La branche navigation demande la définition des conditions d’engagement d’usage dans la branche
La navigation en appelle à l’OFT
30 employé-e-s de 13 compagnies de navigation ont pris part à la journée de branche SEV VPT le 25 janvierà Lucerne. Au vu des constantes détériorations de leurs conditions d’engagement, les personnes présentes ont adopté une résolution qui invite l’Office fédéral des transports à définir avec le SEV les pratiques d’usage dans la branche pour les compagnies de navigation concessionnaires. La résolution déclare en outre que les employé-e-s de toutes les entreprises s’opposent de manière solidaire aux tentatives de pression.
Le personnel de la navigation ne vit plus un conte de fées : « Nous avons eu des problèmes importants dans quatre entreprises durant l’année écoulée », déclare la vice-présidente SEV Barbara Spalinger lorsqu’elle tire le bilan devant l’assemblée des représentants de onze sections SEV du domaine de la navigation présents sur le bateau à moteur « Weggis » à Lucerne. A noter que certains matelots venaient des lacs de Walenstadt et de Hallwil.
Dénonciation de CCT au Tessin
Les concessions accordées par l’OFT et l’Etat italien aux compagnies de navigation transfrontalières sur les lacs Majeur (NLM qui a son siège en Italie) et de Lugano (SNL qui a son siège en Suisse) sont arrivées à terme à fin 2016. Elles ont dû être renégociées entre les deux pays et les entreprises. Les concessions ont été prolongées de 10 ans à fin décembre seulement. L’OFT n’a pas encore communiqué clairement comment l’accès au marché est réglé pour des prestataires autres que la NLM et la SNL, ni la nature exacte des conditions d’engagement pour le personnel suisse.
Pour l’instant, le SEV a seulement ouï dire que les contrats de travail suisses de la NLM ne seraient plus calqués comme jusqu’à présent sur la CCT d’entreprise de la FART (transports publics de Locarno) mais qu’ils se baseraient sur les « pratiques d’usage dans la branche ». « Si l’OFT veut dire par là que les conditions d’engagement seront moins bonnes qu’actuellement, nous nous y opposerons naturellement », précise Barbara Spalinger. L’assemblée a dès lors adopté une résolution à l’attention de l’OFT. « Vous pouvez compter sur le total soutien de la sous-fédération VPT et du SEV tout entier », assure le président central VPT Gilbert d’Alessandro. Le personnel de la SNL est d’autant plus inquiet pour ses conditions d’engagement car le directeur, qui se trouve être également président du conseil d’administration et actionnaire principal de la SNL (très peu d’actions sont publiques) a dénoncé la CCT d’entreprise. Les négociations promettent d’être très dures, la première rencontre qui a eu lieu à mi-janvier avec le SEV l’a démontré. Le directeur ne voulait tout d’abord pas que le SEV soit présent. Les représentants de la SNL et de la NLM ont en outre prévenu que leurs entreprises seraient mises en danger si d’autres prestataires des lacs suisses venaient leur « piquer » leurs croisières rentables alors que la NLM et la SNL doivent assurer aussi les prestations moins rentables en hiver et par mauvais temps. Le personnel SNL et NLM se fait du souci parce que certaines subventions publiques ne sont plus versées à leurs entreprises malgré leur importance pour le tourisme. Et également parce que le nombre de passagers a diminué en raison du franc fort.
Offensive repoussée chez URH
Dans la compagnie de navigation sur le Lac inférieur et Rhin (URh), une énorme pression a été exercée sur les conditions de travail. Lorsque la direction a demandé aux cantons de Schaffhouse et de Thurgovie un prêt sans intérêts de 2 millions de francs pour remotoriser deux bateaux, ces derniers ont posé comme condition que l’entreprise baisse ses coûts en 2017. Dans ce but, le conseil d’administration a engagé les mêmes experts en assainissement qui ont sévi il y a quelques années à la compagnie de navigation sur le lac de Constance (SBS). Cette dernière a voulu économiser 200 000 francs par année sur le dos du personnel en réduisant les jours de vacances, en refusant de prendre en compte les temps de trajet et en introduisant des détériorations au niveau des indemnités, de la prime d’ancienneté, etc. Heureusement, le SEV avait conclu une CCT d’entreprise avec la URh. Etant donné que celle-ci ne pouvait pas être dénoncée avant la mi-2017, les experts en assainissement ont dû négocier avec le personnel. Ce dernier ne s’est pas laissé intimider par les diverses pressions et menaces et il a obtenu en décembre dernier une nouvelle CCT avec des adaptations qui sont plus ou moins acceptables dans l’ensemble (voir interview de Felix Birchler).
