Journée de la migration
« En fait, nous voulions rentrer »
La Journée de la Migration du SEV a attiré une cinquantaine de personnes le 7 novembre à Olten, dans l’hôtel du même nom. Une journée dont la thématique est d’actualité pour les migrant-e-s: « En fait nous voulions rentrer », soit la traduction du titre du documentaire du réalisateur Yusuf Yesilöz «Eigentlich wollten wir zurückkehren».
Un documentaire sous-titré en français et en allemand, diffusé justement en matinée et qui a lancé les discussions. Les italophones bénéficiaient de la traduction simultanée.
A travers les témoignages de trois couples de migrants originaires de Turquie et des Balkans, le réalisateur d’origine kurde met le doigt sur une réalité qui touche en premier lieu les migrant-e-s de la première génération arrivé-e-s à la retraite. Rester ou partir? Ou faire un peu des deux. Dans le documentaire justement, on apprend qu’un tiers d’entre eux retourne dans son pays d’origine, un tiers reste en Suisse – mais ce chiffre est en augmentation – et un tiers effectue des allers-retours réguliers. Par ces témoignages, le réalisateur a mis en exergue les questionnements de ces migrants: pour les uns, le pays natal n’est plus vraiment le leur tout en estimant être encore considérés comme des étrangers en Suisse. Pour d’autres, au contraire, ils ont leurs habitudes dans leur village natal mais leurs enfants et leurs petits-enfants sont en Suisse et n’ont guère d’attaches avec la terre de leurs parents. Et il y a ces couples où le mari et l’épouse n’ont pas le même point de vue sur le lieu de la retraite …
Au terme du documentaire, questionné par le secrétaire syndical responsable de la Commission migration Arne Hegland, mais aussi par les participant-e-s, le réalisateur estime «qu’il peut y avoir plusieurs pays d’origine». Concernant son identité, il a dit se sentir un citoyen du monde et être dérangé qu’on le considère comme un étranger en Suisse alors qu’il y vit depuis 28 ans et qu’il est double national ...
Il a aussi évoqué cette rencontre lors de son tournage en Macédoine de cet ancien de la Lufthansa qui avait fait le choix de retourner au pays et qui portait souvent son uniforme de travailleur. « Il était regardé de travers avec ses habits d’Occidental. Il n’est pas resté longtemps. Il est retourné en Allemagne. »
Au fait, que faire sur le plan syndical ? « Il est important que les migrant-e-s aient des contacts en dehors des concitoyens du pays d’origine. L’employeur devrait libérer ses employé-e-s pour apprendre la langue du pays d’accueil. Apprendre le soir après des journées de travail, qui en a encore l’énergie ? », a-t-il questionné.
Pour le remercier de sa présence, Arne Hegland a offert à Yusuf Yesilöz quelques petits cadeaux symboliques : un canif bien suisse, un stylo pour poursuivre l’écriture de ses romans et … un fromage turc, le Gazi, qui a plu à notre homme : « Bon, j’ai appris que l’entreprise qui le produit est espagnole … » La prochaine Journée de la migration aura lieu le samedi 5 novembre 2016.
Après un repas de midi empreint de saveurs helvétiques, turques et balkaniques, les participant-e-s ont travaillé au sein de cinq groupes où la question du retour était abordée sous l’angle des générations, de la patrie, des motivations au retour, des facteurs économiques, des relations politiques.
Dans le groupe dédié aux différences entre générations, c’est notamment la perte culturelle et linguistique qui a été mise en avant en cas de retour dans le pays natal. Une transmission jugée fondamentale pour la 3e génération. Le retour est aussi vu comme une migration solitaire.
Les facteurs politiques d’ici et du pays natal ont bien évidemment un rôle important dans la prise de décision: les problèmes ethniques/politiques qui ont poussé à l’exil; les droits politiques en Suisse et dans le pays d’origine; et du point de vue syndical le droit de grève moindre en Suisse.
Sans surprise, les facteurs économiques pèsent lourd dans la balance: le standard de vie en Suisse, mais aussi le niveau de vie dans le pays natal, notamment à la retraite. La qualité du système de santé, de la prévoyance sociale et des assurances sociales jouent un rôle non négligeable, sans oublier évidemment que les facteurs économiques comptent souvent plus que les émotions. «Peut-on se permettre financièrement de rentrer au pays?»
Le dernier atelier était consacré aux motivations au retour, respectivement au fait de rester: si le pays est limitrophe de la Suisse, il sera plus simple de rester car les trajets permettent de s’y rendre facilement. De même si l’on parle la langue du pays d’accueil. Ceux qui ont émigré avant 35 ans auront passé plus de temps dans le pays d’accueil. Ils auront tendance à rester en Suisse.
Enfin, si la famille est restée au pays d’origine, ça pourrait être une raison d’y retourner. La votation du 9 février 2014 pousse nombre de migrant-e-s à se demander: «Suis-je encore le ou la bienvenu-e?»