Session de printemps du Conseil national
"Le Conseil fédéral refuse de faire son job"
« Nos » gens au Conseil national, Edith Graf-Litscher et Philipp Hadorn, abordent la politique des transports et d’autres décisions parlementaires touchant le personnel des transports.
contact.sev: Au national, dans les débats concernant le transfert modal tu as, Philipp, reproché au Conseil fédéral de refuser de faire son travail. Pourquoi?
Philipp Hadorn: D’une part, parce que le Conseil fédéral ne fait pas en sorte d’atteindre la réduction de moitié du trafic de transit alpin que l’Initiative des Alpes et la législation exigent. Au contraire, le CF veut définir de nouvelles règles. D’autre part, parce qu’il a un mandat pour le transfert de la route au rail dans le trafic interne, mais il ne veut pas l’appliquer: le Parlement lui a transmis une motion de la Commission des finances du Conseil des Etats, lui demandant de faire augmenter la part du fret ferroviaire sur tout le territoire. Pourtant, le Conseil fédéral ne prévoit aucune mesure dans ce domaine. Bien que la motion prévoie expressément la possibilité de demander un crédit à cet effet, la conseillère fédérale Doris Leuthard affirme que le transfert ne doit rien coûter et être laissé au marché. De cette manière, on ne peut arriver à rien. En refusant de respecter les mandats qu’ils reçoit dans le domaine du transfert modal, le Conseil fédéral s’assied sur la volonté du peuple et du Parlement.
Tu fais allusion ici à la loi sur le transport des marchandises, mise en consultation en 2013, et dont le message du Conseil fédéral devrait être transmis au cours du deuxième trimestre de cette année...
PH: Comme le CF n’a pas proposé, dans son projet de loi, que l’Etat soutienne le trafic marchandises interne, nous aimerions au moins obtenir des variantes incluant une participation financière de la Confédération, de sorte que le Parlement puisse décider en tout état de cause. Il avait demandé un état des lieux au Conseil fédéral. Néanmoins, si notre revendication n’est soutenue que par la gauche, elle n’a guère de chance, même si l’industrie pourrait la soutenir sur le principe. C’est pourquoi nous cherchons des soutiens dans le camp bourgeois.
Le Conseil fédéral propose, dans son rapport sur le transfert modal, de fixer des limites à la pollution et aux nuisances sonores au lieu de chiffrer le nombre maximal de camions. Que faut-il attendre d’une telle proposition?
PH: Si cette proposition devait affaiblir le but des 650000 transits poids lourds qui doit être atteint deux ans après l’ouverture du tunnel de base du Gothard (comme le prévoit la Loi sur le transfert du transport de marchandises de 2008 – ndlr), alors elle doit être rejetée. Par contre, rien ne plaide contre elle en tant que mesure secondaire.
Le Conseil national a prolongé jusqu’en 2018 les indemnités d’exploitation dans le transport combiné à travers les Alpes et ajouté 180 millions à cet effet…
PH: Ces indemnités sont importantes, car elles évitent un retour à la route tant que le tunnel de base du Gothard ne sera pas en service. Elles n’ont pourtant pas d’effet substantiel sur le transfert de la route au rail, comme le prévoit la Constitution et la loi grâce à l’Initiative des Alpes. Néanmoins, on va laisser ses indemnités fondre. Une autre manière de ne pas faire le travail!
Edith Graf-Litscher: Nous espérons que la NLFA (la nouvelle ligne ferroviaire à travers les Alpes) constitue une base pour le transfert modal. Parallèlement, le Conseil fédéral veut construire un 2e tube au Gothard qui fragiliserait le transfert de la route au rail. C’est une très grande contradiction.
Le Conseil des Etats vient d’accepter la construction du 2e tube et le National se prononcera vraisemblablement en septembre. Avec quels arguments pensez-vous faire changer d’avis les partisants du projet?
E.G: A la Commission des transports et des télécommunications, je ferai deux propositions de renvoi au Conseil fédéral avec deux mandats: le premier afin que le CF approfondisse la compatibilité d’un 2e tube sans augmentation de la capacité avec l’accord bilatéral sur les transports terrestres. Ce texte interdit de restreindre la capacité des routes de transit. Juste après le oui à l’initiative contre l’immigration de masse, les désirs de la Suisse en matière d’accords bilatéraux pourraient ouvrir la porte à des revendication de l’UE.
Deuxièmement, le CF doit également quantifier précisément les coûts de l’exploitation et de l’assainissement de ce nouveau tunnel dans 30 ou 40 ans. Qu’il liste aussi les projets routiers qui seraient repoussés ou abandonnés à cause de ces coûts.
