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Mise au concours de lignes de bus à Neuchâtel

Appel d’offres, cheval de Troie néolibéral

L’été dernier, deux lignes de bus de l’Ouest du Littoral neuchâtelois étaient mises au concours dans un appel d’offre. Le canton a informé en décembre de son intention d’adjudication à CarPostal. En offrant aux cantons la possibilité de recourir à des mises au concours pour l’exploitation de lignes de bus, la Confédération a ouvert la boîte de Pandore du libéralisme et de la marchandisation des services publics.

Les appels d’offre, une arme pour libéraliser les lignes de bus et dégrader les conditions de travail craignent les salarié-e-s de TransN.

A l’été 2016, deux lignes neuchâteloises de bus, la 612 (Boudry–Gorgier–St-Aubin) et la 613 (Boudry Littorail–Areuse Littorail) ont été mises au concours. En charge de ces lignes, les Transports Publics Neuchâtelois (TransN), comme d’autres, ont répondu à l’appel d’offres du canton, par ailleurs actionnaire majoritaire de l’entreprise. C’est avec stupéfaction que TransN et les salariés ont appris récemment que les commanditaires lui ont préféré CarPostal. « L’expérience nous a déjà démontré que ce type d’adjudication, au rabais, favorise des entreprises pratiquant le dumping social », indique Jean-Pierre Etique, en charge du dossier au SEV. « Même si le Code des obligations précise que les rapports de travail du personnel transféré doivent être respectés durant une année, personne n’est dupe : après cette échéance, les conditions d’engagements seront revues à la baisse. Nous refusons que les salarié-e-s soient victimes de cette politique libérale. »

Cadre néolibéral

On peut se dire que c’est le jeu dans un marché ouvert et que la meilleure offre l’a emportée. Le problème, du point de vue du syndicat, n’est pas tellement de savoir qui a remporté l’offre, que de dénoncer ces appels d’offres qui contiennent en eux-mêmes cette logique de moins-disant social et de récompense pour l’offre la moins chère, sans s’interroger sur son coût social. On peut bien sûr trouver curieux que CarPostal fasse des offres supérieures à ses concurrents dans les cantons où il est en place et inférieures quand il est un nouvel entrant. Mais c’est bien la logique néolibérale même de ces procédures d’adjudication que le SEV condamne. Une fois le cadre – néolibéral – posé, on ne peut guère s’étonner que le canton de Neuchâtel, pris dans une situation financière négative, soit tenté de faire des économies à court terme, même au dépend d’une entreprise dont il est l’actionnaire majoritaire et dans laquelle il a beaucoup investi ces dernières années.

Situation financière difficile

Le canton de Neuchâtel connaît une situation financière difficile et envisage un déficit de 66 millions en 2018, sous réserve du budget final. Différentes mesures d’économie sont envisagées, en particulier des coupes dans le social et le culturel. L’économie de bout de chandelle ainsi faite en donnant sa préférence à l’offre à bas coût du Géant jaune pourrait néanmoins se révéler contre-productive au vu de son coût social et économique. Entre le chômage des conducteurs et le risque de devoir racheter les parts des communes qui pourraient se retirer de transN, pas sûr en effet que l’opération soit rentable pour le canton. Le SEV a demandé à être reçu par les autorités neuchâteloises pour leur faire part de leurs inquiétudes quant à une possible dégradation des conditions de travail.

Marchandisation des services publics

L’origine de ces pratiques problématiques de mise au concours est à chercher dans l’Angleterre de Madame Thatcher. Au début des années 1980, celle-ci a en effet mis en place une politique néolibérale et lancé deux formes différentes de privatisation caractéristiques: la vente de services publics et l’introduction en force par le gouvernement des «appels d’offres compétitives obligatoires» dans les administrations locales, puis nationales. Cette mise en concurrence avec le privé – l’appel d’offre servant ainsi de cheval de Troie au néolibéralisme – entraîna sans surprise une pression à la baisse sur les salaires et les conditions de travail et introduisit une nouvelle précarité. Si cela conduit à une baisse substantielle du nombre de syndiqués, les implications pour l’Etat en termes de dépenses ont été en fait négatives, notamment en raison du coût des allocations chômage. L’Acte unique européen a introduit en 1986 un nouveau régime selon lequel les procédures d’adjudication sont mises en place comme normes dans tous les services publics au sein de l’Union Européenne. Cette volonté d’offrir le service public en pâture aux entreprises privées s’est traduite ensuite dans la volonté du GATT puis de l’OMC d’inclure les services dans leurs accords (AMI, CETA, TTIP/TAFTA, TISA).

Pris dans ce vent néolibéral qui souffle depuis la chute du Mur de Berlin et les livres blancs des Schmidheiny, de Pury et consorts, la Suisse, qui compte un millier de lignes de bus régionales, s’est alignée sur cette politique de marchandisation des services publics. En offrant aux cantons la possibilité de recourir à des mises au concours pour l’exploitation de lignes de bus, la Confédération a ouvert la boîte de Pandore du libéralisme et de la marchandisation des services publics. Plus de trente lignes ont été mises au concours depuis 1996, « dans l’idée de gagner en efficience et en compétitivité » écrit noir sur blanc l’Office fédéral des transports (OFT). La même logique de concurrence à tout crin avec les mêmes conséquences contamine les transports helvétiques par route ou par rail.

Responsabilité solidaire

Comme le SEV et syndicom le défendent dans le cas jurassien, il est primordial d’inclure les conditions de travail dans l’appel d’offre, ces éléments protégeant les salariés qui ne doivent pas faire les frais de cette spirale sociale vers le bas. Par ailleurs, il serait temps que le domaine des transports connaisse le concept de « responsabilité solidaire » comme dans l’attribution de marchés publics dans la construction. L’entreprise qui gagne l’appel d’offre est alors responsable et punissable en cas de non-respect par les sous-traitants des conditions minimales de travail et de salaire.

Rien n’est définitif dans l’attribution des deux lignes neuchâteloises puisque, à la suite de la communication de l’intention d’adjudication, l’OFT lancera la consultation dans le cadre de la procédure de concession. Il est indispensable que, tant dans le cas jurassien que neuchâtelois, mais également dans tous les autres cantons, l’OFT pose le respect des CCT ou des conditions en usage comme condition minimale pour attribuer une concession. Il faut poser des garde-fous pour que la Suisse ne suive pas les dérives anglaises dont Ken Loach a rendu compte dans son film The Navigators qui dénonçait la détérioration des conditions de vie des ouvriers du rail et la montée de l’insécurité au profit de la rentabilité.

Yves Sancey