contact.sev a rencontré le coprésident sortant d’Unia

De la base à la tête du syndicat

Renzo Ambrosetti a quitté la coprésidence d’Unia il y a un mois. Dans cette interview, il explique son activité, la naissance du syndicat Unia et analyse la situation actuelle du marché du travail.

contact.sev: On sait que tu n’es plus coprésident d’Unia depuis fin juin. Mais tout le monde ne sait pas que ta famille a des liens étroits avec le monde des chemins de fer.

Renzo Ambrosetti: Effectivement, sur quatre générations, je suis le seul qui a pris un autre chemin. Mon grand-père, mon père ont travaillé aux CFF, et maintenant mon fils. Pour tout dire, mon père avait été une fois contacté par le SEV mais il avait fini par décliner l’offre.

Tu as donc grandi proche du syndicalisme...

C’est clair que les discussions sur la société et tous ces aspects ont toujours été très importantes, en famille et à l’extérieur. Tellement importantes qu’une fois terminées mes études de droit, ne voulant pas devenir avocat, j’ai commencé à travailler à la FTMH à Lugano, où j’ai intégré les rangs des syndicalistes.

Cela t’a mené bien loin...

Oui mais ça a duré 37 ans. Je suis d’abord devenu secrétaire régional puis cantonal. En 1994, je suis entré à la direction nationale. En 2000, j’ai été élu président de la FTMH. En 2004, il y a eu la fusion avec le SIB, la naissance d’Unia, dont j’ai été coprésident jusqu’au mois dernier.

... et tu as également assumé des fonctions au niveau international.

Oui, en 2007, je suis devenu président de la FEM, la fédération européenne des travailleurs de la métallurgie. Mon expérience avec Unia m’a permis d’avoir un rôle important dans le processus de fusion avec les secteurs textiles et chimiques, qui a engendré la création en 2011 de IndustriAll, une fédération syndicale européenne qui compte 7 millions de membres et dont je suis le vice-président. Je fais également partie du comité exécutif des syndicats de l’industrie au niveau mondial.

Comment un syndicat peut-il agir à ces niveaux-là?

Je dois d’abord préciser que je ne suis pas dans l’opérationnel, qui est du ressort du secrétaire général et de son équipe. La présidence a des tâches stratégiques. Au niveau européen, le secrétariat œuvre en faveur de la coordination des politiques contractuelles nationales, souvent très différentes, de la définition de stratégies industrielles en Europe, de l’élaboration de contrats cadres et de la coordination des activités des commissions du personnel des groupes multinationaux. Et nous fournissons également un soutien important aux syndicats des pays de l’Est, qui étaient peu préparés aux changements dus à l’avènement du système capitaliste.

Et est-il possible d’agir contre des conditions que nous considérons ici comme du dumping et vues par d’autres pays comme des opportunités de développement?

L’important est qu’on ne se limite pas à une guerre de pouvoirs qui n’est bonne pour personne. Un autre aspect souvent négligé chez nous est de faire que les délocalisations, si elles ne peuvent pas être évitées, servent au moins à de vraies opportunités de développement, y compris les aspects liés aux conditions de travail. Les centres de décision ne restent pas souvent chez nous. Ces liens sont fondamentaux et ont un double aspect positif: améliorer les conditions d’engagement et de travail et de vie dans certains pays et empêcher une concurrence trop déséquilibrée avec nos pays.

Revenons sous nos latitudes. Le Tessin souffre particulièrement des conséquences de la libre circulation.

La libre circulation est un des sept accords bilatéraux, fondamentaux pour un pays comme la Suisse, qui exporte les deux tiers de sa production. Sans ces accords, par exemple, Stadler aurait bien plus de difficultés à vendre ses trains dans toute l’Europe. La libre circulation est cependant bien sûr un point délicat. Nous avons en Suisse des mesures d’accompagnement qui n’existent pas ailleurs, alors que ces autres pays connaissent des phénomènes de dumping bien pires. Mais actuellement par exemple, on va vers une révision de la législation européenne sur les travailleurs détachés.

Mais dans notre pays, nous avons parfois des cas très graves, comme celui récent d’une agence de voyages à Chiasso qui payait 9 francs de l’heure...

L’augmentation de ces phénomènes est davantage due à la dégradation du marché du travail et à l’abandon des considérations éthiques de la part du patronat qu’à la libre circulation elle-même. En l’occurrence, il s’agissait là d’une multinationale cotée en bourse, au chiffre d’affaires atteignant le milliard, qui économise sur les salaires et qui refuse d’engager du personnel indigène. Selon moi le canton peut et doit faire sans ces entreprises qui, avec ces malversations, en concurrencent d’autres. Ne serait-ce que pour la santé et l’honnêteté de son économie.

En tant que Tessinois à Berne, n’as-tu pas l’impression que, passé le Gothard, on manque un peu de sensibilité à nos difficultés?

Oui, mais c’est aussi un peu notre faute: nous sommes rarement capables de présenter des revendications claires et ce n’est pas en les insultant régulièrement comme le fait la Lega dans son journal dominical que nous pouvons réussir à sensibiliser les membre du gouvernement à nos difficultés. Mais il est vrai que la réalité de notre « triangle » imbriqué dans la Lombardie, où les graves difficultés économiques font que toujours plus de personnes acceptent des situations abusives, est encore peu connue. J’ai entendu récemment un haut fonctionnaire du Seco vanter les possibilités pour les entreprises tessinoises de travailler en Lombardie, ignorant de manière honteuse les obstacles bureaucratiques et les intimidations (comme se faire crever les pneus) pour ceux qui ont essayé. Je suis inquiet car je pense que nous sommes à un tournant décisif: soit nous arrivons à remettre de l’ordre, soit ce sera la loi de la jungle.

