Automatisation et digitalisation
Smartrail 4.0: L’OFT met le holà
Smartrail 4.0 est un programme de la branche du rail suisse qui vise une modernisation du système ferroviaire et se compose de divers projets. Parmi eux, en particulier celui des «trajets automatisés» (Automatic Train Operation ATO) a fait les gros titres. Le SEV est satisfait que l'Office fédéral des transports ait édicté en juillet dernier une directive afin de suspendre le projet ATO ainsi que d'autres projets. Toutefois , selon l'OFT, le projet «Traffic Management System» (TMS) sur l'automatisation des horaires et de la répartition par exemple, qui pourra également avoir de graves répercussions et soulève beaucoup de questions, doit pouvoir continuer d'être développé.
« Le SEV n'est pour une fois pas mécontent des paroles claires prononcées par l'OFT, commente le secrétaire syndical Urs Huber. Smartrail 4.0 était assurément surchargé. Ce projet voulait trop entreprendre dans la même foulée et n'était pas suffisamment réaliste. Il demandait toujours plus de ressources aux CFF et devait être financé au détriment de l'exploitation actuelle. Ceci est assez typique de l'ère Meyer ! »
Smartrail 4.0 a été lancé en commun par les entreprises ferroviaires CFF, BLS, SOB, RhB et par l'Union des transports publics (UTP) en 2017 afin de profiter des progrès technologiques durant les 20 prochaines années et d'améliorer « substantiellement » la production ferroviaire – cf. www.smartrail40.ch. Comme l'OFT était chargé de prendre les décisions de principe en ce qui concerne l'introduction de nouveaux standards systémiques dans le rail, les responsables du projet, sous la direction des CFF, ont dû rédiger en janvier 2020 un rapport à son attention. En juillet, l'OFT a écrit dans sa newsletter n°81 que le projet était « trop orienté sur les aspects techniques, qu'il était trop difficilement gérable et ne tenait pas assez compte des évolutions sur le plan international. » Selon lui, le risque est considérable que la complexité des nombreux sous-projets liés les uns aux autres ne soit plus gérable. L'OFT a mandaté la branche de « mettre en oeuvre les projets prévus pas à pas, et de se concentrer sur les parties du programme qui semblent plus abouties et prometteuses». Parmi elles, il y aurait le projet TMS. Mais l'OFT prévient toutefois: « Beaucoup de questions doivent être analysées de manière approfondie, entre autres les hauts risques de ce projet de logiciel. » Divers projets faisant partie de Smartrail sont jugés par l'OFT, « à cause des risques évoqués, comme n'étant pas à même d'atteindre leurs objectifs, par exemple le développement d'un nouveau type d'aiguillage ou le projet de développement d'une rame automotrice qui ne se baserait pas sur la signalisation de la cabine de conduite actuelle (ETCS niveau 2) ». Pour divers projets, il faudra en outre attendre les « décisions de principe de l'UE, afin de ne pas créer en Suisse une ‹solution isolée› onéreuse ».
