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Panos Tzieropoulos, Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL)

« La recherche scientifique est directement au service du monde professionnel »

Les 59 trains deux étages que les CFF viennent de commander à Bombardier pourraient être dotés de bogies « souples ». Ils permettront aux trains de rouler dans les courbes en provoquant moins d’usure sur les rails que les bogies traditionnels. Une étude de l’EPFL, pilotée par le docteur Panos Tzieropoulos, a confirmé l’intérêt économique de cette géniale innovation.

Panos Tzieropoulos, dans son bureau à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL).

Il y a des millions de francs à gagner pour les CFF ! Les nouveaux bogies de Bombardier permettront de faire 10 à 20 % d’économie sur la maintenance de la voie, tout en favorisant la vitesse dans les courbes. Cette innovation a été évaluée par une équipe du groupe LITEP (Intermodalité des transports et de planification) de l’EPFL. Rencontre avec Panos Tzieropoulos, directeur du LITEP.

contact.sev: Qui vous a contacté pour effectuer cette étude ?

Panos Tzieropoulos: C’est la maison Bombardier qui nous a commandé cette analyse technico-économique. Nous avons d’abord calculé la valeur de la diminution de l’usure des rails par ce nouveau système de bogie. Ensuite, nous avons effectué des estimations sur les économies que cette diminution d’usure engendrera sur l’entretien de l’infrastructure.

Bio

Panos Tzieropoulos, 59 ans, est né à Salonique en Grèce. Ingénieur civil de formation, il a effectué son doctorat sur la mobilité. Cela fait 35 ans qu’il enseigne à l’EPFL. En sa qualité de directeur du groupe LITEP, il a participé à de nombreuses études en Suisse et à l’étranger. Il est membre du comité directeur de la Conférence mondiale sur la recherche dans les transports (WCTR). Son épouse est d’origine suédoise. Le couple vit à Lausanne et a deux filles et un fils. « A la maison, nous avons une douzaine de passeports. Nous sommes tous binationaux et les deux filles sont même trinationales. » Chez le Dr Tzieropoulos, la mobilité n’est pas qu’une affaire professionnelle.

Avez-vous pu tester ces nouveaux essieux ?

La seule façon de les tester serait de les faire circuler suffisamment longtemps. C’est une recherche qui aurait coûté des dizaines de millions de francs. Notre étude se base sur des calculs très précis que nous avons effectués à partir des données fournies par Bombardier. Ce sont des calculs que nous sommes à même d’effectuer car ici à l’EPFL nous avons une très bonne connaissance du système ferroviaire helvétique. Nous savons ce que représente en termes d’usure de la voie une augmentation de vitesse, une augmentation du poids, une mauvaise répartition du poids du train, etc. La phase test de ces bogies sera effectuée lors de la procédure d’homologation exigée par l’OFT.

Quelle est la particularité de ces nouveaux bogies ?

Ils ont un double atout. Dans les courbes, ces bogies permettent aux essieux de pivoter afin de se positionner en permanence de manière perpendiculaire à la voie, ce qui permet de diminuer sensiblement l’usure du rail puisqu’ainsi les roues épousent mieux le rail. Ça c’est pour le premier atout. Deuxième atout, ces nouveaux bogies permettent aux trains de ne pas pencher vers l’extérieur par un système qui contre la force centrifuge que nous appelons la compensation du gîte (les CFF appellent ce système compensation du dévers, ndlr). Cela offre un meilleur confort aux voyageurs et fait gagner de la vitesse. Ce sont ces atouts que nous avons analysés dans notre étude, et nousavons estimé les bénéfices financiers que CFF Infrastructure pourrait tirer de ces nouveaux bogies.

Grâce à cette étude, n’avez-vous pas l’impression d’avoir donné un coup de pouce à Bombardier ?

Cela fait partie de nos compétences de travailler sur mandat pour des entreprises privées ou pour des pouvoirs publics. Si Siemens ou Stadler nous avaient contactés pour une étude, nous aurions travaillé avec eux. Notre collaboration avec Bombardier a pris fin lorsque nous leur avons remis notre étude. Nous avons refusé de suivre ce dossier dans sa phase commerciale. Ceci dit, j’aurais bien vu les CFF, voire l’Office fédéral des transports, nous commander une telle étude puisque ces nouveaux bogies devront être homologués.

Avez-vous eu l’occasion de chercher des solutions à la saturation du trafic ferroviaire ?

Nous avons effectué plusieurs études pour trouver une solution à la saturation du trafic entre Lausanne et Genève. Nous sommes arrivés à la conclusion qu’une troisième voie tout au long du parcours ne serait pas la panacée. L’horaire cadencé coordonné – l’horaire Rail 2000 – a une propriété de symétrie, ce qui fait que c’est uniquement dans des secteurs précis qu’il faudrait une troisième, voire une quatrième voie, pour permettre aux trains de se croiser. C’est une conclusion à laquelle sont aussi arrivés les CFF.

Propos recueillis par Alberto Cherubini

LES GAINS QU’ENGENDRERAIENT LES BOGIES BOMBARDIER

Le rapport de 41 pages que Bombardier a commandé à l’EPFL s’intitule « Importance relative des facteurs d’usure et de dégradation de la voie et influence et apports de l’innovation dans la construction du matériel roulant ». Ce rapport a calculé le potentiel d’économie qu’engendreraient les nouveaux trains deux étages équipés du système de bogie inédit ARS (Active Radial Steering). Résultat de la recherche : sur la ligne Genève–Saint-Gall, le coût de maintenance de la voie serait inférieur de l’ordre de 10 % à 20 % par rapport à des bogies conventionnels, soit une économie de 6 à 14 millions de francs sur un coût annuel de maintenance de 55 millions de francs engendré par le seul trafic des Intercity sur cette même ligne Genève–Saint-Gall. Le 12 mai, lors de la conférence de presse que les CFF ont mise sur pied pour annoncer l’attribution des 59 voitures deux étages à Bombardier, Vincent Ducrot, chef ad interim de la Division Voyageurs, a affirmé que « le système de compensation du dévers faisant l’objet de l’appel d’offres coûte nettement moins que 100 millions pour 59 trains et peut remplacer des développements d’infrastructure représentant plus d’un milliard de francs d’investissements ». Par ailleurs, ces bogies révolutionnaires permettront de réaliser une réduction de la consommation d’énergie équivalant à celle consommée par 150 ménages (calcul effectué en considérant que tous les Intercity qui roulent entre Genève et Saint-Gall sont équipés de bogies ARS).