Angle droit
Quand le certificat de travail se mue en certificat médical, bonjour les dégâts
Les certificats de travail sont un élément majeur lors d’un entretien d’embauche, ils revêtent une importance particulière dans la progression de la carrière professionnelle. Le team d’assistance judiciaire du SEV est dès lors très préoccupé de devoir constater que, parfois, les certificats de travail n’attestent pas seulement des prestations accomplies et du comportement, mais qu’ils peuvent aussi contenir des informations d’ordre médical. Le plus regrettable est que ceci soit soutenu par nos tribunaux, avec toutes les répercussions que cela peut avoir sur les personnes touchées. Le cas suivant est symptomatique.
Jean travaille aux CFF depuis plus de 30ans dans diverses fonctions, lorsque son poste est supprimé dans le cadre d’un projet de démantèlement. Il se retrouve au centre du marché du travail (CMT) des CFF. La menace de perdre son travail, la vision d’avenir angoissante et un conflit avec son supérieur l’amènent à avoir des problèmes de santé. Selon les recommandations du manager de la santé, Jean se rend chez un psychiatre. Ce dernier diagnostique chez Jean un «dysfonctionnement des relations interpersonnelles» ainsi qu’une «humeur dépressive». Selon l’avis du médecin traitant, pour Jean il est important de recevoir des mandats bien définis et qu’on lui précise les attentes de ses supérieurs. Il déclare en outre que Jean réagit à la pression en travaillant plus lentement.
Il faut un contexte «protégé»
Sur la base de ce diagnostic, le Service médical CFF définit le contexte «protégé» dont il faut tenir compte pour l’engagement de Jean dans l’entreprise: il lui faut des tâches clairement définies, un établissement précis des responsabilités et des compétences, des supérieurs avec un style de gestion du personnel bienveillant et transparent, ainsi que si possible pas ou peu de facteurs de stress sur la place de travail.
Jean effectue avec succès plusieurs essais temporaires à des postes «protégés» conformes à la définition du Service médical et il fournit de bonnes prestations. Mais comme il ne trouve pas de nouveau poste à la fin du droit au salaire, ses rapports de travail sont résiliés.
Le certificat qui corse l’affaire
Jean est bien conscient qu’il n’est pas simple de trouver du travail au vu de son âge avancé et de la situation tendue du marché du travail. Mais le certificat de travail final des CFF vient encore corser la situation car il ne se limite pas à évaluer les prestations et le comportement de Jean, mais il mentionne également que ses rapports de travail ont été résiliés «pour raison médicale».
Avec le soutien du team d’assistance judiciaire SEV, Jean fait appel à la justice pour demander que le motif de résiliation de ses rapports de service soit retiré de son certificat, en faisant valoir en particulier que l’intérêt à faire évoluer sa situation économique est plus important que celui d’un potentiel futur employeur à recevoir une candidature absolument transparente. Cependant, les juges n’acceptent pas son argument et rejettent sa demande.
Dans le détail du jugement, le motif invoqué est qu’un certificat de travail doit servir à promouvoir la situation professionnelle d’un employé et être dès lors formulé de manière bienveillante. Mais d’autre part, les futurs employeurs doivent recevoir une image la plus fidèle possible des activités, des prestations et du comportement de l’employé. C’est pourquoi le certificat doit aussi mentionner les éléments négatifs pour autant que ceux-ci soient relevants pour établir une évaluation générale. Ceci peut par exemple concerner une maladie qui remet en question la capacité à effectuer les tâches attribuées jusqu’alors. Les juges reconnaissent que Jean a effectué de bonnes prestations et qu’il est en mesure de continuer à le faire, toutefois en tenant compte des conditions-cadre spécifiées par le médecin. Les CFF ont dès lors le droit et le devoir de mentionner dans le certificat les contraintes médicales, car sinon l’impression générale risque d’être faussée.
Ce jugement reflète bien la pratique de nos tribunaux, qui est non seulement sévère mais aussi au détriment des employés, concernant l’apparition de données médicales dans un certificat de travail. Le SEV déplore cette décision car un travailleur qui perd son travail sans avoir commis de faute mais parce qu’il est malade se voit ainsi refuser toute possibilité de réintégrer le marché du travail. Dans le cas présent, le jugement est d’autant plus dérangeant que l’état de santé de Jean n’a aucun effet sur ses prestations ni sur son comportement, et que le cadre protégé défini par le Service médical (définition claire des tâches et direction du personnel bienveillante etc.) ne peut pas être qualifié de traitement particulier; cela pourrait plutôt faire l’objet d’un «guide pratique du bon chef avec fonction dirigeante»...
Le team d’assistance judiciaire du SEV va garder un oeil sur la jurisprudence et continuer à s’engager pour que les certificats de travail ne deviennent pas des certificats médicaux.
L'équipe de la protection juridique