SEV-AS exige de la transparence
« L'introduction de TMS se fera progressivement, un module après l'autre, dès 2021 et durera selon la planification actuelle jusqu'en 2030 », précisent les CFF suite à notre demande. « TMS n'a pas pour objectif de supprimer des postes. Le développement de TMS va amener une adaptation de certains profils professionnels. Les collaboratrices et collaborateurs seront accompagnés dans leur progression vers de nouvelles tâches et compétences. Une unité spéciale se préoccupe globalement des thèmes liés aux personnes, à la technique, à l'organisation. »
« Nous allons voir si les CFF tiennent parole », déclare Peter Käppler, président central de la sous-fédération SEV AS. « Cela m'étonnerait beaucoup qu'un projet onéreux d'automatisation tel que TMS ne débouche pas sur des économies au niveau du personnel. TMS devra à l'avenir établir automatiquement des horaires, donc ce système va remplacer beaucoup de personnes qui travaillent chez AVOR et BETRANO. Nous redoutons des coupes drastiques dans les postes de ce domaine. De plus avec DispoOp, les systèmes RCS (planification opérative) et ILTIS (commande des aiguillages) seront réunis. Ceci apporte des changements parfois significatifs dans les tâches des chef-fes de circulation des trains (CCT) et des régulatrices et régulateurs du trafic ferroviaire (RTF). »
Et Peter Käppler d’appuyer: « On ne nous a pas encore communiqué le contenu des profils professionnels de ces deux professions ni la répartition du travail dans la salle des commandes à l'avenir. Les CFF doivent nous informer de manière transparente pour TMS et DispoOp du nombre de collaboratrices et collaborateurs AVOR, CCT et RTF qui perdront quelles tâches, dans quel laps de temps, et quelles nouvelles tâches ces personnes devront assurer, ainsi que du contenu de leurs profils professionnels. Ces gens sont préparés aux nouveaux systèmes sur le plan technique mais on ne leur a jamais dit clairement ce que cela signifiera sur le plan humain, pour leurs postes et leur avenir professionnel. Nous exigeons dès lors des CFF de clarifier rapidement l'avenir professionnel des personnes touchées. »
Les CFF stoppent le projet ATO
Les CFF confirment que « pour l'instant les trains sans mécanicien-ne dans la cabine de conduite ne font pas partie de nos objectifs. L'application des consignes de l'OFT en juillet fait actuellement l'objet de décisions. Une chose est sûre: les CFF ne poursuivent plus le projet ATO. Ils accompagnent toutefois de leur expertise la régulation et la standardisation européennes. Cependant, si des systèmes d'assistance pour le personnel des locs sont développés, nos collaboratrices et collaborateurs pourront profiter peu à peu des avantages offerts par la numérisation. »
Au SOB par contre le projet ATO sera « poursuivi comme prévu, puisqu'au contraire d'autres projets de Smartrail 4.0, cette solution est développée par deux entreprises industrielles (Rail Systems et Stadler Bussnang) et non pas par le SOB lui-même. Le SOB propose le cadre pour ce développement et pour effectuer les tests», indique le SOB.
L'utopie aggrave la pénurie de mécaniciens
La présidente centrale LPV élue Hanny Weissmüller constate avec satisfaction qu'il existe maintenant dans l'entreprise des projets plus sensés que d'avoir le plus vite possible des trains qui se conduisent tout seuls. « Lorsqu'Andreas Meyer a annoncé il y a quelques années que déjà en 2025 il y aurait des trains sans personne pour les conduire et que nous, à Saint-Maurice, roulons encore un tour sur deux avec une Re 420, je me suis dit: Nous avons des points de vue différents … Il y avait alors un réel fossé entre les responsables du projet et le personnel des locs. Ces réflexions utopiques ont amené des sous-effectifs car les gens se sont dit que cette profession n'a pas d'avenir ! Le personnel des locs n'a plus fait de réclame dans les cercles d'amis et les CFF ont prévu trop peu de classes en conséquence.»
Hanny explique pourquoi les rames automotrices sont plus difficiles à introduire sur le réseau CFF qu'au Japon: « Nous avons une exploitation mixte, au Japon il y a des voies séparées pour les trains rapides et les trains plus lents. Et nous avons dû construire des tunnels qui ont coûté cher. Les rames automotrices ont besoin de nombreux capteurs sur les voies, aussi pour gérer les conditions météorologiques. Mais là le personnel des locs est meilleur marché et il peut aussi agir en cas de perturbation. Aujourd'hui, beaucoup de locomotives ne sont pas prévues pour les ETCS niveau 1 LS ou niveau 2. Si ces systèmes dirigent l'entrée en gare, lorsque la sortie est encore fermée, l'opération prend en tout cas 30 % de temps en plus par rapport à un freinage manuel. Ainsi par exemple le RER de Zurich ne fonctionnerait plus. Et là où il faut souvent s'arrêter, le doigté du personnel des locs restera nécessaire à l'avenir également.» Hanny espère que l'on introduise en priorité les systèmes de sécurité qui font encore défaut, par exemple contre l'ouverture des portes du faux côté, l'oubli de s'arrêter ou le passage d'un signal nain lors d'une opération de manoeuvre.
Markus Fischer