Nuria Gorrite, conseillère d’Etat vaudoise, cheffe du Département cantonal des infrastructures et des ressources humaines
« Je suis très attachée au partenariat social »
Sur la page d’accueil du site Internet de la ministre socialiste des transports du Canton de Vaud, on peut lire cette phrase de Simone de Beauvoir : « Le présent n’est pas un passé en puissance, il est le moment du choix et de l’action ». Une phrase qui colle à la peau de Nuria Gorrite, une femme de réflexion et d’action. Courageuse, elle ne renie pas dans l’exercice de ses fonctions ses convictions sociales et politiques tout en conduisant une realpolitik.
contact.sev : quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confrontée dans votre fonction de ministre des transports ?
Nuria Gorrite : au sein de mon Département j’ai entre autres en charge le Service de la mobilité qui s’occupe principalement des transports publics et le Service des routes. Je plaide pour que l’on n’oppose pas les modes de transports publics et individuels entre eux. Nous sommes tous des multiusagers. Il y a des trajets que l’on fait en train ou en bus, certains en vélo ou à pied, d’autres en voiture, voire en bateau. Les politiques publiques que l’on déploie doivent répondre à cette exigence multiple. L’objectif des Services que je dirige est simple : nous devons relier le territoire pour permettre aux gens d’être reliés entre eux, avec leur famille, leur travail et leurs loisirs. Pour moi, les infrastructures ne sont pas une thématique uniquement d’ordre technique, les infrastructures sont une composante essentielle des équilibres de notre société pour permettre aux gens et aux marchandises de circuler.
Au mois de septembre dernier, lors du Comptoir Suisse, vous vous êtes investie pour défendre le projet d’agglomération Lausanne – Morges. Qu’avez-vous l’intention de faire pour améliorer la mobilité au sein de cet important ensemble urbain ?
Un projet d’agglomération ce n’est pas la vision d’une seule personne. C’est la résultante de la volonté des citoyennes et des citoyens de trouver des solutions pour faciliter entre autres les déplacements. Cette volonté des acteurs locaux est relayée par les communes, consolidée par le canton et approuvée par la Confédération qui participe au financement du projet. J’en profite pour relever que le projet d’agglomération de Lausanne - Morges – une agglomération qui compte 27 communes et dont la zone compacte comprend 278'000 habitants (40% de la population du Canton de Vaud) et 177’000 emplois (60% des emplois du Canton) – a été très bien noté par la Confédération. Cela veut dire que les réponses que nous avons apportées jusqu’à maintenant en termes d’urbanisation, de préservation des espaces et de mobilité sont des réponses intelligentes, concertées par tous les acteurs. Et ma volonté c’est de me battre pour que les six projets d’agglomérations vaudois continuent à être bien notés.
Bio d’une carrière turbo
6 juillet 1970 : Naissance de Nuria Gorrite à la Chaux-de-Fonds de parents travailleurs immigrés espagnols, son père a été secrétaire syndical chez Unia Vaud
1987 : Début de son engagement à Amnesty International
1992-1996 : Etudes de Lettres à l’Université de Lausanne
1993 : Adhésion au Parti socialiste et première élection au Conseil communal (législatif) de Morges
1996 : Conservatrice du Musée Alexis-Forel à Morges
1998 : Naissance de sa fille, Ségolène
2000 : Election à la Municipalité de Morges
2007 : Election au Grand conseil vaudois
2008 : Elue syndique de Morges
2012 : Elue au Conseil d’Etat du canton de Vaud
Mais faire de la politique ce n’est pas seulement concevoir des projets. Nous devons avoir le souci et la volonté de les réaliser. C’est important d’agir pour maintenir une qualité de vie, sinon nous courons le risque de nous laisser congestionner par le trafic. Avec le projet d’agglomération Lausanne - Morges, nous avons notamment déjà réalisé le M2 et la halte ferroviaire de Malley. Maintenant nous faisons beaucoup d’efforts pour la mise en œuvre du tram Lausanne – Renens et nous allons mettre toute notre énergie pour la réalisation du M3 (métro qui reliera La Blécherette à Ouchy, le début des travaux est prévu pour 2018, ndlr).
Lorsque l’on parle de développement des transports publics dans les agglomérations, on a tendance à opposer Zurich qui rafle l’essentiel de la manne fédérale aux autres agglomérations suisses. Etes-vous aussi de cet avis ?
