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assemblée romande VPT

Les 100 ans de la Grève générale et son actualité

Lors de l'assemblée romande VPT, la Grève générale était au cœur du programme. Voici l'exposé d'Yves Sancey, chargé de communication SEV et historien.

Yves Sancey:

 

Aujourd’hui, tous les historiens le reconnaissent, cette Grève générale de novembre 1918 a été un des moments forts de l’histoire suisse, un de ces moments que l’on peut qualifier d’« historiques ». Après la Guerre du Sonderbund de 1847 qui a ouvert la voie à la construction de l’Etat fédéral de 1848, elle représente la crise majeure la plus importante de la Suisse moderne. La Grève générale qui a paralysé le pays durant trois jours du 12 au 14 novembre 1918 a posé l’agenda social, politique et syndical du XXe siècle, notamment la journée de 8h, l’AVS et le droit de vote des femmes. Des revendications qui paraissent aujourd’hui couler de source. Comprendre ses origines, son déroulement et son apport mérite toute notre attention.

1. Les origines de la Grève générale de 1918

1.1. La cause interne principale des événements de 1918, tout le monde en convient aujourd’hui, c’est la baisse catastrophique des conditions de vie des ouvriers et des employés.

Pendant la Première guerre mondiale, une majorité de la population s’est trouvée fortement appauvrie. En juin 1918, sur une population d’un peu moins de 4 millions d’habitants, on dénombre près de 700 000 indigents qui bénéficient de l’assistance. C’est donc un cinquième de la population suisse qui vit sous le seuil de pauvreté.

File d'attente devant le bureau de l'assistance publique pour l'approvisionnement à Bâle pour retirer des bons, 1917. (Staatsarchiv Basel-Stadt)
On a de la peine à s’imaginer ou à le croire aujourd’hui, mais des villes comme Bâle par exemple connaissent des situations de quasi-famine. Sur la photo, on voit que les files devant le bureau de l’assistance publique pour l’approvisionnement s’allongent dès 1917. Régulièrement les villes ne sont pas ravitaillées La pression conjuguée des pénuries et de la spéculation fait grimper le prix des denrées de manière marquante. En trois ans, le prix du pain double et celui des œufs triple.

Manifestation contre la vie chère. Berne 15 mai 1915. (Archives sociales suisses)
Dès 1915, des manifestations contre la vie chère ont lieu dans les grandes villes : Zurich, Berne (ici sur cette photo), Bâle, Bienne et La Chaux-de-Fonds. Des grèves éclates pour l’augmentation des salaires et la diminution de la journée de travail.

Dès 1916, les femmes prolétaires négocient des baisses de prix aux marchés, ici à Berne. (Photo: Staatsarchiv des Kantons Bern)
Dès 1916, les femmes jouent un rôle éminent dans lesdites « Manifestations de la faim » et contre la hausse du coût de la vie. Des manifestations ont lieu sur les marchés. (Comme sur la photo), les femmes négocient des baisses de prix au marché. Le rationnement n’est introduit qu’en mars 1917 par les cantons.

Nombre de grèves en Suisse, 1860-2015
Le 30 août 1917, une grève générale d’une demi-journée contre la vie chère est organisée dans toute la Suisse. Comme on le voit, entre 1917 et 1919, on assiste à la deuxième plus grande vague de grèves que la Suisse ait connue. Cela me permet de rappeler qu’au début du XXe siècle, les grèves étaient aussi fréquentes en Suisse que dans les pays voisins avec un premier pic qui culmine en 1905-1907.

Le second graphique, qui s’intéresse non plus seulement au nombre de grèves mais aussi au nombre de grévistes montre de façon très intéressante pour notre discussion de tout à l’heure que les années 1990 à 2005 connaissent un regain de grévistes particulièrement remarquable.

Nombre de grèves et de grévistes en Suisse de 1880 à 2010

Le 10 juin 1918, 2'000 femmes manifestent à Zurich. « Nous avons faim » proclament les pancartes des manifestantes. A Bienne, le 18 juin a lieu une première « manifestation contre la famine ». Le 8 juillet, la deuxième dégénère en émeute. Un jeune travailleur, Georges Edmond Jeannet, est abattu par l’armée.

