Politique des transports
Un bus électrique à la place du train
Jean-Claude Cochard, militant SEV infatigable, s’engage depuis plus d’un an pour sauver la ligne ferroviaire du Régional des Brenets, voué à laisser sa place à un bus électrique dès le changement d’horaire 2025. Un combat que le Vaudois n’est pas le seul à mener. Egalement sceptique, l’Association du «Régional» les Brenets - Le Locle (ARBL) vient de lancer un sondage auprès de la population et des usagers. Derrière la sauvegarde de cette ligne se cache l’énième débat autour de la rentabilité des lignes et du développement de la mobilité et de ses emplois. Le président de la section TRN-rail, Laurent Juillerat analyse ce projet.
Il a parcouru plus de trois heures de train en ce vendredi 21 janvier pour venir défendre son point de vue autour d’un café. Depuis plus d’un an maintenant, Jean-Claude Cochard, cheminot dans l’âme et militant SEV retraité du MOB, n’a toujours pas digéré la décision des autorités. Celles-ci avaient en effet annoncé à l’été 2020 que le «Régional» vivait ses dernières années. A sa place, un bus électrique relierait le Locle aux Brenets dès le changement d’horaire 2025 en utilisant en partie le tracé de la voie ferroviaire actuelle réaffectée pour la nouvelle ligne de bus. Celle-ci irait jusqu’au bord du Doubs, desservant tout le village des Brenets alors qu’aujourd’hui le train s’arrête à la gare, dans le haut du village. L’Office fédéral des transports, le canton de Neuchâtel et les communes avaient choisi cette option plutôt que de rénover la ligne ferroviaire.
Devant le Grand conseil neuchâtelois, le ministre des transports Laurent Favre a rappelé en septembre dernier que l’investissement ferroviaire aurait coûté entre 35 et 45 millions de francs contre un investissement pour les bus électriques de quelque 15 millions pour une desserte de meilleure qualité. C’est que les autorités ont annoncé une cadence à la demi-heure (contre une heure aujourd’hui) et une desserte pouvant même devenir transfrontalière jusqu’à Villers-le-Lac. Enfin, les autorités estiment que «le matériel roulant actuel est non seulement vétuste, mais aussi non conforme aux exigences légales de la LHand (Loi sur l’égalité pour les handicapés) et sécuritaires (incendie en tunnel). Pour rappel, tous les véhicules de transport public (mais aussi les installations d’accueil) doivent être mis en conformité au plus tard à la fin de l’année 2023.»
Le ministre a encore affirmé que « TransN, avec l’OFT et le canton, a étudié les différents scénarios d’assainissement possibles. Ainsi, en sus du maintien de la ligne métrique actuelle, la transformation de la ligne en voie normale et une desserte par bus électrique ont été étudiées et comparées. Au vu des importants investissements pour les deux premiers scénarios ainsi que de leur faible rapport coûts-utilité, la Confédération, le canton et la commune ont décidé de privilégier la desserte par bus électrique (15 millions de francs). Il est à noter que seul ce dernier scénario permettait de garantir un taux de couverture suffisant et essentiel au cofinancement de la Confédération. » Il y a 10 ans, l’OFT avait déjà annoncé vouloir remplacer par des bus les lignes avec un taux de couverture de moins de 30%. La ligne Le Locle-Les Brenets figurait déjà dans cette catégorie. Dans la situation actuelle, l’OFT a refusé, selon le canton, de passer à la caisse pour les travaux de réfection d’une ligne si peu rentable. Pour l’OFT, les coûts d’investissement dans le matériel roulant et l’infrastructure aurait encore péjoré la rentabilité de la ligne car les coûts de fonctionnement auraient de fait été augmentés, sans en attendre de recettes supplémentaires. « Comme la desserte territoriale serait identique à celle d’aujourd’hui, le nombre de passagers ne varierait guère. Il en résulterait donc une péjoration du taux de couverture actuel, qui est par ailleurs bas, avec une augmentation des indemnités de couverture du déficit d’exploitation à charge des commanditaires. »
Scepticisme
Ces arguments font bondir Jean-Claude Cochard. « Si c’est pour prendre un bus, autant venir en voiture dans la région ! » Il tient à remettre la disparition d’une ligne ferroviaire dans le contexte du défi climatique. « Les engagements climatiques ne pourront pas être tenus. L’avantage énergétique du rail est évident. Le matériel roulant moderne est plus économique . Il faut écouter les jeunes de la grève du climat. Il faut savoir ce que l’on veut vraiment. La Confédération met 500 millions pour le contournement autoroutier du Locle et 15 millions pour les aménagements de remplacement de la ligne entre Le Locle et les Brenets. Mais il y a des coûts qui ne sont pas estimés: l’achat des bus qui ont une durée de vie moins longue que les trains, leur maintenance, l’usure des pneus, etc. Encore une fois: la Confédération tient un double discours. On continue de construire des routes, on refuse la gratuité des transports publics et on criminalise les jeunes du climat qui manifestent dans des banques. »
Mais peut-on réellement comparer une ligne de bus électrique sur une voie partiellement propre avec la construction de nouvelles routes et autoroutes ? « Le maintien d’une ligne ferroviaire aurait été possible. Le prolongement de la voie normale du Locle aux Brenets, puis la création d’une ligne de bus pour le village des Brenets n’a pas été retenue. Une étude de 2014 évoquait des coûts de 35 à 45 millions pour cette option. »
L’attrait touristique
Pour Jean-Claude Cochard, il est impensable de « fermer une ligne ferroviaire, alors qu’en France, par exemple, on essaye d’en rouvrir. On néglige complètement l’attrait touristique d’une ligne ferroviaire historique. Les Suisses allemands ne viendront plus au bord du Doubs ! », prédit-il.