Crise à la direction de la LNM
A la compagnie de navigation sur les lacs de Neuchâtel et Morat (LNM), l’intention du directeur d’économiser sur la formation malgré le fait que dans les cinq prochaines années, six départs à la retraite sont prévus, a été la goutte qui a fait déborder le vase. Un rapport du SEV sur les inquiétudes du personnel a motivé le conseil d’administration à réaliser un audit externe qui a abouti au licenciement du directeur (voir interview de Jean-Pierre Etique).
Stagnation des salaires
Selon les infos données par les représentant-e-s des sections au sujet des négociations salariales 2017, il s’avère qu’aucune des 13 compagnies de navigation n’offre une augmentation de salaire durable. Mais au moins quatre d’entre elles versent une prime unique: la SGV (1200 fr.), la CGN et la ZSG (500 fr.) et la SNLB (500 fr. sous forme de chèques Reka). L’enquête au sujet des tableaux de service montre une fois de plus que la haute saison durant l’été et les nombreuses courses spéciales parfois annoncées à la dernière minute exigent du personnel une énorme flexibilité.
Markus Fischer/mv
Deux entreprises, deux luttes
Le travail syndical du SEV dans la navigation a été mis en évidence ces dernières semaines. contact.sev vous propose l’interview de deux secrétaires syndicaux, Jean-Pierre Etique et Felix Birchler, en charge respectivement des sections des lacs de Neuchâtel et de Morat (LNM) et du Lac inférieur et Rhin (URh).
Jean-Pierre est secrétaire syndical SEV et a accompagné la section VPT Lac de Neuchâtel et de Morat dans sa lutte pour sauver l’entreprise du naufrage. Interview.
Jean-Pierre, le personnel de la LNM a connu un second semestre 2016 difficile. Le 19 janvier, il a appris que le directeur quittait enfin l’entreprise. Tout baigne désormais ?
Non, ce serait trop simple s’il suffisait que le directeur quitte son poste pour que le beau temps revienne, mais il est vrai que le personnel est soulagé et l’ambiance est bonne sur la place de travail. Les collègues savent aussi qu’ils vont être mis à contribution pour la création d’une véritable culture d’entreprise et la mise en place d’un organigramme et des cahiers des charges bien définis. Ce qui n’était pas le cas jusqu’à maintenant. Le changement sera sans doute radical, mais il est nécessaire. Le SEV avait appelé de ses vœux un audit qui fasse la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l’entreprise. Sans réaction du Conseil d’administration, la LNM allait dans le mur. Le personnel s’est battu pour elle et c’est sans doute l’un des enseignements majeurs du semestre écoulé.
Le personnel s’est mobilisé, il a fait appel au SEV, demandé son soutien et cela a porté ses fruits. Un succès sur toute la ligne. Quels en sont les ingrédients ?
Tout d’abord le lien de confiance entre la section et le SEV. Et celui-ci s’est accentué ces dernières années lors des négociations pour la CCT, entrée en vigueur le 1er janvier 2015. Ce travail de proximité a permis d’être à l’écoute du vécu du personnel. Les problèmes au sein de la LNM ne datent pas des six derniers mois. Il a fallu fixer des priorités: la première, c’était de signer cette CCT qui était attendue depuis plus de 10 ans. Ensuite, à force de récolter des informations auprès du personnel, nous avons pu constituer un dossier solide et crédible, remis au conseil d’administration en septembre. Ce dossier, le SEV l’a soumis aux membres de la section au préalable. Il était important pour moi que la section soit derrière ses conclusions, dont la plus importante était la demande d’un audit externe car on avait l’impression que la LNM était dirigée comme on dirige la fanfare du village.
Et la section était derrière ce rapport ?
Cela ne coulait pas de source, car d’aucuns, et je peux le comprendre, voulaient que l’on exige le départ du directeur. Le lien de confiance avec le personnel était rompu depuis longtemps, mais il était préférable que nos revendications aillent plus loin que le simple départ du directeur. Il était fondamental qu’un organe externe se prononce sur la situation. Dans le processus, cette « patience » de ceux qui voulaient que ça aille vite a été salutaire. Au final, tout le monde tirait à la même corde. Le personnel s’était fédéré autour des conclusions du rapport. Unis, les collègues ont eu le courage, à la mi-octobre, de rencontrer une délégation du CA qui voulait entendre de vive voix si ce qui figurait dans notre dossier était vrai. C’était un moment clé : ils étaient une quinzaine, des navigants et des non-navigants. Précis et cohérents dans leurs déclarations, dignes dans leur posture, malgré les craintes de représailles, malgré le risque de ne plus avoir de travail pour les auxiliaires. Je leur tire mon chapeau ! A partir de là, le CA a demandé un audit externe. Nous souhaitions que l’OFT soit aussi interrogé. Ce fut le cas et cela démontre bien que les problèmes n’étaient pas que d’ordre RH.