Les travailleurs ont la sensation de porter à eux seuls l’effort de guerre et d’être les seules victimes de la situation. Frappés par la famine et une mauvaise gestion de la distribution des vivres, les milieux ouvriers étaient révoltés par les bénéfices réalisés par les profiteurs de guerre – banquiers, spéculateurs, industriels et paysans. Non seulement le coût de la vie augmente mais les revenus chutent drastiquement puisque les hommes Suisses passent un tiers de leur temps durant la guerre à l’armée et donc sans salaire et ne reçoivent ni solde ni indemnité.

Ces sentiments populaires ne resteront pas sans influence sur le Parti socialiste suisse qui connait une radicalisation croissante. Mais impossible de se faire entendre à Berne. Le mouvement ouvrier est très peu représenté au Parlement fédéral. La bourgeoisie refuse d'associer les organisations ouvrières aux décisions politiques et le Conseil fédéral a les pleins pouvoirs.

Il fallait donc songer à de nouvelles méthodes. Un moyen vient alors à l’esprit, celui de la grève générale qui avait été expérimentée à Genève du 9 au 12 octobre 1902.

Grève générale de 1902 à Genève (source: inconnue)
Cette grève générale de solidarité avec les tramelots qui exigeaient une amélioration de leurs conditions de travail avait alors été suivie par 15 000 personnes, soit quasiment toute la population laborieuse du canton de Genève. Elle a été réprimée par 2500 soldats. Le canton de Vaud connaît sa grève générale en mars 1907 et Zurich le 12 juillet 1912 avec 15 à 23 000 grévistes.

Grève générale de Zurich 1912. Blocage d'un dépôt de tram. (Photo: Schweizerische Sozialarchiv)

Ne manquait alors plus que l’instance qui pourrait jouer sur la menace d’une grève générale pour obtenir ces améliorations. Ce sera le Comité d’action d’Olten qui voit le jour le 4 février 1918.

Créé à l’initiative de Robert Grimm, membre du comité directeur du PSS, ce comité constitué en dehors des organisations traditionnelles va prendre en main les revendications ouvrières.

Les membres du comité d'action et leurs défenseurs devant le tribunal militaire de la 3e division à Berne en avril 1919. (Photo : Archives sociales suisses)

Il est composé d’une dizaine de membres de la direction du PSS et de l’USS. A partir d’avril, trois représentants des associations de cheminots – non encore membres alors de l’USS - y entreront dont Emil Düby, tout à droite en haut, qui a été un des leaders de la grève générale et qui sera le premier secrétaire général du SEV à sa création en 1919. Sous l'impulsion de Grimm, le comité d’Olten devient l'organe exécutif des organisations ouvrières. Il exprime de manière réitérée une série de revendications.

Dans un premier temps, le Comité d’Olten utilise la menace de la grève générale comme un moyen de pression pour donner davantage de poids à ses revendications comme par exemple pour faire reculer le Conseil fédéral qui avait décidé le 3 avril d’augmenter le prix du lait de 32 à 40 centimes le litre, une mesure qui frappe durement les masses populaires. A partir de juillet 1918 toutefois, le Comité d’Olten joue la carte de la participation et négocie avec le Conseil fédéral pour améliorer l’approvisionnement alimentaire. Il n’est plus guère question de grève générale jusqu’aux événements de novembre sur lesquels nous allons revenir.

1.2. Le second facteur à l’origine de la grève générale est le contexte international. Partout en Europe, depuis 1916, on assiste à une formidable montée des luttes des opprimés et des exploités. La révolution d’octobre 1917 en Russie rencontre un très fort écho et suscite un immense espoir chez les salariés suisses. Une année plus tard, durant les premiers jours de novembre 1918, la révolution allemande, qui renverse la monarchie entraîne une nouvelle vague d’enthousiasme chez les travailleuses et les travailleurs suisses.

