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Le projet de réfection du tunnel routier du Gothard suscite un vif débat, surtout dans les cantons d’Uri et du Tessin

Tunnel routier du Gothard, un tube ou deux tubes ?

Dès que le tunnel ferroviaire de base du Gothard sera opérationnel, la Confédération devrait donner son feu vert aux travaux de réfection du tunnel routier. Travaux qui devraient durer quelque 900 jours ! Les cantons d’Uri et du Tessin craignent que leur économie soit étranglée par ce nouveau chantier. La question de la construction d’un deuxième tube routier est remise sur le tapis.

Le transfert modal déchargerait les vallées du Gothard du trafic poids lourds (ici Ambri).

L’actuel tunnel autoroutier du Gothard a été inauguré le 5 septembre 1980. Sa mise en service a bouleversé la donne en matière de trafic entre le nord et le sud de la Suisse et même de l’Europe. Pour le rail, les conséquences ont été néfastes.

Choix contesté

Le fait d’avoir décidé de construire un seul tube autoroutier accueillant un trafic bidirectionnel a toujours suscité moult discussions qui sont allées crescendo au fur et à mesure que le volume du trafic augmentait. En 1981, après la première année d’ou- verture, moins de 3 millions de véhicules avaient traversé le nouveau tunnel. En 2000, année record, on a recensé 6,8 millions de véhicules ! Aujourd’hui, la moyenne s’est stabilisée à environ 6 millions de véhicules par année. Ce qui correspond à 60 % du trafic routier à travers les Alpes suisses. Le tunnel du Brenner reste le transit routier nord–sud le plus fréquenté à travers toutes les Alpes avec 9 millions de véhicules par année.

Pétition

Le 30 mars dernier, neuf organisations tessinoises ont remis au Conseil d’Etat tessinois une pétition munie de plus de 5000 signatures. Les pétitionnaires ont fait part de leur soutien au projet de la mise en service de navettes ferroviaires durant la durée des travaux de réfection du tunnel autoroutier. Les pétitionnaires demandent également que la circulation des camions soit interdite dans le tunnel autoroutier, même après la fin des travaux de réfection du tunnel.

Transfert modal

La petite phrase reportée cidessus, prononcée en 1980 par l’ancien conseiller fédéral Hürlimann, prouve que le transit des poids lourds à travers les Alpes était déjà il y a plus de trente ans un gros sujet de préoccupation. Mais le voeu du conseiller fédéral est resté lettre morte. Dès l’ouverture du tunnel, le nombre de camions qui le traversaient n’a pas cessé d’augmenter. Parallèlement, l’idée d’inciter le transfert des marchandises sur rail a pris de l’ampleur. Le 20 février 1994, le peuple suisse a approuvé – contre l’avis de l’Assemblée fédérale et du Conseil fédéral – l’initiative intitulée « Pour la protection des régions alpines contre le trafic de transit » (lire encadré ci-contre). Cette initiative visait un double but : transférer les marchandises à travers les Alpes principalement sur rail et interdire l’extension du réseau routier dans les régions alpines. Si les mesures prises pour inciter le transfert des marchandises de la route au rail n’ont pas obtenu le succès escompté, par contre le développement du réseau routier à travers les Alpes a été effectivement stoppé. Un stop confirmé en 2004 par le rejet du contre-projet à l’initiative Avanti qui demandait entre autres de lever l’interdiction de construire un deuxième tube autoroutier sous le Gothard.

Un tunnel sûr ?

Les discussions relatives à la construction d’un deuxième tube ont toujours été également motivées par des critères de sécurité liés au fait que ce tunnel renferme un trafic bidirectionnel. Le 24 octobre 2001, deux poids lourds se sont télescopés dans le tunnel, provoquant un incendie qui a coûté la vie à onze personnes. Le tunnel a été rouvert deux mois plus tard. Des mesures ont dès lors été prises afin qu’une certaine distance soit maintenue d’un véhicule à l’autre et pour réduire la fréquence des croisements entre poids lourds. Mesures qui ont démontré une certaine efficacité. Malgré tout, depuis lors, quatre accidents mortels – dont trois ont impliqué des poids lourds – sont survenus dans le tunnel.

