Navigation: grève d’avertissement au Tessin
Grève d’un jour sur le Lac Majeur
Mardi 3 juillet, le travail s’est arrêté sur le bassin suisse du Lac Majeur: seules les premières et les dernières courses ont circulé afin de garantir le transport des pendulaires de la région de Gambarogno. Durant le reste de la journée, les bateaux sont restés à quai. La Société de Navigation du Lac de Lugano (SNL) a tenté d’assurer un service partiel avec le personnel de Lugano. La lutte pour la défense des conditions salariales revêt une importance toute particulière dans un canton où le dumping salarial est le lot quotidien et où le marché du travail est constamment confronté à une concurrence malsaine.
Il est 8h30: on croise les bras après les premières courses du matin qui ont assuré le transport des pendulaires. A 8h35, les téléphones des syndicalistes commencent à chauffer. On communique la grève d’une journée (contenu et modalités) à la direction de la SNL et aux représentants du canton. Angelo Stroppini, secrétaire syndical SEV et responsable des négociations CCT, rappelle qu’il s’agit d’une grève décidée par le personnel ex-NLM : « Après avoir évalué, lors d’une assemblée, les résultats des négociations en cours pour leur future CCT, ils ont constaté que leurs salaires allaient subir une forte baisse à partir du 1er janvier de l’année prochaine. Il s’agit purement et simplement d’une affaire de dumping salarial, d’autant plus grave que l’entreprise bénéficie d’importants subsides cantonaux ». Cette évaluation est pleinement partagée par le secrétaire cantonal d’UNIA Enrico Borelli et par le secrétaire syndical de l’OCST, Lorenzo Jelmini. Les trois syndicalistes soulignent que la situation d’impasse dans laquelle tout le monde se trouve actuellement est due à l’intransigeance de l’employeur, la SNL.
Les employé-e-s ex-NLM savaient très bien que les salaires seraient le point d’achoppement dans les négociations sur la nouvelle CCT. Ils étaient prêts, et le sont d’ailleurs toujours, à entrer en discussion sur ce thème sensible. Ils savaient que dans le cadre de ces négociations, qui s’avéraient très difficiles depuis une année déjà, il fallait faire des concessions. Et les faits l’ont confirmé. Angelo Stroppini explique que «la délégation syndicale a rencontré quatre fois la partie opposée. A chaque fois, la direction a répété que dès le 1er janvier 2019, les salaires seront ceux prévus par l’échelle salariale du règlement d’entreprise de la SNL. Cela signifie une réduction d’environ 15% au minimum. Un tel scénario n’est pas acceptable si l’on considère que l’entreprise bénéficie, grâce à la grève de l’été dernier, d’un important soutien financier du canton». Nous sommes face à une forme évidente de dumping salarial. Il est du devoir de tout syndicaliste de combattre une telle tentative de baisse des salaires. Le travail doit être valorisé. On ne peut pas refuser de considérer la valeur du travail.
« L’obstination de la direction de la SNL est encore moins compréhensible au vu du business plan présenté à plusieurs occasions, qui proposait une solution viable: une adaptation du revenu des salariés SNL de 5%, salaires qu’il s’agirait ensuite d’appliquer au personnel des deux lacs. Le calcul a été fait sur une base de 32 employés sur le bassin suisse du Lac Majeur et non pas de 17, chiffre correspondant à la force actuelle de travail sur le Lac Majeur ».
Le salaire représente un élément essentiel du contrat de travail et cela n’est pas prêt de changer. En effet, ni la compassion, ni les recommandations paternalistes ne font bouillir la marmite. Et de plus, ceux qui les prodiguent ont de bons salaires et des conditions de travail sûres. Evidemment qu’on arrive tous à la fin du mois en même temps. Mais pour celles et ceux qui ont un salaire insuffisant et une famille à nourrir, la situation devient précaire. Et derrière chaque travailleur il y a une famille ! C’est pourquoi il faut trouver un accord sur les salaires avant d’entamer les discussions sur le reste de la CCT. Angelo Stroppini, Enrico Borelli et Lorenzo Jelmini expliquent toutefois « qu’aujourd’hui, on demande au personnel ex-NLM de travailler avec la perspective d’avoir moins de jours libres et moins de salaire ».
Au vu de cette situation complètement bloquée, les employé-e-s ont décidé de défendre leurs droits avec cette même détermination dont ils ont fait preuve pour faire démarrer le nouveau consortium, lorsqu’ils se sont retrouvés avec une planification du temps de travail des plus pénibles à cause du manque de personnel.
Quelques matelots ont confié leurs craintes: « Nous nous serions bien passés de cette mesure de lutte mais, grâce à elle, nous espérons pouvoir débloquer la situation dans laquelle nous nous sommes embourbés durant les derniers mois, car le temps passe et cela devient pesant ». Se retrouver dans l’incertitude au niveau professionnel est une expérience qui met à rude épreuve et qui ronge. La preuve en est que beaucoup d’anciens employé-e-s de l’ex-NLM ont changé de profession. Les navigants, qui aiment leur travail et qui connaissent bien le territoire sur lequel ils évoluent depuis des années, demandent juste de pouvoir continuer à pratiquer leur métier avec des conditions d’engagement et de salaire garanties dans une convention collective de travail.
Il s’agit aussi de préserver la dignité dans un sens plus général. Cela touche toutes les catégories professionnelles. Enrico Borelli l’a dit très clairement lors de la conférence de presse: « le marché du travail fait froid dans le dos. Il est capable d’effacer d’un seul coup d’éponge les postes de travail, les droits, et la dignité ». Citons le cas emblématique d’OVS, le magasin d’habits qui licencie des centaines de personnes sans le moindre plan social, faisant fi des droits les plus élémentaires. Une délégation du personnel de vente licencié a exprimé sa solidarité au personnel navigant, montrant la grande valeur du courage et de la dignité. En fait, tous ceux qui luttent pour leurs droits sont respectés, sans exception, et pleinement. « Nous nous retrouvons tous sur le même bateau et espérons rester à flot » a déclaré au personnel navigant une vendeuse licenciée qui a été brusquement entraînée dans l’incertitude par son employeur.
Encore un autre terme clé : la solidarité. Pour pouvoir naviguer avec un minimum de sérénité, il faut de la solidarité. Les employé-e-s qui ont déjà vécu la grève historique de 2017 le savent très bien. « Cet esprit, qui fait honneur à ces collègues, s’est fait ressentir hier aussi avec le personnel de Lugano appelé à les remplacer pour assurer les courses. La reprise du travail s’est faite dans le calme, sans faire de vaines polémiques et sans conflit. Les gens ont fait preuve de responsabilité et de sensibilité » conclut Angelo Stroppini.
Aujourd’hui, on parle de reprendre le dialogue sur les conditions à appliquer en 2019. C’est sur cela que portent les négociations. Parce que si l’accord conclut avec le canton et la ville de Locarno a donné des garanties pour 2018, tout le reste encore à négocier.
Françoise Gehring