9 novembre 1918, Berlin. Un groupe de soldats brandissant le drapeau rouge, Porte de Brandebourg. (Source : Wikipédia, Creative Commons)
Elle renforce encore puissamment leur confiance en eux. Ce n’est bien sûr pas un hasard si en Suisse, la Grève générale se déclenche le 12 novembre, trois jours après l’abdication de l’Empereur allemand.

Si les causes de la Grève générale, internes et externes, sont aujourd’hui clairement établies, il faut toutefois rappeler que cette version a mis énormément de temps à s’imposer. Comme ce sont souvent les vainqueurs qui écrivent l’histoire, l’histoire officielle, celle des milieux conservateurs, a longtemps considéré que la Grève générale était le fruit des intrigues maléfiques tramées par l’étranger. Des années 1920 aux années 1970, la Grève générale était vue comme une tentative de putsch bolchévique contre la démocratie qui n’a pu être évitée de justesse, et avec de grands sacrifices, que par des soldats héroïques et de braves paysans.

Ce mythe qui ne repose sur aucune base sérieuse comme l’ont montré depuis 50 ans les historiens n’en a pas moins marqué la société suisse et l’idéologie nationale. L’histoire de la Grève générale a été construite par la droite comme une arme pour dénigrer voire disqualifier le mouvement ouvrier, les syndicats et le Parti socialiste suisse. Le but : jeter le soupçon sur la gauche et justifier la formation d’un bloc bourgeois radical-conservateur qui va se maintenir au pouvoir de 1919 à 1943.

Encore en ce début d’année on a assisté à la résurrection provocatrice par Christophe Blocher dans la Weltwoche du vieux mythe de la Grève générale comme complot bolchévique. Ce mythe que la droite brandit depuis un siècle pour discréditer le mouvement ouvrier et diffuser son discours de haine xénophobe et de démantèlement de l’Etat social. Comme on le voit ci, l’UDC fêtera du reste également la Grève générale le 13 novembre mais… pour remercier l’armée de son intervention. On peut se demander si Blocher revêtira les habits du General Wille pour diriger la Grenadiermusik comme il en a l’habitude…

Christoph « Wille » Blocher dirige la musique de cavalerie zurichoise à l’Albisgüetli. Photo: Thomas Meier

 

2. Les événements de novembre 1918

Nous avions laissé le Comité d’Olten à la fin de l’été 1918 dans une position de rapprochement avec le Conseil fédéral discutant avec lui des soulagements à apporter à la misère ouvrière. A l’automne, les événements se précipitent. Une partie de la bourgeoisie et de l’armée veut en effet en découdre et remettre enfin à leur place le PSS et les syndicats dans une épreuve de force définitive. La Grève générale en fournirait l’occasion quitte à accélérer les choses par une provocation délibérée. L’historien Hans-Ulrich Jost penche pour cette explication.

Un événement va faire prendre une nouvelle tournure au conflit : la grève des employés de banque de la ville de Zurich du 30 septembre au 1er octobre 1918. Ces derniers demandent des augmentations de salaires. Ils sont épaulés par l’Union ouvrière qui organisent piquets de grève et blocages de l’accès aux banques. La finance cède sur les revendications. Une partie de la bourgeoisie prend peur et y voit là une répétition générale avant la révolution.

Le 6 novembre, le Conseil fédéral décide de mobiliser la troupe, une mesure qui ne peut qu’être perçue comme une provocation par les ouvriers. D’autant plus que le germanophile Général Wille, le héros de Blocher, à la tête de l’armée suisse, veut pénétrer de manière démonstrative et provoquante dans les villes pour montrer clairement que l’armée est présente.

Occupation militaire de la Paradeplatz à Zurich, 9 novembre 1918. (Stadtarchiv Zürich, Photographie de W. Gallas)
La troupe investit Zurich et Berne le 7 novembre.

