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Interview avec le président SEV-GATA Philipp Hadorn

20 ans de SEV-GATA : «Que des entreprises ne veulent pas de CCT engendre des inégalités de traitement»

Environ 1500 employés et proches protestent le 11 septembre 2020 à l’aéroport de Zurich contre la réduction des salaires et des prestations sociales chez Swissport.

La branche de l’aviation du SEV a vu le jour il y a vingt ans à la suite de l’intégration du syndicat GATA qui organisait le personnel au sol. En 2017, ce fut le tour de Push. SEV-GATA représente aujourd’hui plus de 7500 employé·es, avant tout chez Swiss, Swissport et d’autres prestataires de services dans les aéroports suisses. Rétrospective et regard vers l’avenir avec le secrétaire syndical Philipp Hadorn, qui préside SEV-GATA depuis 19 ans.

Que s’est-il passé exactement il y a vingt ans ? (Voir aussi la chronologie en bas et l'article séparé sur SEV-GATA à l'aéroport de Genève.)

Philipp Hadorn : En mars 2004 se terminait le contrat de coopération qui avait été conclu trois ans auparavant entre le syndicat du personnel au sol GATA (Groundstaff Aviation Technics and Administration) et le SEV. À ce moment, il a fallu faire le point pour l’avenir : voulait-on poursuivre cet essai de collaboration, ce partenariat et avancer dans cette voie ou non ? Le comité GATA s’est alors donné le temps d’étudier les diverses offres de différents syndicats. Après une votation générale, c’est le SEV qui l’a remporté.

Sur quel sujet les membres de GATA ont-ils dû voter en mars 2004 ?

Ils ont dû décider s’ils voulaient intégrer le SEV. Ensuite, le comité fédératif SEV a dû accepter la nouvelle structure SEV-GATA, puis en octobre 2004 a eu lieu l’assemblée constitutive.

Comment le contact a-t-il été établi entre le SEV et GATA ?

C’est une belle histoire : la coopération a été proposée en 2001 par le vice-président du comité fédératif de l’époque André Graf. Il habitait à Bâle et sa femme Olga travaillait chez Crossair, où les employés désiraient conclure une CCT et avaient pour cela fondé le syndicat GATA. Soudain, ils devaient négocier une CCT, mais ne savaient pas comment s’y prendre. Olga en a discuté avec d’autres collègues et ils ont eu une idée : peut-être que le SEV pourrait apporter son aide ? C’est ainsi qu’André Graf est intervenu et que la coopération s’est concrétisée, deux mois avant son élection en tant que premier membre SEV.

« Les adhésions de GATA et Push étaient pour le SEV une reconnaissance de ses prestations comme syndicat fort des transports. » Philipp Hadorn, président SEV-GATA
Comment es-tu devenu président de SEV-GATA ?

J’ai été engagé en 2002 au SEV en tant que spécialiste des négociations pour la CCT CFF. Comme j’ai des bases en anglais, on m’a demandé si je voulais prendre aussi le dossier du domaine aérien. Au début, il ne représentait qu’un petit à-côté, car durant la coopération, les membres GATA ne faisaient pas encore partie du SEV. Ce groupement encore restreint au SEV est assez rapidement devenu mon bébé, car je pensais que leurs conditions de travail étaient beaucoup plus précaires que dans le reste du domaine des transports collectifs. Réussir à obtenir quelque chose pour cette catégorie d’employé·es a alors été ma grande motivation sur le plan syndical. Après trois années à la vice-présidence, j’ai répondu au vœu d’assurer la présidence, dès 2005.

Quels ont été les plus grands défis syndicaux durant ces vingt années ?

D’une part, le domaine de l’aviation est un dossier international très instable, car il y a toujours une crise ou des craintes qui amènent les mêmes conséquences : une adaptation à court terme du réseau de lignes ou une hausse des prix du kérosène, donc des pertes financières. C’est pourquoi cette branche est très exigeante, mais à la fois passionnante. D’autre part, l’intégration de GATA au SEV a représenté un défi, car la structure du domaine aérien n’est pas la même que celle des cheminots. Même si le SEV est habitué à travailler avec les branches bus, navigation et remontées mécaniques, c’est aujourd’hui encore un challenge constant de parvenir à accorder tous ces genres de mobilité collective. S’ajoute à cela le fait que dans le domaine de l’aviation il y a certes des réglementations internationales, mais qu’en Suisse, les conditions de travail ne sont que peu réglées et que de grandes entreprises renommées ne veulent pas d’une CCT. Cela reste parmi nos défis aujourd’hui.

En 2020, il y a eu la pandémie de coronavirus qui a presque amené un deuxième grounding après celui de Swissair en octobre 2001...

