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L’OFT veut privatiser les entreprises de transport

Les transports publics suisses en danger

La stratégie de l’Office fédéral des transports (OFT) en matière d’évolution des transports publics d’ici 2030 révèle une position ultralibérale en ce qui concerne le service public, la privatisation et les paquets ferroviaires européens.

ll y a menace sur le système de transports publics suisses, qui a pourtant fait ses preuves.

L’OFT a publié, en accompagnement de sa newsletter de juillet, un document de 26 pages intitulé « Une stratégie pour l’avenir des transports publics . En voici les points centraux:

  • une meilleure prise en compte des besoins de la clientèle (mais en matière de système tarifaire du transport de voyageurs, l’OFT veut simplifié et uniformiser le système sur le plan national, page 11 du rapport);
  • la concentration de la croissance des TP là où le développement promet d’être durable;
  • un meilleur alignement des TP sur le développement territorial et la stratégie énergétique;
  • la focalisation de l’OFT sur l’aménagement et le financement de l’infrastructure,
  • un plus grand nombre d’instruments d’économie de marché et d’incitations à agir de manière entrepreneuriale;
  • une diminution des « réglementations spéciales ‹Suisse› ».

Les deux derniers points sont accueillis de manière très critique par le SEV, surtout les objectifs suivants en résultant:

  • « L’accès au marché est mis en œuvre dans certains secteurs du TP voyageurs et l’offre est fournie par un nombre grandissant d’entreprises privées à but lucratif. » (page 7);
  • « La part des pouvoirs publics à la propriété des entreprises de transport ferroviaires est sensiblement réduite. » (aussi bien en page 22 sur le transport de voyageurs qu’en page 23 sur le transport de marchandises);
  • « Le fret ferroviaire transalpin et sur tout le territoire sont autofinancés. » (page 23);
  • « Examen de la reprise progressive des paquets ferroviaires européens. » (page 15).

L’OFT relativise l’importance de son document: « Les thèmes énoncés ne sont pas des aiguillages préalables aux choix politiques, mais des champs d’activité de l’OFT pour les prochaines années. L’OFT adaptera sa stratégie si des décisions politiques la contredisent. » Mais on peut se demander comment l’OFT a pu développer une telle stratégie sans discuter auparavant avec toutes les parties concernées: il s’agit clairement d’une occasion manquée!

Et le service public alors?

L’offre en matière de transports publics « sera de plus en plus fournie par des entreprises privées à but lucratif », explique l’OFT dans sa stratégie. Les pouvoirs publics ne peuvent commander des prestations et en même temps posséder des entreprises de transport, estime l’OFT, comme si la séparation des pouvoirs et les contrôles démocratiques ne pouvaient alors plus fonctionner comme il faut. Le salut serait apporté par des entreprises privées à but lucratif. Le service public semble appartenir au passé: on a beau chercher ce terme dans la stratégie de l’OFT, c’est sans succès, relève Daniela Lehmann, coordinatrice de la politique des transports au SEV, dans l'interview.

Daniela Lehmann est coordinatrice de la politique des transports au SEV depuis 2010.

contact.sev: Quelles sont les divergences de points de vue sur l’avenir des transports publics entre le SEV et l’OFT?
Daniela Lehmann: Ce qu’il manque selon moi à la vision de l’OFT, c’est le fait que les transports publics (tp) font partie du service public. On ne trouve que deux fois le terme de « desserte de base ». C’est la différence essentielle entre l’OFT et nous. Nous le disons clairement: les tp sont du service public et peuvent coûter quelque chose. Il faut donc réfléchir avant de donner des lignes à des entreprises à but lucratif. Ce n’est en effet pas compatible avec le principe de service public et cela menace même le système suisse qui fonctionne très bien aujourd’hui.

Comment cela?
Une des conditions de base de notre système est la cohabitation de tous les acteurs. Mais si les entreprises ont pour but principal de générer des bénéfices, elles lutteront entre concurrents au lieu d’œuvrer ensemble pour un bon système global.

