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ZAD de la colline

Orchidées contre béton armé

Depuis la mi-octobre, le Collectif des Orchidées occupe un site naturel près d’Eclépens afin de protéger un écosystème menacé de destruction par le cimentier Holcim. Reportage.

Matinée du 4 novembre, colline du Mormont, près d’Eclépens en terre vaudoise. Une barricade de bric et de broc ferme l’accès aux automobilistes et signale l’entrée dans la Zad. Un acronyme pour « Zone à défendre », vraisemblablement la première du genre organisée en Suisse. Masqués et emmitouflés dans des vêtements chauds, une poignée de militants du Collectif des Orchidées – nom pris en référence à la présence de cette variété de fleurs sur le site – s’approchent, amicaux. Deux d’entre eux se proposent de nous faire découvrir le campement installé depuis le 17 octobre dernier afin d’empêcher le cimentier Holcim – filiale du groupe LafargeHolcim – d’agrandir la carrière qu’il exploite. Une extension qui entraînerait la destruction de l’écosystème et de vestiges archéologiques celtes caractérisant les lieux. Dans la bise mordante, Jerry et Marc (prénoms d’emprunt) entament la visite. Au pied de la forêt chatoyante dans ses apparats automnaux se dressent deux yourtes. Des cabanes ont aussi été aménagées en hauteur, dans les arbres. De quoi rendre difficile la tâche des forces de l’ordre qui voudraient déloger leurs occupants. Puis, c’est la découverte de la carrière. Le ballet de deux machines de chantier matérialise, dans un bruit de fracassement de pierres et de déversement de gravats, le combat mené par les activistes.

Des moyens restreints mais suffisants

A un jet de pierre de la mine, une maison abandonnée, propriété de la multinationale, joue le rôle de centre névralgique de la Zad. La cuisine communautaire, installée en partie à l’extérieur, réunit à l’heure des repas les activistes véganes et végétariens – plusieurs dizaines, dont nombre d’étudiants, assurent l’occupation par tournus. Le gel hydroalcoolique trône en bonne place, dans le strict respect des règles sanitaires. La bâtisse désaffectée sert aussi de logement aux zadistes, qui l’ont pourvue de panneaux solaires, de fenêtres et flanquée d’un atelier de sérigraphie avec l’aide de menuisiers, militants ou non. « Tous les matériaux utilisés sont issus de la récupération ou de cadeaux. Nous pratiquons les échanges de savoirs. On a beaucoup appris en matière de bricolage », s’enthousiasment Marc et Jerry. Une organisation horizontale motivée par une volonté commune de sauver le site, mais aussi de partager une autre manière de vivre.

« Ma vision est communautaire, féministe, antiraciste, anticapitaliste, anti-impérialiste et écolo radicale. Je pense qu’il nous faut changer notre rapport à la nature, mettre fin à l’exploitation animale, lutter contre l’utilisation illimitée des ressources qui ne profite qu’à une poignée d’humains », s’enflamme Jerry.

Recréer des imaginaires

Discours partagé par Marc renchérissant sur l’urgence de développer d’autres approches aux êtres et au vivant. Et évoquant les études alarmantes du GIEC et des limites déjà largement dépassées : « Nous devons décroître dès maintenant. » Les deux jeunes trouvent dans l’occupation un moyen d’ancrer leurs idéaux dans la réalité. « Nous recréons des imaginaires. De nouveaux modes de fonctionnement. »

Jerry et Marc ne croient plus à l’impact des manifestations de rue ou à l’action politique via les canaux traditionnels comme les votations. Pour cette raison, ils ont rejoint la Zad de la Colline. Combien de temps y resteront-ils ? « Jusqu’à ce que le projet d’extension de la mine soit abandonné. Nous espérons en tout cas tenir de trois à six mois...» Aménagement de toilettes sèches, tri des déchets, attention au respect des lieux: tout a été pensé pour un bras de fer pacifique appelé à durer. Le Mormont a été classé en 1998 à l’Inventaire fédéral des paysages, sites et monuments d’importance nationale en raison de sa richesse biologique. La bataille pour sa préservation remonte à de nombreuses années déjà.

Bataille sur le front juridique

Aujourd’hui, un recours déposé par Pro Natura Vaud et Helvetia Nostra pour son maintien en l’état est toujours pendant au Tribunal fédéral. L’aboutissement du projet d’Holcim se traduirait, précisent les recourants dans un communiqué, par une « balafre sous la forme d’une gigantesque tranchée supplémentaire de 200 mètres de large, sur 600 mètres de long et 70 mètres de profondeur ».

« Le verdict devrait tomber d’ici à la fin de l’hiver », indiquent les militants. Holcim, apprend-t-on quelques jours plus tard, a depuis déposé plainte contre les activistes pour violation de propriété. « Ce lieu me rend néanmoins optimiste », s’exclame Jerry. « Il me donne l’espoir d’un monde meilleur », enchaîne Marc. Aucune lassitude après ces semaines d’occupation et alors que le froid commence à sérieusement pointer son nez ? « Non! Ce qui nous rend las, c’est ce monde où rien ne bouge ou presque...»

Sonya Mermoud

Extrait d'un texte paru dans «L’Evenement syndical», le journal d’Unia

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