Oui, la crise du coronavirus a cloué au sol de nombreux avions de Swiss mais elle a comporté plusieurs facettes. D’une part le trafic aérien a été reconnu en Suisse comme d’importance systémique et des deniers publics ont été versés pour garantir la survie de l’entreprise. SEV-GATA s’est engagé pour obtenir de la Confédération des garanties pour les crédits bancaires accordés à Swiss et pour la prolongation de l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail. D’autre part, le personnel a dû accepter de faire beaucoup de sacrifices, par exemple en cas de chômage partiel, il a dû renoncer à 20 % de salaire en moyenne. Début 2021, nous avons conclu une « CCT de crise » avec des économies socialement supportables au niveau du personnel, en contrepartie de la promesse de Swiss de traverser cette crise avec tout son personnel afin de se tenir prête au moment du redressement.

C’est alors qu’est arrivé un nouveau CEO qui n’a pas adhéré à cette promesse et qui, en raison d’une mauvaise évaluation et malgré nos mises en garde et nos arguments clairs et fondés, a prononcé des licenciements de masse, ce qui a eu des conséquences sur le long terme, pour le personnel ainsi que pour l’entreprise. Ces conséquences se ressentent encore aujourd’hui. Conformément à nos prévisions, la demande a rapidement augmenté et, à ce jour, elle est pratiquement aussi grande qu’avant la pandémie. Ainsi les problèmes de sous-effectifs n’ont pas tardé à apparaître et il n’a pas été facile de recruter du personnel qualifié. Le personnel restant a dû effectuer des prestations supplémentaires dans des conditions extrêmes, ce qui a rendu la situation insupportable. Cela est encore le cas en partie aujourd’hui, car il manque toujours des gens dans certains domaines. La réduction du personnel a eu des effets positifs sur le résultat de l’entreprise, toute l’ironie de la situation est que cela a bien sûr fonctionné, et qu’il a été facile de faire plus de bénéfices avec moins de gens et l’annulation des vols sous-occupés.

Quels ont été les plus grands succès de SEV-GATA durant les 20 dernières années ?

On peut certainement dire que nous avons eu du succès là où nous avons négocié et renouvelé des CCT. Il est intéressant de constater que le syndicat GATA, initialement fondé chez Crossair, est devenu le syndicat le plus fort du personnel au sol chez Swissair en peu de temps, après le grounding en octobre 2001 de la compagnie et sa quasi-reprise par Crossair. La nouvelle compagnie aérienne Swiss qui a commencé son activité le 1er mars 2002 avait besoin d’une CCT pour l’ensemble du personnel au sol et cela nous a permis de conclure des conventions collectives adaptées et, après plusieurs licenciements de masse, d’obtenir une relative stabilité pour le personnel. Avec Swissport et d’autres entreprises, nous avons aussi pu conclure avec succès des CCT et mener des négociations salariales. Par exemple chez Swiss, pour la ronde salariale 2023, nous avons pu obtenir le meilleur résultat de tout le SEV et même au-delà. Un autre succès a été que GATA choisisse de venir au SEV il y a vingt ans : c’est une reconnaissance des prestations fournies par le SEV en tant que syndicat fort du domaine des transports. Cela est aussi valable pour l’autre intégration dans SEV-GATA, celle de l’organisation Push qui a reçu l’aval du congrès SEV en 2017 et a amené beaucoup de membres, surtout chez Swissport.

Quelles furent les moins bonnes expériences ?

Sûrement les licenciements de masse chez Swiss dans les premières années. Déjà après le grounding de Swissair, la moitié des effectifs a dû prendre la porte, puis trois autres vagues de licenciements ont suivi, qui étaient plus ou moins compréhensibles étant donné la très mauvaise posture de l’entreprise. Ce qui n’a pas été le cas de la quatrième vague durant la pandémie. Ces débuts difficiles étaient une horreur pour toute la branche. Je faisais partie des gens qui, en ce temps-là, au lieu de partir en vacances durant l’été, discutaient avec les personnes ayant perdu leur emploi pour tenter de trouver des solutions. Pour les personnes touchées, la situation était dramatique mais, avec des plans sociaux, nous avons au moins pu atténuer sensiblement les effets. Les plans sociaux apportent un semblant de soulagement dans les situations de crise.

Le changement climatique représente un grand défi pour le domaine des transports aériens. Comment évolue la question des émissions nocives pour le climat ?

Les autres formes de mobilité aussi sont nocives pour le climat, mais il est vrai que les quantités d’émissions produites par les transports aériens sont encore particulièrement grandes. Cependant, la branche investit actuellement beaucoup pour la protection du climat. Swiss par exemple, avec son CEO actuel, a pris un nombre de mesures au-dessus de la moyenne pour réduire les émissions aussi au sol. De manière générale aujourd’hui, les carburants renouvelables sont combinés, et la recherche et les projets pilotes sur l’utilisation des énergies renouvelables battent leur plein. Il s’agit de poser des jalons sur le plan international. Nous les syndicats, avec l’ETF et l’ITF, avons fait des consensus, ce qui n’est pas encore le cas du secteur industriel.

Quels sont les autres défis pour SEV-GATA ?