Un tunnel qu’il faut assainir

Comme si les préoccupations liées à la sécurité et aux embouteillages qui ont régulièrement lieu les week-ends et durant les vacances ne suffisaient pas, un nouveau souci est venu se greffer sur ce tunnel autoroutier du Gothard : d’ici dix à quinze ans, il faudra rénover de fond en comble les structures mêmes de ce tunnel. En janvier 2009, la commission des transports du Conseil des Etats a déposé un postulat qui posait plusieurs questions relatives à la réfection, à l’éventuelle construction d’un deuxième tube et aux divers scénarios sur la manière de gérer le trafic durant les travaux. Le Conseil fédéral a répondu en décembre 2010 par le biais d’un épais rapport : le gouvernement quantifie à 900 le nombre de jours nécessaires à la réfection du tunnel : 900 jours durant lesquels le trafic routier sera interrompu, que ce soit dans un sens ou dans l’autre ; les coûts de ces travaux s’élèveront entre 1,2 et 1,4 milliard (voir encadré page 12). Selon le même rapport, pour effectuer les travaux il ne sera pas nécessaire de percer un deuxième tube, dont le coût s’élèverait à environ 2 milliards et dont la construction s’effectuerait trop tard par rapport à la nécessité de réaliser assez rapidement les travaux de réfection. Par ailleurs, un deuxième tube qui permettrait à terme d’augmenter le nombre de véhicules qui transiteraient par le Gothard serait contraire à la Constitution.

Tube de doublement ou de remplacement

Les conclusions du Conseil fédéral ne sont cependant pas partagées par tout le monde. Au Tessin, une initiative parlementaire a été lancée. Elle demande le percement d’un deuxième tube à travers lequel serait dévié le trafic durant les travaux de réfection du premier tube. Une fois que ces travaux seraient terminés, les deux tubes seraient utilisés mais avec possibilité de circuler sur une seule voie, reléguant la seconde au rôle de voie de secours. Ainsi, pour les promoteurs de cette initiative parlementaire cantonale, les capacités ne seraient pas augmentées et cela ne serait donc pas contraire aux articles constitutionnels introduits par l’acceptation en 1994 de l’Initiative des Alpes.

Votations le 15 mai prochain à Uri

Les Uranais quant à eux sont appelés aux urnes le 15 mai prochain. Ils devront se prononcer sur une initiative émanant de la section jeunesse de l’UDC cantonale. L’initiative de la jeunesse UDC demande, à l’instar de l’initiative parlementaire tessinoise, la construction puis la mise en service d’un deuxième tube. Mais le 15 mai prochain, les Uranais devront se prononcer également sur le contre-projet de leur gouvernement qui demande la construction d’un deuxième tube qui répondrait à tous les standards modernes de sécurité et de confort. Ce nouveau tube remplacerait le tube actuel qui serait purement et simplement abandonné. Ce contre-projet du gouvernement uranais a reçu le soutien du gouvernement tessinois, également inquiet par le projet de fermeture prolongée du tunnel pour raisons de travaux, mais ne voulant pas à terme augmenter la capacité du transit routier.

La solution ferroviaire

Le rapport du Conseil fédéral indique clairement comment il prévoit la gestion du trafic durant les travaux grâce au soutien du rail. La réfection devra avoir lieu après l’ouverture du tunnel ferroviaire de base du St-Gothard – deux tubes – prévue d’ici 2017. Cette ouverture permettrait de mettre sur pied deux systèmes de trains-navettes. Les voitures seraient chargées sur des trains qui transiteraient par l’actuel tunnel ferroviaire et les camions seraient chargés sur les trains qui passeraient par le nouveau tunnel de base. Pour l’association Initiative des Alpes, cette solution ferroviaire devrait être prolongée en interdisant de manière définitive le passage des camions à travers le tunnel autoroutier (avec des exceptions pour le trafic local). Cette solution permettrait de réduire les nuisances sur l’environnement aussi bien dans les cantons d’Uri et du Tessin. Elle permettrait aussi de réduire le nombre de travaux qui ont été projetés pour refaire le tunnel routier. Travaux principalement projetés pour satisfaire aux exigences de sécurité induites par le passage des poids lourds. Enfin, l’absence de camions rendrait plus sûre la circulation dans ce tunnel.

