Reportage sur la ligne du Gothard où les cheminots s’emploient à atténuer les désagréments provoqués par l’éboulement qui a provoqué l’interruption de la ligne ferroviaire
Extraordinairement normal
Suite à un éboulement, la ligne ferroviaire du Gothard a subi d’importants dégâts. Le trafic est interrompu durant un mois, peut-être plus. Malgré tout, les usagers des transports publics ne sont pas privés de la colonne vertébrale qui irrigue le réseau ferroviaire tessinois. Les correspondances entre les trains et les bus de remplacement fonctionnent à merveille - grâce à l’engagement des cheminots – comme nous avons pu le vérifier sur le terrain.
A Bellinzone, un ICN en provenance de Chiasso déverse sur le quai 1 quelques centaines de personnes, des valises, des poussettes et tutti quanti. Quelques minutes plus tard, suite aux annonces diffusées par les haut-parleurs, tout le monde monte sur l’Interregio quelques minutes après l’horaire prévu de 13.06. Sur le train, deux jeunes contrôleuses comptent les voyageurs, tandis que le haut-parleur répète les informations déjà données en gare de Bellinzone : interruption de trafic, le train circule jusqu’à Göschenen, ensuite transbordement sur les bus navettes. Des voyageurs demandent quelques informations complémentaires aux deux contrôleuses, d’autres (peu nombreux) se plaignent mais rien de particulier à signaler.
En bus de Göschenen à Flüelen
Emilio Grassi, assistant régional des agents de train, nous explique comment les tours de service des contrôleurs ont été modifiés suite à cette interruption de trafic. Le personnel tessinois accompagne les trains jusqu’à Göschenen où là il prête main forte aux voyageurs qui doivent transborder dans des bus qui vont jusqu’à Flüelen, ensuite ces mêmes agents accompagnent les mêmes trains qui retournent vers le sud. Au nord de Flüelen, c’est l’inverse qui se passe, les agents en provenance du nord retournent direction nord.
Un deuxième tunnel routier sous le Gothard ? Une contradiction !
D’ici la fin du mois, le Conseil fédéral devrait publier sa position sur un possible doublement du tunnel routier du Gothard.
Les récentes déclarations sur le sujet du ministre de l’économie Schneider-Amman ont ragaillardi les partisans du doublement du tunnel routier qui ne tiennent plus en place et ne ratent pas une occasion pour relancer leur projet. Cette fois-ci ils n’y vont pas de main morte. Ainsi, même cet éboulement est utilisé comme prétexte pour relancer l’idée de doubler le tunnel routier du Gothard. Pourtant, personne n’est en mesure d’en prouver le besoin, car tout le monde affirme que doubler le tunnel ne signifie pas vouloir augmenter la capacité…
Mais alors, comment le tunnel supplémentaire pourrait contribuer à diminuer le nombre de poids lourds provoqué par une interruption de la ligne ferroviaire ?
Si jamais, le tunnel qu’il nous faut est de nature bien différente, dès 2016 il réduira drastiquement les voies d’accès à travers les régions alpines, toujours plus surchargées de camions. Il s’agira alors d’utiliser au mieux le transfert de la route au rail.
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Göschenen. Tout le monde descend ! La gare n’est évidemment pas dimensionnée pour accueillir autant de monde, notamment avec ses escaliers raides qui ont été équipés pour la circonstance de rampes métalliques pour les poussettes et les trolleys, ce qui provoque des bouchons. Mais avec l’aide du personnel des CFF venu en renfort, tout se passe dans l’ordre et de manière somme tout rapide. Douze minutes après l’arrivée du train, le septième bus avec les derniers voyageurs quitte la place de la gare. Le trajet en bus dure à peine une vingtaine de minutes. Depuis l’autoroute, de l’autre côté de la vallée, l’on aperçoit les traces de l’éboulement. Nous avons une pensée pour notre collègue dont le corps n’a pu être extrait de la boue que trois jours après l’accident et nous n’osons pas imaginer ce qui aurait pu se passer si un train voyageurs passait par là au moment de l’éboulement.
Travail particulier
A Flüelen, à première vue, la situation paraît un peu plus confuse, mais en peu de temps les choses rentrent dans l’ordre et tout le monde se dirige vers le passage sous voie pour monter dans l’Interregio qui est en attente sur le quai 3. A l’arrivée des bus, une équipe de cheminots est présente. Parmi eux, l’on aperçoit un gilet orange de la LPV porté par un collègue occupé à sortir les bagages de tous les bus.
Kurt Rickenbacher est mécanicien Cargo à Erstfeld, mais l’interruption de la ligne l’a laissé momentanément sans travail. Il a donc accueilli avec plaisir le coup de fil de son répartiteur qui lui a demandé s’il était disponible pour aider les voyageurs à Flüelen. « J’ai pris le gilet le plus propre que j’avais. Je l’ai utilisé qu’une seule fois pour une manifestation du SEV à Berne. L’idée de me rendre utile m’a plu, surtout que nous faisons un travail totalement différent. Je suis en contact avec énormément de gens et il faut se débrouiller en plusieurs langues. Certes je n’ai pas l’habitude de ce genre de travail, mais l’activité ici est très intense. Peu de voyageurs se plaignent, mais ils sont nombreux ceux qui nous remercient pour le service qu’on leur rend. »
Entretemps, tous les voyageurs qui sont arrivés dans les 7 bus en gare de Flüelen sont montés sur l’Interregio et le train part avec seulement 7 minutes de retard sur l’horaire. Pour les voyageurs qui sont partis avec l’Interregio de 13.06 de Bellinzone, le train est pratiquement dans les temps.
« C’est un joli exploit », commente satisfait Patrick Padlina, chef de train principal à Berne, venu prêter main forte dans l’assistance aux clients. Après un bref briefing avec ses collègues et voilà qu’un nouveau train arrive, mais cette fois-ci il arrive du nord, il y deux groupes et de nombreuses familles. Toute l’équipe d’aide à la clientèle se remet au travail avec ordre et efficacité mais aussi avec une pointe d’humour.
Le personnel CFF démontre un fois de plus sa disponibilité, ses compétences et sa flexibilité. Extraordinaire normalité !
Un système valable
Cette manière de résoudre un problème confirme une fois de plus la vitalité du système suisse de transports publics. Un système qui permet sans trop de difficultés de s’adapter à des situations d’urgence. Par contre, si l’on veut aller à Milan depuis Chiasso, il n’y a pas besoin d’une interruption de trafic pour compliquer les choses. Le transbordement et la circulation irrégulière au sud de Chiasso font qu’il est très difficile d’attraper les correspondances. Le hic c’est si les correspondances ne jouent pas et que l’on n’arrive pas à monter sur le bon train, le titre de transport n’est pas valable. « Nous avons davantage de problèmes à Chiasso que sur le Gothard », nous confirme-t-on au guichet de Bellinzone. Même celles-ci, mais dans un autre sens, ce sont des histoires normales..
Pietro Gianolli/AC