Venons-en donc au contenu de ce fameux rapport que le SEV a livré après les vacances d’été. Ce timing ne tombe pas du ciel …
On peut dire que l’électrochoc ou la goutte d’eau qui a fait déborder le lac, c’est un article paru dans l’« Express/L’Impartial » le 1er juillet. On y a appris que la situation financière n’était pas bonne et qu’elle était plombée par la formation du personnel! Mais que ces coûts allaient disparaître en 2017 car, en gros, tout le monde était déjà formé, selon les dires du directeur. Là, nous avons compris que le partenariat social ne comptait plus pour lui. Alors que la formation est inscrite dans la CCT, il n’a jamais mis en place une politique de gestion du personnel allant dans ce sens, si bien qu’avec les départs à la retraite de capitaines ces prochaines années, il risquait d’y avoir pénurie.
Au même moment, une interpellation au Grand Conseil demande d’étudier des scénarios d’avenir pour la LNM. Qu’ont ressenti les collègues dans ce contexte ?
Allait-on fusionner avec une autre compagnie ? La LNM ne peut-elle pas naviguer seule? Autant de questions légitimes alors que nous apprenions par la presse que le CA planchait sur une nouvelle stratégie 2022. Par ailleurs, début 2016, nous avions constaté que la LNM collaborait étroitement avec la CGN et lui louait des capitaines « Vapeur ». Des situations individuelles laissaient aussi craindre le pire. Un jeune capitaine avait passé son examen théorique, un gros morceau, mais il n’a pas pu faire la pratique car la LNM n’a pas jugé opportun de le laisser piloter le temps nécessaire. Or sans pratique, l’examen théorique devient nul et il faut tout refaire. On avait demandé à la direction de la LNM en octobre 2015 de demander à l’OFT une prolongation de la durée de validité du permis théorique. La direction a traîné. Si cette demande avait été faite en temps voulu, l’OFT n’aurait peut-être pas refusé …
Les déboires de l’entreprise étaient aussi connus du côté de l’OFT qui n’avait octroyé une concession que pour 2015 et 2016, au lieu des dix ans habituels. Et pour 2017, la concession n’avait pas encore été accordée en septembre …
La LNM vient à peine de recevoir la concession pour deux ans, 2017 et 2018. Les problèmes de respect des exigences légales, de la Loi sur la durée du travail et de son ordonnance, ont rendu l’OFT prudent. La concession pour deux ans, en 2015, aurait dû retentir comme un avertissement chez le directeur. Au lieu de cela, c’était l’incurie totale. Il a joué avec l’avenir de la LNM. C’est complètement irresponsable.
Les collègues ont aussi craint pour l’état de la flotte. Est-ce réellement si grave ?
Le suivi des avaries sur la flotte a suscité de l’inquiétude car la flotte était mal entretenue. On a senti que l’entretien des bateaux n’était pas une priorité. Le mot d’ordre semblait être « Tant que ça fonctionne, tant mieux », comme un particulier pourrait le dire avec sa vieille bagnole. Seulement ici, on ne parle pas du véhicule d’un privé mais du patrimoine d’une entreprise financée en grande partie par les pouvoirs publics. Et cette gestion du patrimoine aurait pu avoir des conséquences graves sur le personnel.
Qu’entends-tu par là ?
Lors de certains accidents, on a eu des doutes. Etaient-ils liés à des problèmes techniquesou à des erreurs humaines? Le pire dans tout ceci, c’est que le directeur privilégiait l’erreur humaine lorsque certains capitaines étaient à la barre... C’était partial! Cette gestion arbitraire du personnel est clairement ressortie dans l’audit externe.
L’audit a aussi mis en avant la mauvaise répartition des tâches au sein de l’entreprise. As-tu des exemples ?
Le responsable de l’exploitation semblait ne pas avoir le temps de faire ce pour quoi il était payé puisqu’il devait aussi jouer au chauffeur du personnel de Cap Gourmand … Plus grave, il est arrivé que les capitaines soient contredits par le directeur alors qu’ils avaient ordonné à des matelots d’effectuer des heures de travail ! C’était du discrédit total. A contrario, la direction a donné un avertissement à un capitaine parce qu’il n’avait pas surveillé son équipe alors qu’il était à la barre. Il devait donc choisir entre deux consignes contradictoires: tenir la barre ou gérer son équipe. Il ne pouvait que faire faux.
Dans tout ce processus, il est important de souligner la collaboration avec le CA. Tout a (presque) été parfait, non ?
