Union européenne et mesures d’accompagnement
Protection des salaires: «Ligne rouge» non négociable
Les syndicats ont claqué la porte des négociations sur les mesures d’accompagnement. Explications de Giorgio Tuti, président du SEV.
Pour quels motifs les syndicats refusent de participer aux négociations sur les mesures d’accompagnement?
Giorgio Tuti: Le démantèlement de la protection des travailleurs n’est pas négociable ! Le Conseil fédéral a toujours déclaré que la question des mesures d’accompagnement constituait une « ligne rouge » non-négociable. Et, tout d’un coup, le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis annonce en juin qu’il est pour un assouplissement de ces mesures. Puis nous avons reçu un document de travail du Département de l’économie, de la formation et de la recherche (DEFR) de Johann Schneider-Ammann remettant en question l’ensemble du dispositif de défense des salariés. Bien sûr que l’Union européenne (UE) est une machine de libéralisation, mais ce sont bien ces deux ministres PLR qui remettent en question les mesures d’accompagnement. Briser cette «ligne rouge», c’est une trahison des salariés. La protection des salaires n’est plus garantie. Inadmissible. L’USS ne participera donc pas aux négociations.
Plus concrètement, de quels instruments s’agit-il?
Il y a la règle dite «des huit jours» qui est remise en question. Celle-ci impose aux entreprises étrangères détachant en Suisse des travailleurs de les annoncer huit jours avant le début de l’activité. Un délai nécessaire pour pouvoir organiser les contrôles. Supprimer ces huit jours signifie l’abolition des contrôles. L’UE veut aussi réduire drastiquement les contrôles qui passeraient de 30 à 3% des entreprises ! Elle n’aime pas beaucoup le système suisse des cautions que les entreprises doivent verser et qui peuvent être utilisées lorsque elles ne respectent pas des dispositions et ne satisfont pas aux exigences qui leur sont posées. Il en va de même pour les sanctions – prévoyant des amendes jusqu’à 30’000 francs suisses et l’interdiction d’exercer dans nos frontières – et le fonctionnement des commissions paritaires et tripartites.
Le transport est moins touché par la sous-enchère salariale que les chantiers ou la restauration...
C’est vrai, mais dans le domaine du transport routier des marchandises, la concurrence est rude. Un coup d’œil dans les coulisses du marché européen et libéralisé des transports révèle dans toute l’Europe une tendance à la baisse des standards sociaux et des conditions de travail. Un chauffeur poids-lourds bulgare gagne en moyenne 215 euros par mois. Pour ce salaire, il travaille 11,5 heures par jour ou 57,5 heures par semaine. De plus en plus de chauffeurs étrangers s’arrangent pour obtenir les papiers leur permettant de travailler en Suisse, il ne s’agit plus d’exceptions.
L’Europe a néanmoins amélioré sa directive sur le travail détaché pour 2020…
Les pays de l’Est se sont battus contre une réforme européenne du « travail détaché » plus protectrice. Un accord a certes été trouvé, mais au prix de l’exemption provisoire du transport routier et de ses six millions de salariés !
Le DEFR souscrirait aux exigences de l’UE...
Bruxelles est libre de ses demandes mais les mesures d’accompagnement relèvent du ressort de la Suisse qui ne doit pas céder sur ce point capital, comme l’ont laissé entendre les deux ministres PLR.
Jusqu’où iront les syndicats pour défendre les mesures d’accompagnement?
Jusqu’au référendum si nécessaire. La situation est grave. Nous n’avons jamais assisté à une telle attaque des droits des salariés depuis 20 ans. Notre position ferme sur ce dossier est décisive pour la sauvegarde des accords bilatéraux et la libre circulation. Nous ne les soutiendront plus sans la protection et le respect des droits des travailleurs.
Interview: Yves Sancey
Les mesures d'accompagnement
Depuis 2004, la Suisse a unilatéralement adopté des mesures d’accompagnement pour éviter la sous-enchère salariale, notamment par rapport aux travailleurs détachés (un informaticien employé en France qui vient faire une mission à Genève pendant quelques jours, par exemple). C’était alors le prix à payer pour avoir le soutien politique de la gauche et des syndicats à la libre-circulation des personnes. Par rapport au droit européen, la Suisse connaît deux différences majeures : les missions de travail détaché menées sur sol helvétique ne peuvent excéder 90 jours par années civile (contre deux ans en Europe, un an depuis 2020) et l’annonce aux autorités huit jours avant pour pouvoir effectuer du travail détaché en Suisse (il n’y a pas de délais en Europe). Grâce aux mesures d’accompagnement, les salaires de 42 000 entreprises sont contrôlés en Suisse, année après année. Cela a mis fin à l’inhumain système des contingents.
Des contrôles nécessaires
Dans les années 2000, la Suisse enregistrait quelque 90 000 travailleurs détachés. Aujourd’hui, ce chiffre s’élève à 240 000. La Suisse compte le plus grand nombre de travailleurs détachés par rapport à sa population et ses salaires sont les plus élevés d’Europe. Environ un tiers des sociétés font l’objet de contrôles. Qui débouchent, dans plus de 20% des cas, sur la découverte d’infractions, prouvant l’importance et la nécessité du dispositif. Et Bruxelles voudrait réduire les contrôles à 3%, dix fois moins...! En moyenne, selon le Secrétariat d’Etat à l’Economie (Seco), les autorités suisses sanctionnent chaque jour dix entreprises pour violation de la loi sur la protection salariale.
Sous pression de l’Europe, l’Autriche a dû abandonner une règle semblable à la Suisse en 2016. Depuis, la lutte contre la sous-enchère y est devenue beaucoup plus compliquée et le nombre d’abus a explosé.
ysa
Les relations Suisse-Union européenne
Les relations entre la Suisse et l’Union européenne (UE) reposent sur une vingtaine d’accords bilatéraux importants, comme la libre circulation des travailleurs, et plus d’une centaine d’autres accords. Berne et Bruxelles négocient actuellement un accord-cadre qui les chapeaute tous et qui permettra d’appliquer les accords existants et futurs. Les mesures d’accompagnement à la libre circulation des personnes, que l’UE juge excessives et discriminatoires, sont le principal point d’achoppement des négociations sur cet accord-cadre. Les Européens veulent notamment faire abolir la règle dite «des huit jours». Bruxelles souhaite que Berne adopte à son tour la nouvelle directive européenne sur les travailleurs détachés, directive que l’Autriche et le Luxembourg ont été contraints d’accepter. L’enjeu est donc de savoir qui décide pour la protection du marché du travail en Suisse ? Berne ou Bruxelles ? Comme la Suisse traîne des pieds à dire oui, l’UE menace de la priver d’une «équivalence boursière ». Le Conseil fédéral aimerait conclure rapidement les négociations avant les élections fédérales de 2019. L’Europe sera elle occupée par le Brexit. Le gel des négociations que le PDC, le PLR et le PS ont évoqué mi-août semble toutefois inévitable.
ysa