L'expérience de la résistance

Valérie Solano à la manif du personnel des TPG du 27 novembre 2014. (Photo: Henriette Schaffter)

«Oui, je suis gréviste», a dit cette fine femme brune, d’une voix douce et posée. Elle est mon image de la grève du 19 novembre aux TPG. Tellement loin des rugissements et des imprécations, tellement éloignée des accusations d’une grève ignoble et injustifiée brandies par les ténors de la politique. Une décision portée avec responsabilité et humilité. Nous partagions ensuite un café dans la très relative chaleur de la salle de pause, l’aube ressemblait encore à une trouée dans la brume, elle me disait que sa décision n’était pas arrêtée alors qu’elle venait prendre son service. «Et puis, je me suis dit que nous faisions notre travail, pour les gens qui prennent tous les jours les bus, que nous faisons le mieux possible et que ce n’est pas facile. Alors nous annoncer des licenciements, ce n’était pas acceptable.»

Puis, la ville entière s’est mise à marcher, il y avait dans la brume du matin des écoliers et des messieurs en costard, des fillettes en groupe et des poussettes, des vélos et, bien sûr, les voitures... Dans les dépôts des véhicules des TPG, on discutait, on faisait des assemblées, des gens venaient parler un moment, poser des questions, les journalistes interrogeaient les employés, une dame portant un panneau «usagère solidaire» est venue signifier son soutien avec chaleur et émotion... Quand je suis rentrée tard dans la nuit, j’ai pensé que ce moment avait été précieux et nécessaire. C’est si rare de pouvoir dire «nous». C’est trop rare que rien ne dérape, rare que les choses soient dignes d’un bout à l’autre, rare de pouvoir se dire que ce que l’on a fait était respectueux et plein de sens.

Beaucoup se sont syndiqués ce jour-là, des jeunes gens pour qui «nous» n’avait pas beaucoup de sens, mais en défendant leur emploi et surtout celui de leur collègue, ils ont ressenti leur force mise en commun. Et pour une fois, la vie était plus puissante que dans les films, plus vraie qu’à la TV, plus grande que chacun de nous.

Est-ce donc ce moment précieux et digne où les employés des TPG ont manifesté ensemble leur existence qui a fâché tant de ces gens qui squattent les médias? Etait-ce si insupportable de se souvenir qu’il y a des ouvriers? Etait-ce si intolérable de constater que les coupes budgétaires ce sont des emplois en moins et des prestations que les usagers ne pourront plus que pleurer? Etait-ce si dangereux que l’injustice grandissante de notre société trouva des résistants?

Au moment de décider de ne pas faire grève à nouveau, deux semaines plus tard, quand l’accord trouvé mettait chacun à l’abri de l’arbitraire des licenciements pour quatre ans, le vote pour reprendre le travail était aussi digne. Il remettait le quotidien au centre des vies, il nous faisait tous revenir à l’usure des jours, à nos problèmes redevenus individuels. Cependant, en chacun, s’était faite l’expérience immense et inaltérable de la résistance. Qui persiste! 

Valérie Solano, secrétaire syndicale SEV