Référendum
Une huile de palme au goût amer
«Disons stop à l’huile de palme!» Par ce slogan, le syndicat agricole Uniterre, le viticulteur indépendant Willy Cretegny ainsi que les associations en faveur du climat et des droits humains ont lancé officiellement un référendum contre l’accord de libre échange avec l’Indonésie approuvé le 20 décembre 2019 par le Parlement. Celui-ci estime que l’Indonésie représente un partenaire commercial potentiellement important pour la Suisse car les perspectives de croissance économique sont élevées dans le sud-est asiatique.
Les divers appels lancés par un grand nombre d’institutions et organismes de la société civile et de l’agriculture n’ont servi à rien. Pour l’alliance qui a lancé le référendum, une chose est claire: une telle décision est irresponsable et en contradiction avec l’exigence de développement durable contenue dans la Constitution. Willy Cretegny n’a pas mâché ses mots lors de la conférence de presse du 27 janvier dernier à Berne: «A 11000 km d’ici, cet accord signifie la propagation des monocultures de palmiers à huile, la destruction de la forêt tropicale, l’acceptation du travail des enfants et du travail forcé, l’utilisation de pesticides hautement toxiques et le déplacement des populations indigènes».
Pour la porte-parole des activistes de la Grève du climat Michelle Reichelt, l’accord conclut avec l’Indonésie «montre à quel point le Conseil fédéral prend la crise climatique peu au sérieux». La jeune militante a dénoncé qu’«un quart de l’une des zones de forêt tropicale humide les plus riches en espèces du monde a disparu pour laisser la place à la production d’huile de palme. Non seulement des animaux tels que l’orang-outan, les éléphants de forêts et les tigres sont menacés d’extinction en raison de la déforestation, mais les brûlis sur sols tourbeux laissent également échapper dans l’atmosphère une quantité particulièrement importante de dioxyde de carbone et de méthane stockés dans le sol, ce qui fait de l’Indonésie l’un des plus grands émetteurs de CO2 au monde».
Durant les dernières décennies, l’exploitation des ressources fossiles et minérales, la dévastation des forêts pour l’industrie du papier et par-dessus tout, l’impact dévastateur de l’urbanisation et des plantations de palmiers à huile ont détruit la grande majorité du territoire de manière irréversible. Un rapport de l’OAA/FAO sur la déforestation en Indonésie atteste qu’entre 1990 et 2011 ce sont plus d’un million d’hectares de forêts qui ont disparu chaque année. Et les rares oasis de verdure qui subsistent sont souvent trop petites et isolées pour garantir la survie des espèces présentes. Un autre rapport spécial du WWF sur les investissements effectués par des fonds étrangers dans les secteurs de l’industrie du papier et des plantations de palmiers à huile montre que l’argent de la Confédération engagé dans les caisses de pensions et autres fonds d’investissements des banques suisses a joué son rôle dans ce carnage environnemental. Si la Suisse a l’intention de continuer à afficher sa neutralité à tous les niveaux et si elle ne veut pas avoir mauvaise conscience en rapport des désastres écologiques mondiaux, alors elle doit ouvrir les yeux sur l’impact auquel elle contribue dans un contexte global.
Les auteurs du référendum ont soulevé le problème des grandes sociétés productrices d’huile palme qui se sont appropriées des terres aux dépens des paysans traditionnels qui sont chassés de leurs terres et qui vont augmenter la masse de migrants forcés de quitter leur pays d’origine. Il y a quelques temps déjà, soit en 2014, l’ONG Alliance Sud avait critiqué l’accord de libre échange pendant que se déroulaient les négociations. Elle avait alors donné la parole à Bala Chelliah, représentante de l’ONG SUARAM à Genève. Son analyse était on ne peut plus claire: «la Malaisie aspire à devenir un pays développé d’ici 2020. Elle a fait beaucoup de progrès mais s’il l’on considère les droits humains de la population autochtone et des minorités, elle est encore très en retard». Bala Chelliah avait également pointé du doigt la «Nouvelle politique économique» en disant qu’elle était devenue un instrument de discrimination. «Ce ne sont pas les gens dans la rue qui bénéficieront de cet accord mais l’élite au pouvoir qui possède les entreprises».
Le secrétaire syndical d’Uniterre Rudi Berli a rappelé que la Suisse a un taux d’autosuffisance de 35% pour les oléagineux, un niveau de production nationale qu’il s’agirait de maintenir tant pour des raisons écologiques qu’économiques. Alors que l’huile de palme est en deuxième position des huiles alimentaires importées en Suisse, avec un volume de 32000 tonnes, l’accord signé octroie des concessions douanières pour 22500 tonnes d’huile de palme d’Indonésie. «L’huile de palme, moins chère, a gagné cette part de marché au cours des 20dernières années au détriment de l’huile de tournesol. L’objectif de l’industrie agroalimentaire reste de se procurer des matières premières aussi librement que possible et au prix le plus bas possible, avec des conséquences fatales pour l’homme et l’environnement.»
Françoise Gehring avec agences et Alliance Sud