Il faut reconnaître que l’agglomération zurichoise a su anticiper. Déjà dès les années 70 Zurich a commencé à réfléchir à ses besoins en matière de mobilité. Du coup, elle a une sacrée longueur d’avance sur nous en ce qui concerne le transfert modal et le réseau des transports publics. Nous, maintenant, nous nous situons dans un besoin de rattrapage. Mais je ne suis pas une calimero. Cela ne sert à rien de s’apitoyer sur son sort. Nous devons aller de l’avant avec nos projets d’agglomérations qui sont de bons projets. Et nous devons aller de l’avant avec le Projet Léman 2030 qui vise à développer le rail dans la Métropole lémanique entre Genève et Lausanne. Mais je reviens à votre question : je ne veux pas être en concurrence avec Zurich. Nos projets cantonaux respectifs s’inscrivent dans un intérêt commun, celui d’un réseau ferroviaire suisse performant.
Avec votre collègue Michèle Künzler, ministre des transports genevoise, vous avez précisément fait en octobre dernier la promotion de Léman 2030 dans le train, directement auprès des pendulaires. Pourquoi ?
Aujourd’hui les usagers des transports publics ont des besoins : il n’y a pas assez de places assises, pas assez de trains. Cependant, pour résoudre ces problèmes il faut un temps fou. Léman 2030 a pour objectif de doubler la capacité en places assises entre Lausanne et Genève et de passer à la cadence au quart d’heure sur les RER. Il faudra acheter de nouvelles rames RER et agrandir les gares de Lausanne et Genève. Michèle Künzler et moi avons voulu dire directement aux pendulaires que nous sommes conscientes de leurs problèmes, nous nous employons à les résoudre, mais il faudra du temps. Nous avons aussi voulu donner un signal à Berne pour que les autorités fédérales comprennent nos besoins. Dans ce contexte, je suis particulièrement satisfaite du vote du Conseil des Etats en faveur d’un Fonds d‘infrastructure ferroviaire doté de 6,4 milliards de francs, j’espère que le Conseil national suivra. Cela permettra d’améliorer l’axe Genève – Lausanne – Berne et d’agrandir la gare de Lausanne ainsi que celle de Cornavin.
Que pensez-vous du projet d’ordonnance, mis en consultation l’automne dernier par le Conseil fédéral, visant à remplacer les lignes ferroviaires non rentables par des bus ? Les cantons s’unissent-ils pour se défendre ?
Ce n’est pas la première fois que l’on s’attaque aux lignes ferroviaires régionales. Je souhaite que le Conseil fédéral renonce à cette ordonnance. La Conférence des directeurs cantonaux des transports publics est également opposée à ce projet. Il faut se rendre à l’évidence que le débat sur le financement des transports publics est permanent. La question de savoir qui va payer la facture se pose sans cesse. Faut-il plus d’impôts, plus de taxes, ou faire payer davantage les utilisateurs ? Lorsqu’on développe des prestations, il y aura toujours à un moment donné quelqu’un qui veut faire payer quelqu’un d’autre. Pour ma part, je ne suis pas favorable à un ultérieur report des charges sur l’utilisateur, il me semble que nous avons atteint le maximum de côté-là.
Je ne peux pas me prononcer sur le cas de Gland, c’est une votation qui est de compétence strictement communale. Lorsque j’étais syndique de Morges, je souhaitais que les transports publics aient des tarifs plus abordables pour les jeunes. C’est important d’inciter les jeunes à avoir le réflexe des transports publics. Pour le jour de mes 14 ans, je rêvais d’avoir un vélomoteur. Aujourd’hui, les jeunes rêvent d’avoir un abonnement général. Nous devons encourager cette tendance en cherchant à pratiquer à leur égard des tarifs incitatifs. Je ne suis pas favorable à la gratuité absolue. Les transports publics ont un coût. Nous devons utiliser le denier public pour investir dans les infrastructures et le matériel roulant afin d’améliorer l’offre et non pour rendre les transports gratuits pour les usagers. Il faut par ailleurs faire attention avec le message de la gratuité parce qu’on risquerait de penser que ce qui ne coûte rien n’a pas de valeur.
Il y a quelques années, une étude proposait de fusionner les 9 entreprises de transport concessionnaires vaudoises pour créer une seule compagnie cantonale de transports publics. Que pensez-vous de cette idée ?
C’est important que des gens réfléchissent. Cela fait partie de la vitalité d’une société de voir émerger des idées qui peuvent être appliquées tout de suite ou dans le futur. Je ne crois pas que j’aurais beaucoup d’écoute et de chance de faisabilité si je voulais essayer d’appliquer maintenant cette proposition de fusion des compagnies vaudoises. Par contre, il y a des réflexions en cours sur des possibilités de fusion entre certaines compagnies. Il faut respecter et accompagner les volontés, mais jamais rien imposer d’en haut. Je suis une fervente partisane des équilibres régionaux. Je pense que vouloir fusionner toutes les compagnies vaudoises serait vouloir aller contre ces équilibres.
Le SEV a signé une convention collective cantonale cadre avec l’Union vaudoise des transports publics. Cette année, cette CCT va être renégociée. Quelle est votre vision du partenariat social au sein des transports publics ?