Les entreprises tentent de plus en plus de répercuter les risques financiers de leur domaine volatile sur le personnel en leur donnant un salaire de base peu élevé avec une participation aux bénéfices s’il y en a. Nous nous y opposons avec un certain succès. S’y ajoute la problématique des entreprises qui ne veulent pas de partenariat contractuel. Il en résulte des inégalités de traitement. Nous essayons de changer cela, parfois même avec l’aide de nos partenaires sociaux. Notre objectif est toujours de sécuriser les places de travail et d’avoir de bonnes conditions d’engagement. Nous nous investissons pour cela de manière conséquente. Il y a encore beaucoup à faire.

Markus Fischer
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Chronologie: 24 ans de GATA

L’histoire de la division aérienne du SEV a commencé quatre ans avant sa création, avec la naissance du syndicat maison GATA au sein de la compagnie aérienne régionale Crossair. Personne ne se doutait alors qu’il deviendrait un jour le plus grand syndicat suisse du personnel au sol, par exemple chez Swiss.

Juillet 2000 : les collaborateurs de Crossair fondent le Groundstaff Aviation Technics and Administration (GATA).

1er mars 2001 : GATA et SEV conviennent d’une coopération de 3 ans.

2 octobre : Swissair étant en faillite, ses avions restent au sol. Les banques, la Confédération et les cantons injectent de l’argent, mais des milliers de collaborateurs perdent leur emploi. La direction est de fait transférée à Crossair et une société de remplacement est préparée sur la base de cette dernière. GATA devient responsable du personnel au sol.

1er mars 2002 : lancement de Swiss avec 10 500 postes - dont la moitié subsistera jusqu’à mi-2006.

Avril 2002 : première CCT pour le personnel au sol de Swiss.

Mars 2004 : les membres de GATA votent pour l’intégration au SEV.

30 septembre 2004 : Swiss dénonce la CCT du personnel au sol.

28 octobre  2004 : Assemblée pour la fondation de SEV-GATA.

14 mars 2005 : SEV-GATA proteste contre les plans de licenciements massifs de Swiss et contre les détériorations de la CCT. Le 31 mars, une CCT sans détériorations est conclue.

22 mars 2005 : Lufthansa se met d’accord avec les gros actionnaires de Swiss sur la reprise progressive de la compagnie dans le groupe Lufthansa et garantit le maintien du hub de Zurich et de la marque Swiss.

2008 : Externalisation de Swiss Technik dans la Lufthansa Technik Switzerland (LTSW). SEV-GATA y obtient une CCT en 2009. En 2012, LTSW supprime de nombreux postes et ferme le site de Bâle en 2013. Certains collaborateurs passent chez Swiss, pour d’autres, le plan social entre en vigueur.

Décembre 2012 : contrat avec Swiss pour le dialogue sur l’égalité salariale.

Mai 2015 : Swiss cesse ses activités à Bâle.

2016 : Swiss fait de gros bénéfices et agrandit sa flotte ; SEV-GATA demande plus de personnel.

1er juillet 2017 : SEV-GATA intègre l’association du personnel Push avec environ 500 membres : à Zurich surtout chez Swissport et SBS, à Genève chez Swissport, ISS et Priora - où SEV-GATA devient ainsi partenaire social.

Mai–Novembre 2018 : négociations CCT chez Swissport.

Dès mars 2020 : la pandémie du Covid limite fortement le trafic aérien. SEV-GATA se mobilise pour obtenir des indemnités de chômage partiel et une aide fédérale, la Confédération donne des garanties à Swiss pour des prêts bancaires. En mars 2021, SEV-GATA conclut une CCT de crise avec Swiss. Malgré cela, Swiss procède à un licenciement collectif à partir de mai. Un manque de personnel en résulte dès que les vols reprennent - jusqu’à aujourd’hui.

11 septembre 2020 : 1500 personnes manifestent à l’aéroport de Kloten et 150 à Cointrin contre la détérioration de la CCT Swissport. En décembre, « CCT de crise » à Zurich.

Octobre 2020 à juillet 2021 : vide contratuel chez Swissport Genève, suivie de résiliations de modifications et d’une mobilisation du personnel qui dure des mois. Ce n’est qu’après une grève le 14 juillet 2021 et grâce à la médiation du canton de Genève qu’une CCT de crise est possible. Nouvelle CCT conclue en mars 2022.

23 juillet 2022 : à Kloten, 200 employés de Swissport protestent à nouveau. Octobre, nouvelle CCT.

2023 : après un excellent accord salarial chez SWISS pour 2023 et des améliorations salariales supplémentaires pour le personnel technique, les négociations salariales 2024 chez SWISS s'annoncent difficiles, tout comme chez Swissport. Chez Swissport Genève, l'assemblée générale du personnel approuve deux nouvelles CCT (une pour le personnel fixe payé au mois et une pour le personnel auxiliaire payé à l'heure), qui apportent notamment une nette augmentation des salaires.