Concrétiser le mandat de transfert

Selon une récente étude présentée par l’Initiative des Alpes, il serait possible d’aménager des terminaux rail-route à chaque extrémité du futur tunnel ferroviaire de base qui permettraient le chargement des camions non pas sur deux mais sur trois trains par heure et par direction. Tout en garantissant l’offre du trafic des voyageurs, le nouveau tunnel de base pourra à lui seul absorber la totalité de la part du Gothard des 650 000 trajets poids lourds annuels qui sont autorisés à franchir les Alpes suisses. Cela permettrait du coup de concrétiser le mandat de transfert sur le rail du trafic marchandises à travers les Alpes voulu par le peuple en 1994.

La valse des chiffres

Ces derniers temps d’autres scénarios ont été évoqués. Des entrepreneurs soutiennent qu’un milliard de francs seraient suffisants pour percer un deuxième tube (dans les années 70, le premier tube avait coûté 686 millions). Ce deuxième tube pourrait même être mis en service avant les travaux de réfection.

Un deuxième tube = cheval de Troie ?

Toutes les variantes proposées par les diverses autorités respectent, du moins sur le papier, l’interdiction d’augmenter le volume routier du transit alpin, mais ne garantissent pas le respect de la Constitution. Une récente étude commandée par l’Initiative des Alpes juge en effet que le percement d’un deuxième tube, même sans augmentation du volume du trafic, serait inadmissible du point de vue constitutionnel (lire encadré ci-contre). En outre, on peut légitimement penser qu’il serait très difficile de repousser les pressions allant dans le sens d’une augmentation du trafic, surtout lorsque les interminables queues et bouchons se formeront durant les jours de pointe. Avoir à disposition deux voies par tube, mais en utiliser une seule, serait une promesse dès lors très difficile à tenir. Et les conséquences seraient graves : l’augmentation de l’infrastructure routière a toujours attiré de nouveaux trafics qui saturent les voies d’accès. Pour ce qui est du Gothard, il y a fort à parier que le Sottoceneri serait saturé de véhicules, péjorant encore davantage les dégâts causés sur l’environnement.

Une question de cohérence

Le débat sur le doublement du tunnel autoroutier du Gothard ne doit pas faire perdre de vue les objectifs de la politique des transports voulue par le peuple suisse. Un deuxième tube boosterait le trafic routier. Cela suffoquerait encore davantage les vallées nord et sud qui conduisent au Gothard. La fermeture du tunnel autoroutier pour son assainissement devrait au contraire être la bonne occasion pour mettre sur pied des structures de transfert modal efficaces, grâce notamment au potentiel offert par la future mise en service du nouveau tunnel de base ferroviaire.

Pietro Gianolli/AC

Commentaires

  • Luc CHAPPUIS

    Luc CHAPPUIS 17/01/2016 16:47:16

    Lorsque l'on est entrepreneur, on est soumis aux lois et la logique voudrait qu'il en soit de même pour la politique qui ne fait que de fabriquer des lois.
    Donc, après la lecture de vos textes, on a l'impression que seules les gares de chargement et les wagons correspondant manquent aujourd'hui à quelques mois de l'ouverture du tunnel de base.
    Si on veut appliquer ce qui est très bien dit plus haut, il faut immédiatement construire des trains capables de transporter ces camions et voitures à 200 km/h sur les 57 km et le tour est joué!
    Question: combien de temps faut-il pour construire ce matériel aux normes suisses?
    La réponse est malheureusement qu'il est peut-être plus rapide de creuser un nouveau tunnel que de construire des nouveaux wagons et des gares de chargement à cause de la LAT!
    Merci de chercher la réponse, très vite, s'il vous plaît : les votations sont pour très bientôt et la politique devrait nous donner une réponse circonstanciée pour être crédible.