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De l’assainissement de la Caisse de pensions aux négociations CCT : les grands dossiers CFF se bousculent

« Nous ne voulons pas un système salarial moderne, mais équitable »

Dans cette interview, le vice-président Manuel Avallone aborde les grands sujets qui grèvent l’environnement des CFF. Il qualifie les relations des CFF avec les syndicats de problématiques et perçoit une radicalisation du partenariat social, ce qui ne sert pas la cause.

Vice-président Manuel Avallone à la manif des femmes à Berne

contact.sev : Le message du Conseil fédéral sur la Caisse de pensions, la décision du Tribunal arbitral sur les salaires : on y voit plus clair depuis quelques jours. Es-tu soulagé ?

Manuel Avallone : Non, ce n’est pas le cas. On n’y voit pas beaucoup plus clair : le message sur la Caisse de pensions va maintenant au Parlement mais son contenu est hautement problématique. La décision prise par le Tribunal arbitral ne nous satisfait pas : il n’y a pas d’augmentation réelle de salaire. Les collaborateurs perdent du pouvoir d’achat alors que le management se réjouit des bonus qui lui ont été accordés, c’est vraiment pervers !

Donc plus sur l’ordre du jour mais pas liquidé ?

Dans le cas de la Caisse de pensions, la charge sur le personnel est lourde. Il nous reste donc beaucoup à faire. Quels sont donc tes principaux soucis en ce moment ? Très généralement, ce sont les relations avec les CFF. Nous devons constater qu’elles ont changé. Les CFF suivent une ligne dure et cherchent à passer en force. Bien des gens aux étages de direction sont arrivés récemment aux CFF, ils ne savent pas ce qu’est un partenariat social vécu. Ils ont le sentiment que leur point de vue est le seul valable. C’est ainsi que les deux côtés se radicalisent et je pense que cela ne sert pas le partenariat social.

Tu abordes actuellement les CFF avec un catalogue de revendications (voir dossier page 12). Quelle en est la revendication principale ?

Le contexte est marqué par les programmes d’économies et les demandes de l’entreprise : elle réclame des milliards à la Confédération pour la Caisse de pensions, l’entretien et la modernisation du réseau. La pression sur les CFF pour qu’ils fassent des économies est énorme, elle retombe finalement sur le personnel ; ce sont in fine les conditions d’engagement qui en souffrent. Avec notre catalogue de revendications, nous lançons une contreoffensive. Nous voulons que le personnel bénéficie d’une bonne formation et d’un perfectionnement professionnel de qualité afin qu’il puisse affronter les nouveaux défis. Il s’agit de garder le know-how dans l’entreprise. Nous réclamons des CFF qu’ils examinent si certains travaux accomplis à l’heure actuelle par des tiers ne pourraient pas être avantageusement exécutés par leurs propres collaborateurs. Nous attendons au surplus que les gens qui ont des capacités de prestations réduites continuent à avoir une place aux CFF. Dans le sens de l’entreprise intégrée, nous demandons aussi de la perméabilité dans la mobilité professionnelle ; pourquoi un agent de la manoeuvre ne pourrait-il pas devenir agent d’accompagnement des trains ? Nous voulons en discuter avec les CFF. Ces thèmes sont aussi un grand défi pour nous en tant que syndicat.

Quelle est l’attitude des CFF face à ces revendications ?

Ils ne sont pas réticents face à ces thèmes. Mais il ne faut pas en rester à des discussions, ils doivent agir, concrètement et visiblement. En partenaires sociaux responsables, nous voulons apporter nos connaissances et notre savoir-faire.

Le public perçoit actuellement les CFF plutôt comme quémandeurs : ils ont besoin d’argent pour leur Caisse de pensions, ont négligé l’entretien du réseau, veulent construire de nouvelles lignes et parlent d’augmenter les tarifs. La revendication d’augmenter les effectifs a-t-elle encore place dans ce contexte ?

Les CFF se gênent de monter déterminés au front et de dire clairement qu’ils ont besoin de ces grosses sommes d’argent. Ils jouent les « miséreux », aussi dans l’intention de donner mauvaise conscience à leur personnel et de justifier face au public les détériorations du statut qu’ils font subir à leurs collaborateurs. C’est dans leur logique d’entreprise. La nôtre est plus nuancée. Nous sommes convaincus que le public s’identifie encore très fortement aux CFF. Si je dis aux CFF, je pense aussi à leurs collaborateurs. Le grand public tient les prestations des cheminotes et des cheminots en grande estime. Le prestige du management est par contre mauvais, en particulier à cause des discussions sur les bonus qui sont tout simplement incongrus aujourd’hui. Les dirigeants des CFF ne ratent jamais une occasion de mettre les pieds dans le plat. S’agit-il d’une stratégie ou plutôt d’une certaine insensibilité couplée à de la simple arrogance ? La réponse m’échappe.

Depuis des mois, tu mentionnes que, dans un tel contexte, il n’y a pas place pour des négociations CCT. Les CFF semblent prêts à s’y rallier à la condition que les négociations sur le système salarial démarrent. Est-ce une voie praticable ?