Il pointe un autre élément du doigt. « On va puiser 15 millions dans le Fonds d’infrastructure ferroviaire. Ce fonds est là pour le rail pas pour financer un projet de route ! »
Ce qui ressemble effectivement à une contradiction a été analysé par l’OFT. Dans un courrier envoyé au canton de Neuchâtel début juillet 2020, l’OFT relève qu’ « après une discussion juridique approfondie nous arrivons à la conclusion que non seulement la désaffectation d’une infrastructure ferroviaire peut être financé par le fonds d’infrastructure ferroviaire mais aussi une réaffectation en faveur d’autres formes d’exploitation de transports publics ».
La situation ne convainc pas non plus pleinement l’Association du Régional les Brenets-Le Locle (ARBL) même si ce projet présente des avantages certains: « L’augmentation de la cadence ainsi que la finesse de la desserte du village, couplées au respect des normes d’accessibilité, apporte une forte amélioration de la qualité de l’offre au sein du village. Cependant, aux yeux de l’ARBL, ce projet est lacunaire, incomplet et insatisfaisant en l’état. Nous sommes certains que le canton et l’OFT ont consciencieusement effectué leurs travaux d’évaluation et de conviction mais le résultat de ces études n’a pas été publié. Par ce manquement au devoir de transparence, l’OFT et le canton montrent leur négligence envers le village des Brenets et le Régional ou alors leur manque de foi en ce projet qui leur permet de se débarrasser définitivement de la question ferroviaire dans la nouvelle commune du Locle. »
L’ARBL rappelle aussi que « le canton de Neuchâtel s’est doté le 28 février 2018 du projet Neuchâtel Mobilité 2030 reposant sur quatre piliers : la mobilité douce, les transports individuels motorisés, les transports publics routiers et les transports publics ferroviaires. Malgré cette vision ambitieuse qui permettra à la quasi-totalité des lignes ferroviaires neuchâteloises de bénéficier d’une cadence à la demi-heure, le projet de liaison par bus Les Brenets – Le Locle n’est pas lié au concept global. »
Afin de réellement sentir le pouls de la population et des pendulaires sur ce projet, l’ARBL a lancé un sondage récemment. Avec quel espoir ? Le ministre des Transports Laurent Favre a martelé que le projet est validé. Par ailleurs, il n’y a pas de véritables oppositions à ce projet.
Laurent Juillerat relève un autre aspect: pour les collègues mécaniciens, il ne restera que la ligne entre les Ponts-de-Martel et La Chaux-de-Fonds où la cadence horaire ne permet pas des correspondances idéales, notamment vers le Vallon de Saint-Imier. «La valorisation du patrimoine ferroviaire est centrale sous peine de risquer de le voir disparaître là où on ne regarde les choses que d’un point de vue des chiffres.»
Vivian Bologna
Laurent Juillerat : « Dans dix ans on saura si le choix était bon »
Pour le président de la section TRN-rail, Laurent Juillerat, dont les membres sont directement concernés par la disparition de la ligne ferroviaire, le dossier n’est ni tout noir, ni tout blanc. « D’un point de vue de la desserte en transports publics du village des Brenets, il faut reconnaître que la variante choisie est imbattable. Cette nouvelle ligne de bus apportera en outre une diversité pour le personnel roulant du dépôt du Locle et le tracé sera moins tournant qu’en ville ce qui sera plus agréable.»
Sur le front de l’emploi, cela pourrait aussi être une bonne nouvelle vu que pour assurer la cadence à la demi-heure, il faudra plus de personnel qu’aujourd’hui. « Par contre, on ne saura que dans dix ans si ce choix était le bon. Qui nous dit que la rentabilité de la ligne sera meilleure et que cette cadence sera maintenue ? Il y a des lignes de bus dans le canton où la desserte n’est bonne qu’aux heures de pointe et quasi nulle dans les moments creux de la journée. On n’est pas à l’abri d’une réduction de l’offre après la mise en oeuvre de cette cadence 30 minutes. Mais on a aussi conscience que la rentabilité actuelle nourrit la volonté de réduire les coûts. Il faut aussi relever qu’il n’y a pas eu de propositions d’améliorations ces dernières années. Par ailleurs, la cadence demi-heure serait déjà possible avec le train actuel.»
Commentaires
Claude Andre Cuche 17/02/2022 15:31:07
Hello Laurent Juillerat; Je te soutient totalement dans tes propos !
Claudy Cuche