Maintenant tu n’es pas un peu trop pessimiste?

Les réalités deviennent toujours plus complexes. Un exemple: dans certains secteurs, nous avons introduit un système de caution pour pouvoir être certains de récupérer d’éventuels montants non payés, pour les impôts ou autres. Dès que la règle a été édictée, ils ont trouvé la parade: grâce à des fiduciaires compatissantes, ils créent des sociétés fictives comme des Sàrl, avec un maximum de 20 % d’employés qui travaillent à temps plein. Il est fondamental d’améliorer les mesures d’accompagnement en particulier en étendant l’application des conventions collectives comme le demandent les syndicats.

Mais pourquoi ces mesures d’accompagnement ne sont pas renforcées?

Il y a une forte résistance du côté patronal, qui estime que les syndicats influencent déjà trop le marché du travail. Mais nous avons des preuves concrètes que nos demandes sont justifiées. Au Tessin, nous avons une quinzaine de contrats de travail qui fixent un salaire minimal, mais trop bas, et des prescriptions sur le temps de travail qui nous donnent la possibilité d’intervenir. Le manque de volonté politique pour améliorer ces mesures à fin 2013 a contribué, selon moi, au résultat du vote du 9 février 2014. Il est temps que le Conseil fédéral et le patronat soient intransigeants et décident de mesures plus fortes, car sinon, quand le peuple devra s’exprimer sur les liens avec l’Europe, il confirmera sa position de repli, avec des conséquences désastreuses sur toute l’économie.

Renzo Ambrosetti est un des principaux auteurs de la fusion entre la FTMH et le SIB, deux organisations dont les rapports n’étaient pas vraiment idylliques. Comment as-tu fait?

Il y avait en effet un certain antagonisme, mais les deux organisations étaient conscientes que leurs secteurs traditionnels respectifs, l’industrie et le bâtiment, allaient vers un redimensionnement et qu’il fallait s’occuper du « désert syndical » qu’était le secteur tertiaire. C’est ainsi que sont nées les premières réflexions, puis l’idée de constituer un nouveau syndicat.

Deux mondes difficiles à réconcilier.

Nous avons réussi en créant quatre secteurs qui ont leur propre autonomie, mais qui agissent de concert et soutiennent la bataille principale. Après onze ans, je peux affirmer que Unia est un succès, et le syndicat joue désormais un rôle important sur la scène sociopolitique suisse.

L’importance, indiscutable, d’Unia ne risque-t-elle pas de créer une sorte d’hégémonie au sein de l’USS?

Pour moi, le rôle des autres fédérations reste fondamental. Je suis un convaincu et je soutiens la structure actuelle, caractérisée par cette pluralité syndicale et cette ouverture à d’autres réalités de travail non encore intégrées dans le monde syndical. Mais il est clair qu’Unia a un certain poids. Je ne pense pas qu’Unia puisse, à court terme, intégrer d’autres secteurs. Paul Rechsteiner travaille actuellement en faveur de l’intégration des autres fédérations dans l’organisation. Le SEV a d’ailleurs toujours eu et continuera à avoir un rôle de premier plan. Il est vrai que les fédérations ont parfois du mal à admettre leurs limites et cela peut devenir pénalisant. Le meilleur exemple de collaboration est la grève aux Ateliers de Bellinzone, où le SEV a amené les connaissances spécifiques à ce secteur et Unia les ressources pour soutenir matériellement l’action.

Mais il n’y a pas de doublons entre l’activité d’Unia et celle de l’USS?

C’est seulement une question de coordination. Il y a des questions générales, comme le projet « Prévoyance 2020 » traité par l’USS, et d’autres qui touchent nos secteurs, qui sont mis en avant par Unia et d’autres encore, comme la faiblesse de l’euro, qui sont traités par tous les deux, en étroite collaboration.

Pour conclure, Renzo Ambrosetti est-il vraiment capable de se retirer et de prendre sa retraite?

Bon, jusqu’à l’année prochaine, j’aurai encore mes mandats internationaux. Je resterai également président du secteur immobilier d’Unia et continuerai à suivre les mesures d’accompagnement, les activités des commissions tripartites et à présider l’AIC, l’association interprofessionnelle de contrôle, qui s’occupe de contrôler les travailleurs détachés. Mais j’aimerais, de temps en temps, jouer un peu mon rôle de grand-papa.

Pietro Gianolli/Hes

BIO

Renzo Ambrosetti, 62 ans, est né à Bâle, où son père a commencé sa carrière aux chemins de fer, carrière qui l’a amené ensuite à devenir inspecteur de gare à Bellinzone. Renzo Ambrosetti a donc grandi au Tessin et étudié le droit à Zurich.

Marié, deux enfants adultes, il vit toujours entre Monte Carasso et Berne. Il disposera prochainement d’un bureau à Lugano. Ses hobbys: la montagne et le sport en général.

Commentaires

  • Remo Armati

    Remo Armati 28/07/2018 10:11:33

    Ciao Renzo, ho letto l’intervista sulla tua carriera. Ne hai fatta di strada, complimenti. Ora leggo che continuerai par-time. Mi trovo in Verzasca e spulciando a destra e a manca ho intravisto una tua foto e quindi l’intervista. Adesso goditi la pensione che tu qualcosa di serio hai dato. A presto