C’est une approche judicieuse. Notre idée de départ était de renvoyer l’ensemble des négociations CCT d’une année. J’ai déjà parlé du contexte : Caisse de pensions, Infrastructure – et un thème que nous n’avons pas encore abordé : Cargo, où les gens vont voir déferler beaucoup de choses sur eux. Il y a là un potentiel de conflits qu’il ne faut pas sous-estimer. Vouloir négocier toute la CCT dans ces conditions nous paraîtrait une erreur. La CCT est la seule valeur sûre pour le personnel dans une telle période. Les conditions d’engagement sont la base sur laquelle ils travaillent. Les remettre aussi en discussion maintenant serait de trop. C’est pourquoi il nous paraît sensé de négocier tout d’abord le système salarial durant l’année qui vient. Nous avons nous-mêmes aussi des revendications au sujet de ce système : nous ne demandons pas un système salarial moderne, nous en voulons un qui soit équitable. Si les négociations réussissent, il y aura accord sur le système salarial et sur la durée de validité de la CCT dans son ensemble. C’est un chemin pas simple et plein d’embûches.

Le personnel s’attend en général à ce que les CFF veuillent faire des économies avec le nouveau système salarial. Peux-tu tranquilliser les gens ?

Malheureusement non ! Nous connaissons la position des CFF à ce sujet : selon eux les échelons de fonction inférieurs gagnent trop, les échelons du milieu ont un salaire correct et les échelons supérieurs sont trop peu payés. Si les CFF ont sérieusement l’intention de procéder à une redistribution, le conflit est programmé. Notre conférence CCT a clairement signalé qu’une redistribution du bas vers le haut recevrait un « no go ». Nos revendications et celles des CFF dans cette question du système salarial vont dans un sens diamétralement opposé. Mais nous ne transigerons pas.

Comment te représentes-tu ce nouveau système salarial ?

Je me représente un système équitable, transparent et qui montre une claire évolution du salaire de chacun. Tout collaborateur doit pouvoir voir ce qu’il advient de son salaire. Ce dont il ne doit plus être question, c’est de la régulation de la masse salariale par l’évaluation du personnel. Cela fait de cette évaluation une vraie farce. Nous sommes favorables à un entretien individuel qui soit utile au développement personnel et pas à gérer la masse salariale. Si les CFF veulent récompenser les prestations, ils doivent disposer pour cela de moyens supplémentaires. Sinon l’argent consacré aux composantes de prestations est pris à d’autres collaboratrices ou collaborateurs, ce que ces derniers ressentent – à juste titre – comme injuste. Nous sommes convaincus que les gens veulent travailler pour les CFF parce que le système et les chemins de fer leur plaisent. Il n’y a pas besoin de les appâter avec de l’argent. Ce sont de fausses incitations ; le monde bancaire a fourni depuis longtemps les preuves de l’inefficacité de tels systèmes. Les CFF doivent être attractifs pour les gens qui veulent s’engager et pas pour les chasseurs de bonus. Celui à qui cela ne convient pas peut se tourner vers le monde de la finance et y chercher son bonheur. Le personnel veut un environnement favorable pour pouvoir faire du bon travail ; il veut pour cela un salaire correct mais pas des incitations artificielles ou des systèmes manipulables, opaques et arbitraires.

L’an prochain, ce sera cependant le système salarial actuel qui sera encore en vigueur avec ses négociations habituelles ?

Les prochaines négociations salariales se baseront sur le système existant car les tractations pour le nouveau ne seront pas encore terminées. Nous allons tout d’abord analyser avec précision l’évolution du contexte puis, vers la fin de l’année, déposer nos requêtes – un peu plus tard que ces dernières années car il y a chaque fois beaucoup de choses qui bougent.

Le Tribunal arbitral n’a pas concédé d’augmentation générale pour cette année. Quelles leçons en tires-tu pour les prochaines négociations salariales ?

Nos requêtes sont toujours basées sur trois piliers : la situation économique de l’entreprise, l’évolution du marché du travail et le coût de la vie. Selon notre analyse, le Tribunal ne s’est basé que sur la situation de l’entreprise et a aussi constaté que cela va bien pour elle. Nous sommes cependant déçus de l’argumentation du Tribunal au sujet du coût de la vie et de la situation sur le marché du travail. Cela m’irrite que ce Tribunal ait accepté une perte de pouvoir d’achat des 27 000 collaboratrices et collaborateurs : il n’ignore pas que l’entreprise appartient à la Confédération. Nous avons argumenté que la Confédération ne doit pas suivre la logique du marché dans de telles situations mais qu’elle doit agir de manière anticyclique. Cela aurait aussi donné un signe au reste de l’économie.

Nous avons parlé jusqu’ici des difficultés avec les CFF. Y a-t-il aussi des choses qui vont bien?

Effectivement, il y a des chantiers partout, nous nous efforçons de trouver des solutions. Il y a cependant quelques lueurs d’espoir, comme par exemple chez Lyria où nos exigences ont été bien entendues. Il est aussi positif que les CFF augmentent les effectifs aussi bien à l’accompagnement des trains qu’au personnel des locos. Je me réjouis aussi de constater que le recrutement enregistre une évolution positive parmi les membres actifs. J’en suis heureux. Je suis convaincu que nous aurons besoin de tous à l’avenir.

Interview : Peter Moor / sa