Il faut dire que le CA avait déjà été averti en 2012 par le SEV des dysfonctionnements RH et de gestion du temps de travail. A l’époque, le CA avait voulu laisser une chance au directeur en lui assignant un « coach ».A l’époque, il n’y avait pas eu d’audit aussi approfondi qu’aujourd’hui. Cette fois-ci, la vérité a éclaté au grand jour. Il me tient donc à cœur de souligner l’attitude responsable du CA qui a vu que la situation était grave. Par contre, je ne peux que regretter que dans sa communication, il ne mette pas davantage en avant le rôle joué par le personnel et le SEV dans ce dossier. Il faut le redire: le personnel a montré son attachement à la région, son amour de l’entreprise. Le personnel n’a jamais eu d’autre objectif que la pérennité de la LNM, pas celui de faire tomber des têtes.
Vivian Bologna
« La cohésion du personnel URh était extrêmement forte »
Le personnel de la compagnie de navigation sur le Lac inférieur et le Rhin (URh) a dû s’opposer en 2016 à une attaque massive contre sa CCT. Comment en est-on arrivé là ?
Felix Birchler, secrétaire régional SEV: URh doit motoriser deux bateaux et pour cela, son Conseil d’administration (CA) a demandé aux cantons de Schaffhouse et de Thurgovie un prêt sans intérêt de 2 millions de francs. Les deux cantons ont posé comme conditions que la URh soit assainie et que le CA engage un expert pour cette tâche. Ce dernier a reçu mandat de négocier une nouvelle CCT d’entreprise sur la base des conditions d’engagement de la compagnie de navigation sur le lac de Constance (SBS), ce qui correspond pratiquement au minimum légal. Il y a eu ainsi, dès le 16 juin, plusieurs rencontres où l’expert en assainissement a essayé d’imposer les conditions d’engagement de la SBS. Mais nous n’avons pas voulu accepter toutes ces détériorations. L’expert a perdu peu à peu patience, et a présenté à notre assemblée du personnel du 20 septembre un catalogue de revendications unilatéral. Il a prétendu que le personnel devait l’accepter car sinon l’assainissement échouerait, et tout le monde perdrait son poste. Pour appuyer sa menace, il a déclaré avoir déjà préparé un communiqué de presse. Toutefois, l’assemblée a refusé cet ultimatum à l’unanimité. Cette nouvelle a été transmise par écrit à l’expert seulement une semaine plus tard. Le courrier a aussi été adressé aux membres du CA et aux gouvernements cantonaux. Nous avons précisé dans notre lettre que nous étions prêts à négocier.
Pourquoi l’expert en assainissement n’a pas mis sa menace à exécution ?
Durant la semaine pendant laquelle nous n’avons pas envoyé notre réponse, l’Etat de Schaffhouse a accepté de mettre le prêt au budget et a donné une recommandation dans ce sens au parlement. Les menaces de l’expert se sont ainsi effondrées. Il voulait justement nous forcer à prendre une décision avant cette prise de position du gouvernement schaffhousois. Il y a eu après cela une pause d’un mois dans les négociations.
Les diverses interventions dans les Parlements cantonaux vous ont-elles aidés ?
Oui. Elles ont poussé les deux gouvernements cantonaux à réfléchir et à remettre en question leur demande car elle signifiait l’introduction de conditions d’engagement plus mauvaises. Les médias se sont rués sur l’affaire et les gouvernements ont tenté de trouver des excuses parce qu’ils ne voulaient pas qu’on les accuse de dumping social. Ils ont apparemment demandé à l’expert de se calmer. Nos relations politiques nous ont été très utiles, en particulier les unions syndicales. Lors des négociations qui ont suivi, nous avons remarqué que les employeurs voulaient vite trouver une solution. Nous avons proposé d’inclure dans les négociations le chef des capitaines et le chef du chantier naval. Il y avait ainsi des gens qui connaissaient bien la pratique et grâce à cela, des solutions acceptables ont pu être trouvées en décembre.
Quel rôle ont joué la CCT et le taux d’organisation ?
Sans la CCT il y aurait eu de nouveaux contrats et ceux qui n’auraient pas signé auraient dû s’en aller. Avant le conflit, environ un quart du personnel était membre du SEV, aujourd’hui parmi les 18 employés restants, douze sont membres SEV. Nous avons eu la bonne idée d’inviter tout le personnel à nos assemblées et pas seulement nos membres. Pendant le conflit, tous ceux qui ont pu venir sont venus. La cohésion du personnel est toujours restée au top malgré la pression exercée.
Les connaissances nautiques du personnel lui ont-elles été profitables ?
Oui et non. Bien sûr, la compagnie a besoin de personnes compétentes, mais l’expert n’en a pas tenu compte. Deux personnes du domaine nautique ont été licenciées et trois sont parties d’elles-mêmes.
Markus Fischer/mv