| Actualité / journal SEV

L’Union européenne veut renforcer la capacité concurrentielle du rail face à la route, mais elle risque de miser sur de faux instruments

Une refonte du 1er paquet ferroviaire qui va trop loin

La Commission européenne a préparé une refonte du 1er paquet ferroviaire. L’objectif déclaré est d’améliorer le fonctionnement du marché ferroviaire. Mais le projet de refonte va plus loin: il prévoit une séparation complète entre les entreprises de transport ferroviaires et l’infrastructure, ainsi qu’une grande partie des services ferroviaires. Si de telles mesures sont acceptées par le législateur de l’Union européenne (UE), le système intégré du rail serait cassé et le transport voyageurs interne serait quant à lui totalement libéralisé.

Giorgio Tuti, président du SEV et membre de la commission exécutive d'ETF, discute dans le hall de la gare de Berne avec une usagère du rail à l'occasion de l'action du SEV de ce mardi 8 novembre.

La Commission européenne veut réviser les trois directives de son premier paquet ferroviaire (voir encadré ci-dessous) et les refondre en une seule directive. La raison invoquée est que le but du 1er paquet ferroviaire n’a pas encore été atteint ou pas encore suffisamment, c’est-à-dire de revigorer le rail en Europe, après son déclin à la fin du siècle dernier, et de le rendre à nouveau plus attractif et plus concurrentiel par rapport aux trafics routiers et aériens, plus nuisibles à l’environnement, afin qu’à nouveau plus de voyageurs et de marchandises soient transportées par le rail. «Grâce à l’efficacité énergétique supérieure du trafic ferroviaire (avant tout en comparaison du trafic routier), un transfert de la route au rail signifie une prestation avec moins d’émissions de CO2 et d’autres substances nocives», écrit la Commission européenne dans son projet de directive du 17 septembre 2010. Toutefois, comme le constate la Commission européenne, la part de marché du rail dans le marché d’ensemble des transports a stagné ces dernières années. Dans de nombreux pays, les entreprises de transport ferroviaires n’ont pas suivi le rythme des autres modes de transport et n’attirent pas les investissements. La Commission européenne cite trois raisons pour cela:

(a) Dans beaucoup d’Etats membres, on investit encore trop peu dans l’extension et dans la maintenance de l’infrastructure ferroviaire, la qualité de celle-ci est même en recul dans un certain nombre de pays. Pour la Commission européenne, cela est dû en partie au fait qu’il n’y a pas de plans d’investissement clairs et de stratégies à long terme.

(b) La concurrence entre les entreprises de transport ferroviaires ne joue pas encore correctement selon la Commission européenne: les entreprises de transport ferroviaires nouvelles sont handicapées par des discriminations dans l’accès à l’infrastructure (à propos de l’attribution et du prix des sillons), mais aussi dans l’accès aux installations de service liées aux activités ferroviaires qui se trouvent souvent en mains d’entreprises de transport ferroviaires établies: gares de triage, terminaux, ateliers de maintenance, gares, installations d’approvisionnement pour la traction électrique, etc. La Commission européenne voit aussi les conditions de marché opaques et un cadre institutionnel fonctionnant mal comme d’autres entraves à la concurrence.

(c) Pour la Commission européenne, il manque aussi une surveillance convenable des organes de régulation car ceux-ci sont trop peu indépendants, dans bien des cas, d’entreprises de transport ferroviaires établies, de gestionnaires d’infrastructure ou d’un ministère qui a autorité de propriétaire sur des entreprises de transport ferroviaires et/ou sur des gestionnaires d’infrastructure. Il manque aussi souvent du personnel qualifié et d’autres ressources à ces organes de régulation.

Selon la Commission européenne, ces anomalies sont dues au fait que certains Etats membres n’ont pas correctement appliquer les directives du 1er paquet ferroviaire ou l’ont fait de manière incomplète. La Commission européenne a engagé contre de tels Etats des procédures pour infractions au traité, afin de faire appliquer les prescriptions légales.

Les propositions de la Commission européenne

La seconde cause de ces anomalies, la Commission européenne la voit dans «les insuffisances, les imprécisions et les lacunes» des directives en vigueur. Son projet pour une nouvelle directive destinée à y remédier prévoit principalement les modifications suivantes :

  • les Etats doivent à moyen et à long terme rendre publique leur stratégie de développement et de financement de leur infrastructure ferroviaire;
  • les entreprises ferroviaires doivent effectuer une séparation stricte de leurs divisions, aussi bien au niveau comptable, juridique qu’organisationnel;
  • les services ferroviaires (par exemple les gares pour le trafic voyageurs) doivent être indépendants des opérateurs ferroviaires tant du point de vue comptable, juridique qu’organisationnel;
  • les règlements et les conditions d’utilisation de l’infrastructure et des services ferroviaires doivent être clairs et publiquement publiés, via l’Agence ferroviaire européenne, de manière totalement transparente;
  • l'accès à l’infrastructure ferroviaire doit être possible pour toutes les entreprises de transport ferroviaires;
  • les organismes de règlementation doivent être indépendants de toute autorité publique et les gestionnaires de l’infrastructure doivent ouvrir de manière transparente leur livres de comptabilité;
  • en cas de grève, instaurer l’obligation d’un service minimum.

