Bilan de l’efficacité des mesures d’accompagnement à la libre circulation des personnes Suisse - Union européenne
Même les transports publics ne sont pas épargnés par le dumping social et salarial
Cela fait dix ans que l’accord sur la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’Union européenne est entré en vigueur. Le dumping salarial et social est combattu par les mesures d’accompagnement. Dumping qui n'épargne pas certains secteurs des transports publics, comme les lignes de bus sous-traitées et les remontées mécaniques.
Il n’y a pas photo. La Suisse, avec son taux de chômage de 2,8 % attire la main-d’oeuvre de l’Union européenne dont le taux de chômage moyen est d’environ 12 %. L’accord sur la libre circulation des personnes facilite la venue de maind’oeuvre étrangère dans notre pays. Notre économie en a grand besoin. Mais cet afflux entraîne des risques de sousenchère salariale au détriment des travailleurs déjà établis en Suisse. Les syndicats se sont battus pour que la Confédération instaure des mesures d’accompagnement à cette libre circulation des personnes pour pouvoir lutter contre le dumping salarial et social.
Abus
Mercredi 3 octobre, l’Union syndicale suisse a mis sur pied à Berne une journée pour faire le bilan de l’efficacité de ces mesures d’accompagnement. « Ce qui est positif, c’est que tous les cantons sont désormais équipés de structures qui, dans le cadre des mesures d’encadrement, permettent de détecter la sous-enchère salariale. Les outils existent, il faut les utiliser », a affirmé Daniel Lampart, l’économiste en chef de l’USS. Malgré les contrôles effectués dans les cantons, les abus persistent. Le président de l’USS Paul Rechsteiner a récemment dénoncé « ces abus grossiers qui s’accumulent, par exemple les salariés de l’usine d’incinération des déchets de Winterthour qui ne reçoivent que 8 fr. 45 de l’heure au lieu des 22 fr. 70 garantis par la convention collective de travail ». Le 3 octobre à Berne, Renzo Ambrosetti, coprésident d’Unia, a dénoncé le fait que « des personnes dans notre pays travaillent pour moins de 2000 francs par mois, c’est scandaleux ! C’est pourquoi il faut partout des conventions collectives de travail ou, pour le moins, instaurer des salaires minimum obligatoires ».
Quelques repères sur la libre circulation des personnes et les mesures
- Les accords bilatéraux ont été acceptés le 21 mai 2000 par 67,2 % de oui ;
- L’accord sur la libre circulation des personnes est progressivement entré en vigueur dès le 1er juin 2002 ;
- Les premières mesures d’accompagnement ont été introduites le 1er juin 2004 et renforcées en 2006, leur objectif est d’éviter que l’assouplissement de l’accès au marché suisse du travail par les travailleurs étrangers n’entraîne une détérioration des salaires et des conditions de travail en Suisse (sous-enchère salariale et sociale) ;
- Les mesures d’accompagnement s’articulent autour de 5 réglementations : 1. Loi sur les travailleurs détachés ; 2. Extension facilitée des conventions collectives de travail ; 3. Contratstypes de travail fixant des salaires minimaux contraignants ; 4. Commissions tripartites (autorités, employeurs, syndicats) ; 5. Commissions paritaires des conventions collectives de travail ;
- Depuis l’entrée en vigueur de l’accord bilatéral sur la libre circulation des personnes, 370 000 personnes originaires d’un pays de l’Union européenne se sont établies en Suisse, près de la moitié d’entre elles (47 %) sont venues d’Allemagne, 20 % du Portugal, 11 % de France et 5 % de Grande-Bretagne ;
- En 2011, quelque 32 500 entreprises (18 000 entreprises suisses et 14 500 entreprises de l’UE détachant des travailleurs en Suisse) ont été contrôlées. Le 14 % des entreprises de l’UE et le 9 % des entreprises suisses pratiquaient la sous-enchère salariale. Les conditions de travail et de salaire de plus de 140 000 personnes ont été examinées.
