Analyse de la répartition des salaires, des revenus et de la fortune en Suisse
Les coûts augmentent, les inégalités grandissent
En Suisse, la répartition entre les revenus élevés et les autres est devenue encore plus inégale durant les 20 dernières années. Les grands gagnants sont les personnes à revenus très élevés et les ménages qui ont une grande fortune. La politique fiscale est coresponsable de la situation. En effet, les impôts sur le revenu et sur la fortune ont été baissés, ce dont ont surtout profité les personnes à revenus élevés. Les réductions des primes des caisses-maladie, importantes pour les bas et moyens revenus, et les subsides destinés à la construction de logements d’utilité publique n’ont par contre pas été indexés sur l’évolution des coûts.
Les hausses de salaire ont avant tout profité aux revenus élevés et très élevés. L’écart entre les salaires a recommencé à se creuser, spécialement depuis le milieu des années 1990. Les salaires réels du 1 % le mieux rémunéré ont augmenté depuis lors d’environ 40 %, contre 8 %, respectivement 12 % pour les bas et moyens salaires réels. L’individualisation de la politique salariale est le principal moteur de cette évolution, surtout le versement de bonus. De 1996 à 2012, la part de ces derniers à la masse salariale totale est passée de 1,5 à 6 %. Les très hauts revenus s’en sont taillé la part du lion. En conséquence, le nombre de «salarié-e-s millionnaires» a été multiplié par cinq depuis les années 1990.
Point positif: en Suisse, les bas salaires n’ont pas été distancés, à la différence de ce qui a eu lieu en Allemagne ou aux Etats-Unis. Grâce aux campagnes menées ces 15 dernières années par les syndicats pour demander des salaires minimums, d’importants progrès ont pu être réalisés dans le domaine des bas salaires (hôtellerie-restauration, commerce de détail…). La Suisse est l’un des rares pays à compter plus de personnes protégées par une convention collective de travail (CCT) aujourd’hui que dans les années 2000. L’évolution des salaires des personnes titulaires d’un apprentissage inquiète par contre. Entre 1996 et 2012, ces salaires n’ont augmenté que d’un peu plus de 4 % environ.
Bien que la Constitution fédérale exige qu’il y ait égalité de salaire pour un travail de valeur égale, les salaires des femmes sont toujours sensiblement inférieurs à ceux des hommes. En 2012, la différence était de 18,9 %, dont près des deux cinquièmes ne peuvent pas s’expliquer par des caractéristiques comme les qualifications, la position hiérarchique, la branche, etc.
Du pain sur la planche pour compenser ces inégalités
Concernant les rentes de vieillesse, l’AVS a, dans une large mesure, un effet de compensation. Mais la répartition inégale des rentes des deuxième et troisième piliers annule cet effet, ce qui contribue finalement à une répartition des revenus des retraité-e-s, ceux-ci comprenant, en plus des rentes, les revenus d’une activité lucrative et du capital, plus inégale que pour la population professionnellement active.
La répartition du revenu total brut (salaires, revenu de la fortune, rentes, etc.) a continué à se polariser. Les revenus des personnes touchant des salaires très élevés ont beaucoup plus augmenté que ceux des autres. Le revenu moyen de 90 % des contribuables a même stagné pendant les années 2000.
La baisse des impôts a profité aux plus riches
La fiscalité n’a pas comblé ces écarts. Au contraire, elle a même tendanciellement renforcé les inégalités. Alors que les revenus supérieurs profitaient de la baisse des impôts sur le revenu, les bas et moyens revenus ont vu leur charge croître surtout à cause des primes individuelles des caisses-maladie. La charge des 10 % de ménages à une personne aux revenus les plus faibles a augmenté de 130 francs par mois, de 140 francs pour les revenus moyens.
Le 1 % des personnes aux revenus les plus élevés paie par contre 50 francs de moins d’impôts et de taxes. Pour les ménages constitués d’un couple ayant deux enfants, la charge supplémentaire est de 170 (10 % inférieurs) ou 110 francs (revenus moyens). Ici aussi, le 1 % supérieur a par contre vu sa charge diminuer, et cela de 150 francs.
La fiscalité suisse n’a donc qu’un faible effet de progressivité. Si les tarifs d’impôt de la Confédération et de la plupart des cantons sont progressifs, lorsque l’on ajoute les impôts indirects et les primes des caisses-maladie, on obtient une charge presque proportionnelle pour une grande partie des classes de revenu. C’est particulièrement vrai pour les ménages à une personne. En comparaison internationale, le système fiscal suisse fait partie des systèmes les plus injustes du point de vue de la répartition des revenus et de la fortune. Il ne corrige guère les différences existant au niveau des revenus primaires. Les primes individuelles de l’assurance-maladie, dont l’effet sur les revenus est dégressif, en sont la principale cause.
Depuis 1997, les primes des caisses-maladie ont augmenté de 90 % en termes réels. Les réductions des primes n’ont pas tenu le rythme de cette hausse, la réduction moyenne par personne n’ayant augmenté que de 36 %. Depuis peu, la pression sur les réductions des primes s’est accentuée à cause des programmes d’austérité de quelques cantons. La charge que représentent ces primes pour les ménages privés ne cesse de s’alourdir. La promesse faite, lors de la révision de la loi sur l’assurance-maladie, de contenir cette augmentation par des réductions de primes supplémentaires n’a pas été tenue.
Hausse des loyers
Les loyers suisses ont en moyenne augmenté de 16 % entre 2002 et 2012, ce qui représente 270 francs de plus par mois pour les familles à revenus moyens et 90 francs de plus pour les personnes à revenus moyens vivant seules. Confédération, cantons et communes en sont coresponsables pour avoir divisé par plus de deux (par rapport aux dépenses totales) depuis les années 1990 leurs subsides à la construction de logements d’utilité publique.
Fortune mal répartie
La fortune est très inégalement répartie dans notre pays. Le 1 % le plus riche des contribuables possède 40 % de la fortune nette imposable totale (chiffres les plus récents datant de 2011). Ce sont là 590 milliards de francs et donc bien plus que ce que les 90 % au plus bas de l’échelle se partagent: 384 milliards de francs, ou 26 % de la fortune. Avec une répartition aussi inégale, la Suisse fait partie des pays développés les plus inégalitaires du monde.
En Suisse, les bases statistiques sont insuffisantes. Les questions de répartition de l’Enquête sur le budget des ménages de l’Office fédéral de la statistique ne sont posées qu’à environ 0,4 % des ménages et ne se prêtent guère à ce genre d’analyse. La répartition inégale des revenus et de la fortune est tendanciellement sous-évaluée. C’est pourquoi l’Union syndicale suisse (USS) a développé un vaste modèle de calcul qui est mieux en mesure de reproduire l’évolution des bas et hauts revenus.
USS