De plus, le 17 septembre 2010, la Commission européenne avait annoncé qu’elle avait l’intention de présenter, d’ici fin 2012, un projet législatif en vue de libéraliser le transport voyageurs interne.

La Commission des transports demande une séparation complète de l’infrastructure

Le sort de la refonte du premier paquet ferroviaire est maintenant dans les mains du Conseil des ministres et du Parlement européen. Ce dernier traitera ce sujet lors de sa séance plénière qui se déroulera la semaine prochaine. La Commission des transports proposera les amendements suivants :

  • réduction de l’obligation d’un service minimum en cas de grève;
  • les services ferroviaires ne doivent pas être juridiquement séparés;
  • les exploitants de l’infrastructure doivent engager leur propre personnel et doivent disposer de leur propre système informatique, sinon ils ne seront pas à même de pouvoir développer des synergies avec d’autres exploitants d’infrastructures ferroviaires;
  • créer une autorité de régulation européenne;
  • demander la séparation complète entre l’infrastructure et les entreprises de transport ferroviaires;
  • demander la libéralisation du transport voyageurs interne (comme demandé par la Commission européenne).

Ministres plus modérés

Il est piquant de relever que le Conseil des ministres de l’Union européenne n’exige ni une séparation complète entre l’infrastructure et les entreprises de transport ferroviaires, ni une libéralisation du transport des personnes interne. Ce même Conseil des ministres n’est également pas favorable à l’obligation d’instaurer un service minimum en cas de grève. Ce sera probablement en décembre que le Conseil des ministres fera part de ses décisions.

Fi

Incendie dans le tunnel du Simplon : des responsabilités difficiles à déterminer

L'incendie survenu le 9 juin dernier dans le tunnel du Simplon démontre à quel point c'est compliqué de déterminer des responsabilités dans un contexte libéralisé du transport marchandises sur rail.

Le 9 juin 2011, un incendie a touché 10 des 15 wagons chargés de matériaux de construction et d'aménagement immobilier couverts par des bâches. Le train était parti du terminal de Novara-Boschetto (I) et il devait atteindre le port de Rostock (D). L'incendie est survenu lorsque le convoi traversait le tunnel du Simplon. Walter Kobelt, chef du Service fédéral d'enquête sur les accidents des transports publics (SEA), avait déclaré qu'il était peu probable que l'état du matériel roulant soit la cause de l'incendie. Les wagons appartenaient à la compagnie internationale de location AAE mais ils étaient immatriculés en Allemagne et en Hollande. L'enquête s'est donc concentrée sur la bâche du 6e wagon du convoi qui a été à l'origine de l'incendie. La bâche se serait décrochée, touchant la ligne de contact. Le SEA a donc transmis son rapport aux autorités italiennes, puisque l'accident est survenu sur la partie italienne du tunnel, mais l'infrastructure ferroviaire appartient aux CFF. Les dégâts ont été estimés à 12 millions de francs. Qui paie? Les responsabilités peuvent être partagées: Le terminal de Novare ou le convoi a été préparé? Le BLS Cargo SA qui avait la charge de tracter ce convoi? Le propriétaire de la bâche? La compagnie AAE propriétaire des wagons? Pour l'heure les autorités italiennes n'ont pas encore statué qui portait la responsabilité de l'incendie. L'enquête sur les causes est toujours en cours.

Relevons que la partie incendiée a provoqué la fermeture d'un quart du tunnel (avec le double tunnel, les trains peuvent changer de tube au milieu). La réouverture complète du tunnel aura lieu le 18 novembre prochain. Dès le printemps prochain des travaux d'assainissement complet des deux tubes seront entrepris (ces travaux avaient été programmés avant l'incendie dans le but d'améliorer la capacité et la sécurité du tunnel).

Fi/AC

L’infrastructure helvétique analysée par un groupe d'experts

En octobre 2010, le conseiller fédéral Moritz Leuenberger a chargé un groupe d’experts indépendants présidé par Paul Blumenthal, ancien directeur de la Division CFF Voyageurs, de faire des propositions en vue d’une nouvelle organisation de l’infrastructure ferroviaire de notre pays. Le groupe d’experts a pour mission de présenter «un modèle adapté aux besoins de la Suisse, compatible avec l’UE, conçu pour une entreprise et judicieux en termes de transport afin d’assurer un accès non discriminatoire au réseau (service d’attribution des sillons / organisation de l’infrastructure de transport)».

Selon la planification actuelle, l’OFT établira un projet à mettre en consultation, une fois le rapport disponible au second semestre 2012. La consultation aura lieu au printemps 2013.

Fi