La votation ne représente pas la fin de la discussion sur le service public
«Nous voulons de l’humanité sur le rail»
Au final le résultat était encore plus clair que ce qui était attendu. L’initiaitive « En faveur du service public » a été nettement refusée, en particulier parmi le personnel concerné. Le SEV s’était engagé contre cette initiative, mais estime que le thème reste actuel, comme le confirme Giorgio Tuti dans cet interview.
contact.sev : Giorgio Tuti, quelle a été ta réaction en entendant les premiers résultats dimanche 5 juin?
Giorgio Tuti : J’ai d’abord été soulagé et content que notre campagne ait été victorieuse. Ensuite, j’ai été surpris par le pourcentage de non, qui n’était pourtant pas si élevé lors des sondages.
Le SEV s’est fortement enagé dans cette campagne, entre autres par des lettres ouvertes dans plusieurs journaux, lettres que tu as cosignées. Cela n’a pas été compris par tous les membres, puisque certains avaient de la sympathie pour les revendications des initiants.
Ces sympathies ont constitué un gros malentendu dans cette votation ! Ce que les initiants disaient et ce qui était écrit dans le texte de leur initiative n’était pas du tout identique. C’est pourquoi nous avons dû dire à nos membres ainsi qu’aux client-e-s des transports publics et des autres services publics que cette initiative était une tromperie. S’il avait vraiment été possible, en glissant un oui dans l’urne, d’empêcher les fermetures de bureaux de poste et de guichets de gare, nous aurions bien sûr soutenu cette initiative. Mais ce n’était pas le cas.
En d’autres termes, l’initiative est refusée mais les inquiétudes perdurent ?
Oui, c’est exactement ça. Nous critiquons depuis longtemps la déshumanisation des transports publics, avec les CFF en point de mire. Nous nous engageons pour qu’il y ait du personnel en uniforme dans les gares et dans les trains, du personnel qui soit à disposition de la clientèle pour donner des renseignements. Du personnel qui connaisse les prestations des chemins de fer et qui soit compétent. Les CFF ont toujours fait la sourde oreille. L’intiative avait fortement ciblé sur ce problème et nous faisons tout notre possible pour que la pression subsiste. Nous voulons de l’humanité dans les chemins de fer.
Il y a aussi le « salaire » de Meyer …
Ici aussi, nous n’avons laissé aucun doute sur le fait que nous trouvons également que le salaire de Meyer, de plusieurs centaines de milliers de francs supérieur à son prédécesseur, n’est pas du tout adéquat. Nous nous étions engagés pour l’initiative 1:12. Mais notre tâche à nous est de veiller à ce que chaque personne travaillant dans les chemins de fer reçoive un salaire décent. C’est un objectif de base en matière syndicale. Jusqu’à présent, nous réussissons bien à ce niveau, mais nous voyons que la pression augmente pour libéraliser au maximum. Actuellement par exemple, le BLS exige une liberté totale en lieu et place de règles claires du système salarial, ceci dans le cadre des négociations sur la convention collective de travail. Et nous allons entendre ce refrain un peu partout ces prochaines années.
Y a-t-il certains signes qui pourraient faire penser que le vent va tourner ?
Pas vraiment ! Quand nous voyons que l’Union européenne est en passe d’adopter son quatrième paquet ferroviaire, qui prévoit entre autres la libéralisation totale du Trafic Voyageurs, nous devons nous rendre compte que la pression va encore prendre de l’ampleur.
Revenons en Suisse : il y a des interventions politiques déposées ou annoncées qui demandent des discussions sur le service public. Ça montre bien que les opposants à l’initiative viennent de deux fronts différents: il y a ceux, comme le SEV, qui y ont perçu un trop grand danger de libéralisation et privatisation et ceux qui estimaient que l’initiative n’allait pas assez loin dans cette direction-là. Qu’attends-tu maintenant du monde politique ?
Depuis les dernières élections, les majorités se sont déplacées, aussi bien au Conseil National qu’au Conseil fédéral. On a vu en conséquence, durant les premiers mois, que les politiciens voulant libéraliser et tailler dans le social se sont sentis pousser des ailes. Entretemps, heureusement, le Conseil des Etats a maintenu ses positions et corriger certains points. On l’a bien vu en ce qui concerne la loi sur l’ouverture des magasins et la réforme fiscale des entreprises.
Une lueur d’espoir ?
