Journée de la vente SEV
Les vendeurs dépassent les bornes
A l’heure du tout numérique, des applications et des automates, que va devenir le personnel de guichet ? En organisant une Journée de la vente le 4 mars, le SEV a fait le pari que les salarié-e-s de la vente ont un avis et peuvent trouver des perspectives d’avenir pour leur métier. Cette intelligence collective a pu admirablement s’exprimer.
« Je suis venu ici pour les échanges d’idées avec du personnel de vente au guichet d’autres entreprises et rapporter ce qui s’est dit ici à mes collègues », dit l’un. « Malgré la numérisation, il y aura toujours besoin d’humanité dans les gares ou dans les bateaux », poursuit une autre. « La direction est à des années lumières du terrain et ne prend pas en compte la richesse du travail que nous faisons », regrette une conseillère en clientèle.
Libérer la parole, faire un état des lieux, mettre en commun les informations et chercher collectivement des perspectives d’avenir pour les métiers de la vente dans le transport. C’est l’idée de cette journée de la vente du SEV lancée à l’initiative de la secrétaire syndicale Valérie Solano qui se réjouit de cette « expérience » pour sortir de la fatalité et l’impuissance.
Etat des lieux
Les participant-e-s, une vingtaine de personnes travaillant au guichet, aux CFF ou dans des entreprises concessionnées (TPF, CGN, MOB, TransN, ...), ont pointé les manques de moyens, de formation et d’informations claires au moment où leurs tâches deviennent plus complexes. « Chacun doit se débrouiller un peu comme il peut », relève un vendeur. « De temps en temps, on reçoit une vidéo explicative à consulter sur son temps libre. A l’heure de la digitalisation, la formation aussi est digitalisée ! » indique un autre.
Les restructurations incessantes et les changements informatiques trop rapides sont des sources de stress. «Les systèmes informatiques ne sont pas toujours complètement merdiques», a nuancé une participante, provoquant l’hilarité de la salle. Et le personnel de la vente doit faire face à des objectifs contradictoires: à la fois faire plus de chiffre d’affaires et en même temps tout faire pour orienter les usagers vers les machines.
Eléments pour la réflexion
Dans l’après-midi, l’expert en mobilité Benoît Gaillard, qui accompagnait cette journée, a donné aux participant-e-s des impulsions pour nourrir la réflexion. Pour lui, les données des CFF sur l’évolution des points de vente entre 2004 et 2017, montrent que « globalement la pente de la courbe est certes à la baisse, mais lentement et insidieusement. En 13 ans, on est toutefois passé progressivement de 276 à 162 points de vente avec personel. » Les CFF se gardent de publier des chiffres sur l’évolution du personnel de la vente. En 2015, le chiffre d’affaires des canaux numériques a dépassé celui de de la vente au guichet. « Cela correspond à la stratégie des CFF de pousser la clientèle vers le digital. »
Gaillard a montré les évolutions en France avec la création de guichets mobiles devant la gare ou sur la plage avec une camionnette SNCF. On ferme le guichet dans la gare et l’on crée des «espaces service» avec des équipes de vente mobiles. « L’image du service public est ainsi vraiment dégradée », déplore-t-il. La Deutsche Bahn (DB) a fait la même chose.
Des zones d’attente améliorées sont testées en France, souvent en partenariat avec un commerce. Dans ces salons, la SNCF déploie un service commercial itinérant mobile présent sporadiquement. En Allemagne, DB a lancé depuis 2013 des guichets vidéos. Autre tendance : le retour à l’humain. DB a recréé dans les grandes gares des zones de contact où l’on ne peut pas acheter de billets. On y trouve de l’information, surtout en cas de perturbation, et un personnel sans diplôme qui coûte beaucoup moins cher. Un test du même type se fait à la gare de Berne.
Perspectives d’avenir
Durant la journée, diverses pistes ressortent des interventions et des discussions en petit groupe dans des ateliers. L’une d’elle est de s’appuyer sur les usagers pour défendre une présence humaine de qualité au cœur des gares car il y a souvent une mobilisation à l’annonce de la fermeture d’un guichet ou d’une gare. « Mais, paradoxalement, rappelle Gaillard, quand on consulte les usager-e-s sur leurs besoins, la présence humaine dans les gares n’est plus la priorité no 1. Les prix, la fréquence, le confort et les correspondances sont devant. » Un vrai dialogue qui inclut les usagers est donc à construire avec la possibilité pour eux d’exprimer cette solidarité au-delà du cas par cas.
Sans doute faudra-t-il aussi en passer par une redéfinition des métiers avec une réflexion sur les questions de savoir, compétence et autonomie, en associant les employés à l’évaluation les besoins des usagers. La journée aura montré que, sur le terrain, ce ne sont pas les idées qui manquent. Aujourd’hui, peu de canaux existent pour que le personnel de guichet puisse exprimer son ouverture au changement.
Le besoin de conseils adaptés aux clients, surtout dans un pays touristique, demeure incontournable par exemple sur des offres culinaires ou culturelles. Le besoin d’orientation dans les gares et de conseil face aux différentes offres par un personnel humain qualifié est une valeur ajoutée utile et nécessaire à la satisfaction des usagers, même si cela n’entre pas dans la vision purement comptable des directions. L’idée d’une harmonisation des différents canaux pour pouvoir vendre au guichet toutes les prestations que l’on trouve sur internet fait aussi l’unanimité. Le besoin d’autonomie est manifeste: « C’est bien là en effet que nous pouvons faire la différence avec les machines, dans notre appréciation des besoins des usagers ! », glisse un participant.
« Vous avez des idées formidables. Et face aux clients, vous êtes beaucoup plus interactifs que toutes les bornes internet », a conclu avec enthousiasme Valérie Solano. « Mais plus on vous limite dans cette autonomie, moins vous pouvez être interactifs », ajoute-t-elle. Gaillard souligne qu’il y a « une utilité du métier qui est méprisée, pas connue et pas mise en avant par les directions, alors que vous êtes les mieux placés pour connaître les besoins des gens et comment leur apporter un meilleur service public, une notion qui a du sens, même à l’heure du numérique ». « Pourquoi le marketing ne ferait-il pas des pubs pour montrer des fées et des magiciens au guichet plutôt que de mettre en avant une grand-maman qui pousse à utiliser les applications? » fait remarquer une participante. Les pistes ne manquent pas et devront encore être approfondies. Un rapport du SEV sortira prochainement et reprendra les enseignements de cette journée qui a montré toute la richesse du personnel de vente dans les analyses et les propositions.
Yves Sancey