taux plus élevés et retournent plus tôt au travail après une grossesse. Le temps de congé payé est de 14 semaines et les femmes ne peuvent pas travailler sans donner leur accord pendant les 16 semaines suivant l’accouchement, mais la plupart d’entre elles n’ont pas fini d’allaiter à ce moment-là. En Suisse, la durée d’allaitement moyenne en 2014 était de 31 semaines. La Société suisse de pédiatrie recommande 4 à 6 mois de pur allaitement. Les femmes doivent être informées qu’elles ont le droit d’allaiter au travail et sur le temps de travail payé. Quelque 10 % seulement des mères qui sont retournées au travail disent qu’elles ont été informées de leurs droits par leur employeur, et un tiers a pu disposer d’un local pour allaiter au travail.

Vous êtes l’oratrice principale lors de la journée de formation des femmes du SEV. Quel sera votre message à cette occasion?

D’une manière générale, je veux encourager les femmes. Elles doivent oser travailler dans des domaines où elles sont minoritaires, et elles doivent s’engager et peut-être aussi s’organiser afin d’obtenir là des adaptations et des améliorations. Les thèmes centraux seront en outre la protection de la santé dans la classe d’âge moyenne, avec un accent sur les maladies cardiaques et la prévoyance contre le cancer, et le fait que cela vaut la peine de se protéger de manière durable.

Interview: Peter Moor/mv

Bio

Age: 60 ans

Famille: mariée, une fille

Carrière: études de médecine, FMH dans la prévention de la santé, une année de spécialisation à Boston; professeure à la faculté de médecine à l’Université de Bâle. Depuis sa thèse, intérêt prononcé pour la question de la femme et la santé, ensuite élargissement du secteur d’activités aux genres et la santé, ce qui constitue actuellement le thème principal de ses travaux. Depuis 2009, engagée à l’Institut suisse de santé tropicale et publique à Bâle, cheffe du groupe de travail sur les genres et la santé.

Loisirs: activités en plein air, lecture, expositions, musique.