En réponse à la mobilisation des troupes, le Comité d’Olten, convoqué d’urgence, appelle à une grève de protestation de 24 heures pour le samedi 9 novembre dans les 19 principales villes industrielles du pays. L’Union ouvrière zurichoise ne respecte toutefois pas cette durée limitée.

Dans l’après-midi du 10 novembre à Zurich, les soldats tirent sans sommation à balles réelles, au-dessus des têtes. Le soir du 10 novembre, les cheminots s’associent à la grève zurichoise.

Le Comité d’Olten, auquel l’évolution de la situation à Zurich semble échapper, accepte finalement d’appeler à une grève générale illimitée pour le 12 novembre. Alors que la révolution éclate dans les empires centraux, on croit être à l’aube d’une nouvelle époque. Sur proposition de Grimm, le Comité élabore un programme revendicatif. Sous-estimant la force de la bourgeoisie, il s’imagine faire aboutir sans trop de peine les revendications en neuf points exposés dans un long appel à la classe ouvrière suisse.

Les cheminots du Locle solidaires avec la grève générale. (source inconnue)
Le mardi 12 novembre 1918, la grève générale commence au petit matin. Un tiers des salariés et salariées suisses se mettent en grève. Les cheminots (comme on le voit sur ces photos du Locle et de Granges), les tramelots, les ouvriers de la métallurgie et du secteur des machines fournissent le gros des troupes.

Les cheminots bloquent les voies à Granges
Pendant trois jours, quasiment aucun train ne circule. Entre le 12 et le 14 novembre, 250 000 grévistes paralysent ainsi le pays. Les actions des grévistes étaient variées : arrêts de travail pacifiques, manifestations et barricades.

Dans l'arc jurassien, ici au Locle semble-t-il, la grève est bien suivie. (photo tirée du film de Frédéric Hausammann, 1918, l'Affrontement de la grève générale)
La grève fut assez peu suivie en Suisse romande même si très suivie à Genève et dans l'arc jurassien. La population fête plutôt l’armistice et la victoire française. Un appel à la grève venant de Suisse alémanique n’inspire pas une grande confiance. Et au Tessin, les cheminots se sont retrouvés bien seuls.

 

L’armée occupe les villes (ici Berne). (photo Keystone)
La réaction des autorités fédérales et de la droite – qui avaient en partie cherché l’épreuve de force – est immédiate, violente et massive : le Conseil fédéral mobilise 100 000 soldats et fait occuper militairement les centres urbains, (comme Berne sur la photo), mais aussi de petites villes.

 

Barricades à la gare de Granges Sud. (Fonds Alfred Fasnacht)
Le mercredi 13 novembre, les organisateurs sont les premiers surpris du succès de la Grève générale. (A Granges, les cheminots, qui jouent un rôle central dans cette grève, bloquent les voies pour stopper les rares trains qui roulent à l’aide de briseurs de grève. Comme le trafic est bloqué et que la plupart des quotidiens bourgeois ne paraissent pas, on remarque la grève presque partout. Le soir, encerclé par la troupe, le Comité d’Olten se réunit dans les locaux de l’USS.

Le Conseil fédéral refuse toute négociation et veut que les grévistes capitulent sans conditions. Il lance un ultimatum au Comité d’Olten qui, craignant une guerre civile, appelle dans la nuit à cesser le mouvement. Une minorité du Comité d’Olten, dont Robert Grimm, était pour la poursuite de la grève. Alors qu’un peu partout en Suisse, ouvrières et ouvriers s’attendaient à ce que la grève continue, la demande du Comité d’Olten est ressentie comme une capitulation et une trahison.

A Bienne, la foule bloque les voies. 14 novembre 1918. (Archives de la ville de Bienne)
Au 3e jour de la grève générale, le 14 novembre, la décision du Comité d’Olten n’arrive que très lentement. A Bienne, comme on le voit sur la photo, la foule bloque les voies. Des soldats tirent sur la foule, sans faire de morts, puis sont désarmés par des cheminots. Les émissaires du Comité d’Olten sont pris pour des provocateurs. On ne les croit pas. A Granges, quelques heures avant la fin de la grève générale, l’armée tire sur la foule. Bilan : trois morts.