Comment remarque-t-on dans la stratégie publiée que la notion de service public est quelque peu oubliée?
« Le fret ferroviaire transalpin et sur tout le territoire sont autofinancés », écrit l’OFT sous les tâches prioritaires stratégiques 16 « Transport de marchandises financé par les utilisateurs et encouragement à l’innovation ». Il ne devrait donc plus y avoir de soutien
au trafic marchandises, bien qu’en page 6, on lise: « Les transports voyageurs et de marchandises ont une part de marché en adéquation avec leur avantage écologique. » Oui, mais peut-on atteindre cet objectif si le trafic marchandises doit être autofinancé? Il y a une contradiction. Certes, en page 9, on lit: « La répartition modale en trafic transalpin se déplace en faveur du fret ferroviaire. » Ils ne peuvent guère écrire autre chose, puisque l’Initiative des Alpes l’exige. Ce n’est pas si clair en ce qui concerne le fret sur tout le territoire. Lorsqu’on considère cela sous le point de vue de la protection de l’environnement, on arrive à la conclusion que le trafic marchandises a besoin de soutien.

Mais l’OFT veut déplacer la répartition modale en faveur du rail, également dans le trafic voyageurs?
Oui, mais on ne peut pas y arriver avec ce qu’ils proposent. Ce n’est qu’une formulation d’objectifs bien agréable à lire... mais irréalisable dans ces conditions.

"Obéissance anticipée face à l'UE"

A quel sujet le SEV a-t-il un autre point de vue?
L’OFT montre une fois de plus son obéissance, même de manière anticipée, face à l’UE: il estime que des directives vont arriver et qu’on devra les accepter sous n’importe quelle forme. On peut pourtant encore influencer des choses qui ne sont pas encore décidées. Le système des tp suisse fonctionne très bien. Mais on veut toujours y changer quelque chose, de gré ou de force. Pourquoi en fait?

Par exemple, la commission européenne veut également libéraliser le trafic longues distances. La stratégie de l’OFT ne dit rien à ce propos …
Non. Mais Doris Leuthard a clairement déclaré lors du dernier Congrès SEV qu’elle ne voulait pas cela pour la Suisse *(voir note en bas). Cela pourrait également faire partie d’une telle stratégie. On pourrait alors faire du lobbying. Il est clair que la Suisse n’est pas membre de l’UE mais on ne doit pas jeter l’éponge directement. Nous sommes souvent invités dans des pays de l’UE et pouvons y présenter le système de tp suisse.

L’OFT n’a certes parlé que de privatisation du trafic régional dans le trafic voyageurs devant les médias mais la formulation « certains secteurs des transports publics » est vague. Qu’adviendra-t-il si l’UE libéralise le trafic longues distances …
Effectivement, mais même dans le trafic régional, il faut que la privatisation soit moindre (voir encadré à droite) ! Il faut également préciser la phrase suivante de la page 7: « Les utilisateurs et les bénéficiaires contribuent davantage au financement de l’offre des tp. » Là il faudrait indiquer que le monde économique est un grand bénéficiaire de ce système de tp qui fonctionne bien et qu’il doit donc contribuer en conséquence. Ce qu’on n’a pas voulu faire avec FAIF ...

Interview: Markus Fischer / Hes

* La cheffe n’a-t-elle pas été consultée?

Doris Leuthard, la Ministre des Transports, s’est exprimée le 24 mai 2013 à la tribune du Congrès SEV:
« Nous ne voulons pas d’entreprises privées qui se concentrent uniquement sur les lignes rentables à des prix dumpés. Cela n’est pas du service public et ne correspond pas à la vision du Conseil fédéral. Je suis curieuse de voir quels seront les résultats à long terme de la concurrence dans le trafic longues distances dans des pays comme l’Autriche ou l’Italie et si les entreprises continueront à travailler avec le même engagement et la même qualité, aussi dans les régions. périphériques. Notre modèle suisse, obtient, je pense, les meilleurs résultats car il exploite tout le territoire. Cela a un prix, mais c’est notre vision des transports publics. » Cette vision n’est pas très présente dans la stratégie de l’OFT....

Légende:
En mars 2008, la section SEV VPT AAR bus+bahn et le PS Aarau remettaient les 1638 signatures de leur initiative populaire contre la vente prévue par la Ville des parts communales dans l’entreprise de bus d’Aarau au chancelier communal. Le peuple a ensuite accepté l’initiative le 21 septembre, avec 76,8 % des voix
!