PH: En tant que membre de la Commission des finances, j’ai été choqué que celle-ci ne soit pas prête à exiger ces chiffres du CF. De toute évidence, la majorité des partisants du 2e tube ne veulent pas que ces chiffres viennent sur la table. EG: C’est d’ores et déjà clair que l’exploitation et l’entretien d’un 2e tube coûtera plus qu’un seul. C’est pourquoi j’attends une transparence totale du Conseil fédéral, de sorte que les citoyens ne soient pas grugés.
Le Conseil national vient de renvoyer au Conseil fédéral sa révision de la Loi sur le transport de voyageurs qui prévoit l’obligation d’organiser le transport des supporters (voir contact.sev n° 5/2014). Quelle suite pour ce dossier?
EG: La balle est désormais dans le camp du Conseil des Etats. Je pars du principe qu’il va aussi renvoyer le texte au Conseil fédéral pour qu’il le retravaille.
Pourquoi le projet de loi a-t-il été renvoyé au CF?
EG: Avant tout en raison de l’assouplissement de l’obligation de transporter. Dans nos milieux, il a aussi suscité la controverse, car on craignait qu’il ne concerne aussi des manifestations syndicales, à l’instar du 1er Mai. La solution demandée au CF doit restreindre de manière limitée, voire pas du tout, l’obligation de transport.
La solution réside-t-elle dans les trains spéciaux volontaires?
EG: Celle-ci existe déjà. Pourtant, seul YB a signé un accord avec les CFF. Nous avons besoin d’une solution qui permette de faire passer les clubs à la caisse lorsque leurs fans occasionnent des dégâts aux entreprises de transport. Ce n’est pas juste que ces coûts soient à la charge de la collectivité, de tous les voyageurs et du personnel. Une variante consisterait à trouver une solution par le biais du concordat sur les hooligans. La sécurité du personnel et de tous les voyageurs est au centre des priorités du SEV.
PH: Mais le respect des droits fondamentaux est aussi important.
Quels sont les autres dossiers traités par le National qui touchent directement ou indirectement nos membres?
PH: Dans le domaine de la formation, la majorité du plénum a décidé de recommander le rejet de l’initiative sur les bourses d’études bien qu’un rééquilibrage des différences cantonales feraient sens et favoriserait l’égalité des chances. Le peuple tranchera. En outre, le Conseil national a constaté, dans le cadre de l’examen de la Loi sur la formation continue que l’encouragement des compétences fondamentales est très important. Nous n’avons pas pu faire inscrire l’obligation légale d’y participer pour l’employeur. Le plénum a aussi adopté une motion de la Commission des finances qui demande au Conseil fédéral de faire des économies, histoire de financer la réforme sur les entreprises III. Sans une réduction des prestations dans les transports, le social, la santé ou la formation, une telle réforme n’est pas réalisable. Ce procédé est pour le moins discutable.
Comment doit-on aller de l’avant après le oui à l’initiative contre l’immigration de masse?
EG: Une chose est claire. On ne peut revenir au statut de saisonnier, indigne d’un être humain. Nous devons essayer de sauver les accords bilatéraux avec l’UE, qui sont très importants pour la Suisse et nos emplois. S’ils étaient menacés, parce que l’UE estimerait que les mesures d’application de l’initiative ne sont pas acceptables, alors le peuple devrait encore une fois pouvoir choisir entre les accords bilatéraux et le repli. Mais avant cela, c’est au Conseil fédéral de chercher des solutions.
Interview: Markus Fischer/vbo
Bio
Philipp Hadorn, 47 ans, a obtenu une maturité en cours d’emploi après un apprentissage de commerce. Il s’est ensuite formé comme analyste de marché, puis a suivi des études de droit et de management en organisations politiques et sociales. Il a travaillé dans les études de marché, comme journaliste, en tant que travailleur social pour l’Eglise et au syndicat Comedia, avant de devenir, en 2002, secrétaire syndical SEV. Il est marié, a trois fils et habite à Gerlafingen SO. De 1996 à 2010, il a présidé l’Eglise méthodiste-évangéliste locale. Il a débuté au PS en 1997 au législatif de sa ville puis dès 2006 au parlement cantonal, avant de devenir conseiller national en 2011.
Edith Graf-Litscher, 50 ans, est agente de mouvement de formation et est donc entrée tôt au SEV, où elle militait très activement à la commission des femmes. Après avoir travaillé dans plusieurs gares, elle est passée en 1995 à la caisse-maladie CFF, devenue plus tard Atupri. Elle s’est alors formée comme experte en assurance-maladie et en planification marketing et est passée chez ÖKK en 2005, année qui l’a vue entrer au Conseil national. Elle s’était engagée au PS depuis la fin des années 90 dans son canton. Depuis 2008, elle encadre des sections VPT au SEV, en tant que secrétaire syndicale, dans les cantons de Zurich et d’Argovie. Elle est mariée et habite à Frauenfeld.