Le vendredi 15 novembre, la plupart des grévistes reprennent le travail, avec la rage au ventre puisqu’aucune des revendications du Comité d’Olten n’a été acceptée. A Zurich, le travail ne reprend que le lundi. La répression est dure. La justice militaire a ouvert des investigations contre 3504 personnes, en a mis 223 en accusation et condamné 127 pour l’exemple, dont une grande partie de cheminots.

3. Les apports de la Grève générale

La Grève générale a longtemps été présentée par la droite comme une défaite pour le mouvement ouvrier ce qui a permis de discréditer ses tendances les plus radicales. A l’heure du bilan, si l’on regarde sur le long terme, on peut faire deux autres lectures qui ne sont pas forcément contradictoires entre elles : celle de Grimm, reprise par l’historien Bernard Degen, qui parle de la « défaite victorieuse », et celle de l’historien Hans-Ulrich Jost évoquant la « contre-révolution réussie ».

3.1. Robert Grimm présentait la grève générale comme une « défaite victorieuse ». «En 1918, la bataille fut brève, la victoire durable» dira-t-il aussi. La Grève générale a permis par la suite aux syndicats d’être pris beaucoup plus au sérieux forçant le patronat à négocier des accords et l’Etat à les consulter. 1918 permet à la classe ouvrière de s’imposer comme un acteur de poids sur la scène politique et sociale suisse.

Les 9 revendications du Comité d'Olten
Au final, une très grande partie des 9 revendications de 1918 seront réalisées (comme le montre ce tableau), d’où l’idée de « défaite victorieuse ». Selon Degen, passées les premières semaines de triomphe dans le camp bourgeois, ils sont nombreux à s’être rendus compte que l’on ne pouvait calmer les troubles sociaux qui perduraient qu’au prix de concessions substantielles. Preuve en est que les grèves sont encore très nombreuses en 1919 et que Zurich et Bâle connaissent encore deux grèves générales.

3.1.1. L’effet à court terme le plus important a été l’introduction de la semaine de travail de 48 heures, la 4e revendication du Comité d’Olten, dans les usines et dans les entreprises de transport et de la communication (poste, chemins de fer). Des centaines de milliers de travailleuses et travailleurs ont ainsi pu bénéficier d’une réduction de près de 11 heures de la durée du travail hebdomadaire.

Mise en place en moins d’une année, cette réalisation nous paraît impensable de nos jours. Alors que le temps de travail légal n’a été réduit à 59 heures qu’en 1914, le Parlement révise la Loi sur les fabriques en juin 1919 et fixe le temps de travail normal à 48 heures. Les salaires connaissent des hausses de l’ordre de 25%.

3.1.2. Autre avancée : l’élection du Conseil national à la proportionnelle. Si le principe avait été adopté par le peuple en octobre 1918, avant la Grève générale, la première élection a été avancée d’un an en décembre 1919 au lieu de décembre 1920.

3.1.3. D’autres points n’ont jamais été obtenus comme le droit au travail pour tous ou obtenus très tardivement comme le droit de vote des femmes en 1971 au niveau fédéral.

3.1.4. La création de l’AVS est des plus instructives pour montrer que l’évolution des droits politiques et sociaux est très étroitement liée à l’évolution des rapports de force entre salariés et patronat. L’AVS était le 7e point du programme du Comité d’Olten. Alors que c’est une revendication du mouvement ouvrier depuis les années 1880, 7 mois seulement après la Grève générale, le Conseil fédéral publie un projet d’article constitutionnel introduisant une AVS, projet qui sera accepté en votation populaire en 1925. Alors que les finances de l’Etat sont dans une situation catastrophique après la guerre, l’Etat et le patronat soutiennent la création d’une revendication sociale vue comme urgente et absolument justifiée.