AC
Le SEV sur ses gardes
Le SEV est aussi confronté à des cas de dumping salarial, notamment provoqués par la chaîne des sous-traitants chez les compagnies de bus. Par ailleurs, notre syndicat veille au recrutement de la main-d’oeuvre hors de nos frontières par les entreprises de transports publics, comme le font les CFF.
Dans ce cas précis, « des salaires à l’embauche peuvent être durant deux ans 10 % inférieurs aux salaires minimums inscrits dans la CCT », a communiqué le SEV lorsque ce printemps la polémique sur les offres d’emplois CFF hors de nos frontières a fait la une des médias helvétiques. Mais, comme le souligne Daniel Lampart dans l’interview ci-contre, le monde des transports publics est relativement bien protégé contre la sous-enchère salariale, grâce notamment aux bonnes conventions collectives de travail.
Enjeu crucial
Les participants à la journée mise sur pied par l’Union syndicale suisse espèrent vivement que la récente décision du Conseil des États d’instaurer la responsabilité solidaire soit également acceptée au mois de novembre par le Conseil national. La lutte contre le dumping salarial est un enjeu vital non seulement pour le monde du travail, mais aussi pour la cohésion nationale. Ce thème du dumping figurera à coup sûr au coeur des débats lors des campagnes qui précèderont la votation sur l’extension à la Croatie de l’accord bilatéral de la libre circulation des personnes ainsi que les votations sur les initiatives « Contre l’immigration de masse » de l’UDC et « Halte à la surpopulation » de l’association « Ecologie et population ».
AC
Les CFF recrutent hors de nos frontières
Profitant des opportunités offertes par l’accord sur la libre circulation des personnes, les CFF vont recruter activement hors de nos frontières. Les 20 et 21 septembre derniers, l’ex-régie fédérale a tenu un stand au Forum de l’emploi transfrontalier en France voisine, à Annemasse près de Genève. Les professions d’agents commerciaux, de chefs de circulation des trains, de constructeurs de voies ferrées et de poseurs de caténaires ont été présentées. Ce recrutement des CFF hors de nos frontières n’est pas une nouveauté. « En 2010 déjà, nous avions activement prospecté en France à la recherche d’agents de train pour notre filiale Lyria. Les CFF recrutent du personnel en France mais aussi en Allemagne voisine, » relève Patricia Claivaz, porteparole des CFF.
Inquiétude au Parlement fédéral
Cette politique de recrutement hors de nos frontières fait des vagues jusqu’au Parlement fédéral. « Les Suisses incapables de travailler aux CFF ? », tel est le titre de la question posée au Conseil fédéral le 28 février de cette année par le conseiller national PDC valaisan Yannick Buttet. Dans sa réponse, notre gouvernement précise que « plus de 80 nationalités sont représentées au sein des CFF. La politique d’engagement est ouverte et non discriminatoire : les conditions d’engagement et les salaires sont les mêmes pour tous, que les candidats soient suisses ou étrangers. En 2011, les CFF ont engagé plus de 1000 nouveaux collaborateurs, dont des frontaliers, qu’ils soient français, allemands ou italiens. » Patricia Claivaz confirme « que les CFF ne cautionnent en aucun cas le dumping salarial. Les conditions d’engagement et les salaires sont les mêmes pour tous, que nos collaborateurs soient domiciliés en Suisse ou à l’étranger. »
La DB débauche en France
Les CFF ne sont pas les seuls opérateurs ferroviaires à vouloir recruter du personnel à l’étranger. La « Deutsche Bahn » a utilisé des moyens moins élégants en cherchant à débaucher des cheminots français directement via le site Intranet de la SNCF. Ce qui a provoqué l’ire de Guillaume Pépy, CEO de la SNCF : « Plutôt que de se payer un cabinet de chasseurs de têtes, la DB se rend sur notre Intranet. C’est illégal ! »
Si dans le cadre de la libéralisation du rail on impose les règles de l’interopérabilité pour contraindre les trains en provenance des pays voisins de respecter les règles de circulation suisses, c’est la moindre des choses qu’il en soit de même pour les personnes : les conditions de travail « suisses » doivent être respectées.
AC