Non, pas même l’hypothèe qu’on soit en train de retrouver la voie de la raison. Si même les grands journaux bourgeois mettent les parlementaires en garde contre des dépassements d’objectifs, il est dès lors clair que la démocratie de référendum gardera sa fonction en Suisse.
Le Parlement va-t-il limiter les salaires des hauts dirigeants ?
Nous verrons bien ce que les initiatives ont comme effet. Ce serait extra en effet! Mais si la voie politique ne réussit pas, ça restera toujours une tâche syndicale.
En matière de politique des transports, ça s’est calmé. La situation est-elle désormais plus stable ?
Non, dans la politique des transports suisse, le fantôme de la libéralisation plane toujours: depuis la fameuse stratégie 2030 de l’Office fédéral des transports, nous voyons bien qu’on va dans cette direction. Le Conseil fédéral va bientôt sortir un rapport de base sur le trafic régional et nous devons nous attendre à de prochaines vagues de privatisations et réductions des coûts. Nous sommes prêts à nous battre et allons, avec nos alliés politiques, continuer à nous engager pour le service public. C’est notre tâche et cela a été clairement demandé lors de la campagne !
Questions: Peter Moor/Hes
« Le bien-être doit être la priorité »
L’USS a combattu l’initiative « En faveur du service public » avec à ses côtés le SEV et les autres syndicats concernés. Pour la responsable du dossier, Dore Heim, il est clair que c’est maintenant que la discussion commence.
contact.sev : Que reste-t-il du débat déclenché par l’initiative sur le service public ?
Dore Heim : On sait maintenant surtout que lorsqu’on parle des CFF, de la Poste et de Swisscom, cela devient vite très émotionnel. Il y a par ailleurs déjà un fossé dans notre population: certains se sentent délaissés par ces entreprises, d’autant sont satisfaits de leurs services. Et il y a aussi une partie de la population, une minorité heureusement, pour qui il n’est pas certain que les services publics soient une base nécessaire pour faire fonctionner notre société. Nous avons déjà pu voir cela il y a une année lors du vote sur la loi sur la radio et télévision.
Qu’est-ce que cela signifie pour les futurs débats ?
L’initiative a déjà déclenché une sorte de tempête contre les entreprises liées à la Confédération. Nous devons prendre cela en compte, car ça concerne nos membres, qui y travaillent. Il y a eu des interventions parlementaires qui prônent une privatisation totale de Swisscom. Et dans le cadre de la votation actuelle, de nombreux parlementaires ont déclaré ne pas partager notre idée des services publics.
Comment l’opinion syndicale sur le service public se distingue-t-elle ?
Dans le cadre de cette votation, on a bien vu que nous autres syndicats, mais aussi une large partie de la population, souhaitent des entreprises liées à la Confédération fortes avec de bonnes prestations, bon marché, ainsi qu’un rapport raisonnable entre les hauts et les bas salaires. Le bien-être doit être une priorité et ces entreprises doivent veiller à offrir de bonnes conditions de travail. Il faut suffisamment de personnel et d’employé-e-s qui ne soient pas constamment sous la pression du temps, car c’est uniquement ainsi qu’on peut garantir de bonnes prestations.
Où aura lieu la prochaine lutte à propos du service public ?
Il semblerait qu’une discussion longue et très intensive se profile sur le service public dans les médias. L’initiative No Billag a été déposée cette année, et nous attendons le rapport du Conseil fédéral sur le service public dans les médias électroniques, donc en particulier la SSR, pour la semaine prochaine.
Le Conseil fédéral ne va pas donner une orientation bien différente, puisque sa commission des médias a jugé la situation actuelle plutôt positive dans un rapport.
Le Conseil fédéral ne va pas jeter le concept éprouvé de la SSR par-dessus bord. Mais il y a des courants forts au Parlement, qui estiment que la SSR est trop puissante. Il est surtout question ici de l’avenir au niveau numérique. C’est en avant-plan dans les médias électroniques, mais pas seulement: l’évolution numérique concernera tous les domaines , les soins et la formation y compris. Les CFF et la Poste s’orientent aussi dans cette voie, Swisscom évidemment.
Le peuple a pour l’instant refuser libéralisation et privatisation quand il a dû prendre position. Cela pourrait-il changer ?
Je ne crois pas. La population ne veut pas que des gains privés puissent être générés par les services publics, elle veut au contraire une bonne offre et des prix justes, ce qui comprend également de bonnes conditions d’engagement pour le personnel. Il est de notre tâche d’en faire prendre conscience au monde politique et aux entreprises.