Je suis fille de syndicaliste. Je suis naturellement attachée au partenariat et au dialogue social dans le secteur des transports publics à l’instar de tous les autres secteurs économiques. Je suis aussi attachée au service public. Et pour que ce service soit de qualité, il est indispensable que le personnel puisse travailler dans de bonnes conditions. C’est aux partenaires sociaux de dialoguer entre eux et d’arriver à des accords. Pour ma part, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que le renouvellement de cette convention collective de travail se passe dans les meilleures conditions possibles.
Le SEV constate que le personnel des transports publics fait souvent les frais des contraintes budgétaires imposées aux ETC qui doivent augmenter leur offre tout en investissant dans l’infrastructure et le matériel roulant. Cela se traduit souvent par des sous-effectifs ou des sous-traitances excessives sans parler des salaires qui plafonnent. Trouvez-vous juste que l’on fasse des économies sur le dos du personnel ?
Les entreprises de transport concessionnaires sont dans un champ de tension : d’un côté elles doivent fournir des prestations de qualité au meilleur prix, de l’autre côté elles doivent offrir de bonnes conditions de travail à leurs employés, tout en veillant à ce que la sécurité soit rigoureusement assurée. Toutefois, si une entreprise se trouve dans des contraintes budgétaires telles qu’elle n’a plus les moyens de garantir sa mission envers les usagers et envers son personnel, l’Etat doit alors intervenir.
Le pouvoir d’achat du personnel des transports publics est touché parce qu’il doit passer à la caisse pour participer à l’assainissement de son 2e pilier. Les cantons ont-il les moyens de soulager cette charge financière ?
Je suis consciente que le sujet des caisses de pension est un sujet chaud qui affecte bien souvent le pouvoir d’achat du personnel des transports publics. Mais les sacrifices demandés ont pour but de garantir les retraites à long terme. Il faut être conscient que les entreprises participent aussi à l’assainissement des caisses de pension grâce à de l’argent versé par les cantons dans le cadre de leur participation aux coûts d’exploitation. Donc, sans cette participation cantonale, le prix à payer par le personnel serait encore plus rude.
Les incivilités et la violence mettent à rude épreuve le personnel des transports publics. Y a-t-il une stratégie cantonale vaudoise pour combattre ce fléau ?
Il n’y a aucune tolérance à avoir envers les personnes qui insultent et attaquent le personnel des transports publics. Les gens de la fonction publique en général sont de plus en plus exposés aux incivilités. Même le personnel des hôpitaux est confronté maintenant aux violences et aux agressions. Le cas de la fermeture des guichets de la gare de Moudon nous interpelle. Le Service de la mobilité s’est senti très concerné par cette décision. Nous allons mettre sur pieds tout prochainement une rencontre avec les autorités moudonnoises, les CFF et la police pour identifier les problèmes et voir comment l’on pourrait intervenir. On ne peut pas se contenter de dire qu’il y a une augmentation des incivilités et de la violence, donc on ferme les guichets, point. C’est très important de faire savoir que l’espace public appartient à tout le monde et pas uniquement à quelques troubles fêtes. Il ne faut pas baisser les bras. Nous devons tous ensemble chercher des solutions concrètes pour que les espaces publics restent ouverts au public.
Quelle est votre position par rapport à d’éventuelles mises aux concours de lignes de transports publics ?
Le canton doit s’assurer que les prestations qui sont offertes par les entreprises le soient aux meilleurs coûts. Mais pour moi la libre concurrence a des limites. Les exemples anglo-saxons ont montré que les privatisations ne sont pas, au final, une source d’économies et de maintien d’un bon service public. Si nous gardons le souci de conserver nos lignes régionales qui sont si essentielles pour le maintien de la cohésion de notre territoire, on ne peut pas imaginer de les confier à des entreprises privées qui ont comme but premier de faire de l’argent. Elles renonceraient vite aux lignes non rentables pour les remplacer peut-être par des bus.
Le SEV a revendiqué un poste au sein du conseil d’administration de la nouvelle structure de la CGN. Est-ce que cette revendication a été satisfaite ? Que pensez-vous, d’une manière générale, de la présence de représentants du personnel au sein des conseils d’administrations des compagnies de transport public ?
En ce qui concerne la CGN un accord de principe a été trouvé pour répondre à la revendication du SEV. Lorsque cet accord sera finalisé, la CGN fera une communication.
Je suis totalement favorable à ce que des représentants du personnel siègent au sein des conseils d’administration. Bien sûr, ces représentants doivent respecter les règles de confidentialité. Je suis vraiment convaincue que la présence de représentants du personnel au sein des conseils d’administration est un élément qui renforce la cohésion entre les partenaires sociaux. C’est un gain pour les entreprises et pour le personnel.
Interview Alberto Cherubini