L’adoption finale de l’AVS attendra toutefois 1947-48 malgré la situation financière également catastrophique d’alors. La peur de reproduire une grève générale au sortir de la Deuxième guerre mondiale et la puissante montée des luttes sociales dès 1943 joueront un puissant accélérateur à la mise en place de l’AVS.

3.2. L’historien Hans-Ulrich Jost fait une autre lecture que celle de la « défaite victorieuse ». Il voit surtout l’issue de la grève de 1918 comme une contre-révolution réussie pour l’aile dure de la bourgeoisie avec la naissance d’une alliance anti-ouvrière puissante : le bloc bourgeois radical-conservateur.

C’est dans ce contexte en effet que naît en 1918 le PAB, le Parti des paysans, artisans et bourgeois, l’ancêtre de l’UDC, qui joue ainsi sur le mythe de la paysannerie comme soutien crucial de l’Etat. A côté de quelques concessions sociales et politiques à la classe ouvrière, la Grève générale de 1918 a eu surtout des conséquences répressives : la marginalisation systématique de la social-démocratie durant des années, la surveillance « pour la sécurité de l’Etat » des gens de gauche durant des années et la constitution de milices bourgeoises.

CONCLUSION

Pour conclure, j’espère que cet exposé aura permis de répondre à la question que je posais en ouverture de cet exposé du sens de rouvrir l’album des souvenirs historiques. A cette question du sens des commémorations autour du centenaire de la Grève générale, l’historien Charles Heimberg apporte la réponse suivante tirée d’un article publié dans les toujours excellents Cahiers d’Histoire du mouvement ouvrier.

« Il s’agit notamment de montrer que la grève est un moyen d’action qui fait partie de la culture des mouvements sociaux, ici comme ailleurs, et que la notion de « paix du travail », qui marque très fortement les représentations dans le pays, ne l’a pas fait, ne l’a jamais fait disparaître.

Mais il ne s’agit pas pour autant de fanfaronner : le mouvement de grève de novembre 1918, ne l’oublions pas, n’a pas débouché sur une victoire, mais sur une contre-révolution. […]

Ce qui n’empêche pas en même temps de rappeler comment elle a aussi permis aux travailleurs et travailleuses d’affirmer leur dignité et leur capacité de résistance en dénonçant une vie de misère qui leur était imposée ; et comment aussi des organisations syndicales et politiques ont ainsi affirmé et assuré à plus long terme leur visibilité, leur présence et leur rôle dans l’espace socio-politique. »* 

Fédération suisse des cheminots d’Arth-Goldau (Schwytz), en grève. "Einigkeit macht Stark!" (L'union fait la force!) proclame le drapeau.
J’espère que cette présentation et cette citation permettent d’alimenter le débat sur l’actualité de la grève générale qui va suivre et que nous ayons une bonne discussion. Je vous remercie de votre attention et je cède la parole à Christian Fankhauser.

* Charles Heimberg, « Cent ans après la grève générale de 1918, pourquoi et comment parler de l’histoire du mouvement ouvrier en Suisse romande », Cahiers d’Histoire du mouvement ouvrier, no 34, 2018, p. 58.

INFOS : www.grevegenerale.ch, www.grevegenerale1918.ch

Nos précédants articles sur la grève générale :

 

GREVE GENERALE : festivités du centenaire

La Grève générale de novembre 1918 a eu lieu il y a 100 ans et sera très fêtée cette année:

4 novembre à 21h55: diffusion du film de Frédéric Hausammann : «1918, l’affrontement de la grève générale» (RTS2 et 7 jours en replay sur rts.ch)

8 novembre à 18h30 à Lausanne: projection de 2 films au Capitole (av. Théâtre 6).
19h00 : La Grève générale de 1918, Suisse · 1972 · 35', Documentaire de Jacqueline Veuve.
20h30: Un mois de grève au pays de la paix du travail, Suisse · 2017 · 90'. Documentaire de Véronique Rotelli

9 novembre, 18h30-22h à Genève : table ronde (CGAS) «Genève, tu g/rêves» à la salle du Faubourg, R. des Terreaux-du-Temple 8, Genève.