L’OFT souhaite une plus forte privatisation du transport régional. Le SEV est contre

Dans sa stratégie pour 2030, l’OFT envisage d’augmenter la part du secteur privé dans l’actionnariat des entreprises de transport régional. Ce but est inscrit dans un document publié le 10 juillet dernier. Inacceptable, estime le SEV qui dénonce une privatisation rampante. « La part des pouvoirs publics à la propriété des entreprises de transport ferroviaire (ETF) est sensiblement réduite », écrit l’OFT dans sa « Stratégie pour l’avenir des transports publics ». Cette petite phrase apparaît sous la rubrique « ouverture du marché du transport de voyageurs ». Dans le même esprit, l’OFT imagine une offre fournie par toujours plus « d’entreprises privées à but lucratif ».

« L’idée est d’inciter les cantons à vendre au secteur privé leurs participations dans les petites entreprises de transport régional », qu’il s’agisse de trains ou de bus, explique Olivia Ebinger, porte-parole à l’OFT. « Nous voulons introduire une plus grande concurrence pour davantage coller aux conditions du marché », poursuit-elle. Il s’agirait notamment de séparer les rôles: l’Etat se contenterait de commander des prestations, et resterait responsable de l’infrastructure, tandis que les privés fourniraient l’offre, selon la porte-parole. L’OFT attend des réductions de coûts et de nouvelles offres pour la clientèle.

Ce désengagement des cantons et des communes ne toucherait que l’actionnariat des entreprises mais n’aurait pas d’incidences sur l’exploitation, précise-t-elle. Ainsi, l’indemnisation du trafic régional de voyageurs par les pouvoirs publics ne serait en rien modifiée. Les entreprises visées seraient surtout de petites sociétés comme le MOB, Aare Seeland mobil (ASM) ou AAR bus+bahn. Ce projet ne concerne pas les CFF, car cette compagnie est « la seule qui assure du trafic grandes lignes où il n’y a pas de concurrence ».

Lignes déficitaires pénalisées

Le SEV a pris connaissance du document de l’OFT et estime qu’il est inconcevable d’inciter les cantons et communes à privatiser leurs transports publics, explique Peter Moor, porte-parole du SEV. « Dans le cas de AAR bus+bahn, quelques communes ont voulu vendre leurs parts au groupe Eurobus knecht AG; mais le syndicat s’y est toujours opposé, car il estime anormal qu’un privé puisse réaliser des bénéfices tout en recevant le cas échéant des subventions publiques via les indemnisations prévues pour le trafic régional », indique-t-il. «Il existe déjà des compagnies partiellement privatisées comme le MOB ou complètement privées comme le Jungfraubahn, selon Peter Moor. Mais elles exploitent des lignes touristiques rentables. Le trafic d’agglomération pourrait aussi être intéressant, ajoute-t-il. En revanche, les lignes périphériques déficitaires seraient pénalisées. »
Daniela Lehmann, coordinatrice de la politique des transports au SEV, met également en garde: « Lorsqu’une entreprise veut encore pouvoir distribuer des dividendes (en plus des bénéfices dont elle a besoin pour des investissements), elle est tentée alors d’économiser sur le dos des employés, puisque les coûts du personnel représentent, dans les transports publics, environ 50 % des dépenses liées à l’exploitation. »

Privatiser les bénéfices?

« La proposition de laisser le domaine public prendre en charge les coûts non couverts là où le transport voyageurs régional n’est pas rentable, alors que, dans le même système, des entreprises privées travaillent en concurrence, est bien singulière », explique Daniela Lehmann. « Car cela signifie ni plus ni moins qu’on privatise les bénéfices et qu’on laisse les pertes à l’Etat. C’est un des problèmes de la libéralisation. On ne voit pas pourquoi l’Etat ne pourrait pas faire lui-même des bénéfices là où c’est possible, afin de soutenir les lignes déficitaires. »

Le système suisse en danger

Daniela Lehmann voit encore un autre danger: « Si les entreprises essaient avant tout de réaliser des bénéfices et ne collaborent plus vraiment, il sera très difficile de maintenir notre horaire cadencé tant admiré de par le monde. Pour cela il faut en effet une vision commune et pas un affrontement. Et si le système ne fonctionne finalement pas, il devra être redéveloppé par l’Etat... »  

Fi/Hes