10 novembre à Olten, 14 h à 17 h :  Grande fête. dans les anciens ateliers principaux des CFF.

14 novembre à Yverdon, table ronde à 20h au Tempo (quai de la Thièle 3) «La Suisse, terre de grève?» animée par Sylviane Herranz, rédactrice en chef de L’Evénement syndical, avec Vincent Leggerio, gréviste aux TPG, Jean-Claude Rennwald, ancien vice-président de l’USS, Stephanie Vonarburg, vice-présidente de Syndicom, Julien Wicki, historien, et un gréviste de Thermo Fisher, précédée de 18h30 à 19h30 d’un repas (inscription au 024 425 14 06) et de 19h30 à 20h d’une projection commentée d’extraits de «Films (in)visibles du mouvement ouvrier suisse».

28 novembre à 19h à Lausanne  : «La lutte continue! 1918-2018: Grèves d’hier et d’aujourd’hui», soirée organisée par l’Union syndicale vaudoise à Pôle Sud (J-J. Mercier 3) . En présence des historiens Dominique Dirlewanger et Julien Wicki, et de grévistes ayant joué un rôle actif dans des mouvements récents en terre vaudoise.

Jusqu’au 28 novembre: «La grève générale à Bienne», expo itinérante installée jusqu’au 11.11 sur la place Centrale, du 12 au 18.11 sur la place de la Gare, du 19 au 26.11 sur la place Walser, du 25 au 28.11 sur la place du Marché-Neuf, finissage le 28.11 à 18h au Marché-Neuf, voir aussi en page 5.

8 décembre: «Regards croisés neuchâtelois historico-syndicaux», colloque et journée de formation de 9h30 à 15h30 à la salle Unia du Locle (Crêt-Vaillant 19-21) avec conférences, discussions, repas et convivialité, inscription auprès de .

Jusqu’au 20 janvier: expo au Musée national de Zurich, infos sur nationalmuseum.ch.

 

QUELQUES LECTURES CONSEILLEES:

-Patrick Auderset, Florian Eitel, Marc Gigase, Daniel Krämer, Matthieu Leimgruber, Malik Mazbouri, Marc Perrenoud, François Vallotton (éd.), La Grève Générale de 1918 – Crises, conflits, controverses, Coédition Traverse 2018/2 - Cahiers d’histoire du mouvement ouvrier Hors-série 2018, Zurich : Chronos Verlag et Lausanne: Editions d'en bas, 2018, 320 p. 28 francs. On peut lire ici :Table des matières et l'éditorial

-Adrian Zimmermann et Jean-Claude Rennwald (Dir.),  La Grève générale de 1918 en Suisse, histoire et répercussions, Alphil, octobre 2018, 159 p. 

-Compte-rendu des derniers ouvrages parus à lire dans L'Evenement syndical

-«La grève générale de 1918 - Matériaux pour l'enseignement. Histoire d'un événement fondateur du XXe siècle en Suisse». SSP, 2018.

-Hans Ulrich Jost, "L'importance de la grève génlérale dans l'histoire de la Suisse", , in H.U. Jost, À tire d'ailes : contributions de Hans-Ulrich Jost à une histoire critique de la Suisse, Lausanne:Antipodes, 2005, pp. 187-203.

-Marc Vuilleumier (éd.), La grève générale de 1918 en Suisse, Genève: Ed. Grounauer, 1977, 257 p.

-Martin Lengwiler, Matthieu Leimgruber, "L’influence de la grève générale sur la politique sociale au lendemain de la Première Guerre mondiale" in: Sécurité sociale CHSS n°3, septembre 2018. Disponible en ligne: ici

Signalons aussi la réédition des deux ouvrages de Willi Gautschi, Der Landesstreik 1918 et Der Landesstreik 1918 Dokumente. Zurich : Chronos Verlag, 2018. Et encore à lire, les ouvrages de
Erich Gruner, Marc Vuilleumier et Bernard Degen