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En lançant son initiative, l’USS veut apporter une réponse à un problème urgent

Salaires minimums, maintenant

C’est parti ! L’Union syndicale suisse (USS) a lancé l’initiative populaire fédérale pour un salaire minimum. Toute personne qui travaille à plein temps doit gagner suffisamment pour subvenir à ses besoins. Malheureusement, cela n’est pas le cas pour tout le monde : 400 000 personnes reçoivent des salaires de misère qui les poussent aux limites de la pauvreté. Inacceptable dans un pays aussi riche que la Suisse.

400 000 personnes reçoivent des salaires de misère qui les poussent aux limites de la pauvreté. Inacceptable dans un pays aussi riche que la Suisse.

Vivre dans la dignité. C’est ce que demande l’USS pour tous les travailleurs. L’initiative sur le salaire minimum vise à atteindre ce but. Dans cette interview, nous avons recueilli l’avis de l’économiste tessinois Silvano Toppi.

contact.sev : Dans le monde du travail, le salaire est une composante primordiale. Quel est votre point de vue sur le principe d’un salaire minimum ?

Silvano Toppi : C’est sûr, le salaire est très important, mais ce n’est pas tout. Attention de ne pas tomber dans la logique de l’actuelle économie de marché qui réduit le travail au seul facteur coût. Ce serait quelque part appauvrir la valeur du travail. Le principe du salaire minimum inscrit dans la Constitution, je le vois aussi comme une tentative de récupération d’un droit élémentaire : celui du partage des richesses.

Le salaire minimum, une pratique très répandue en Europe

Le salaire minimum réglé par la loi est une réalité dans la plupart des pays. Il existe aux Etats-Unis, en Australie et il est inscrit dans la loi de 20 pays de l’Union européenne, excepté l’Italie, l’Allemagne, le Danemark et les pays scandinaves. Ce n’est pas par hasard que ces pays ne sont pas dotés d’un salaire minimum légal. C’est lié à leur évolution historique et sociale. En Italie et en Allemagne, par exemple, ce sont les négociations contractuelles et le poids politique des syndicats qui prévalent.

Les premiers pays à avoir introduit le salaire minimum ont été la Hollande (1969) et la France (1970). Sur la base des données Eurostat 2009, les pays européens à avoir réglementé le salaire minimum par voie législative sont : Belgique, Bulgarie, République tchèque, Estonie, Irlande, Grèce, Espagne, France, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Hongrie, Malte, Hollande, Pologne, Portugal, Roumanie, Slovénie, Slovaquie et Grande-Bretagne. Le salaire minimum est en vigueur également en Autriche, mais il est le fruit de négociations entre les partenaires sociaux.

Les montants des salaires minimaux varient d’un pays à l’autre. Ils sont calculés sur la base des conditions économiques, sociales et du marché du travail. En 2009, le Luxembourg se trouvait en tête du peloton (1641 euros par mois), suivi par l’Irlande (1462), la Belgique (1387), la Hollande (1382), la France (1321), la Grande-Bretagne (1010). Ces salaires minimaux se situent dans une fourchette de 30 à 70 % du salaire moyen.

Comment peut-on quantifier un salaire minimum ?

Le salaire a un prix. Pour fixer ce prix, il faut tenir compte d’éléments aussi divers que la technologie (qui peut se substituer au travail humain), de la globalisation (délocalisations), des besoins des propriétaires, du marché, etc. Le salaire a donc un coût que la logique du marché libéralisé cherche à réduire. Le texte de l’initiative veut faire comprendre que le travail ne peut pas être réduit à son seul coût. Le salaire est la source de revenu de la majorité des gens. Donc, il est le principal moteur de l’économie (consommation). Le salaire permet de vivre en société ; d’acquérir un statut social ; d’échafauder un minimum de projets pour soi et pour sa famille. Un salaire doit permettre à celui qui le reçoit de vivre décemment dans la société et doit pouvoir tenir compte de l’environnement dans lequel le salarié et sa famille vivent. Je ne nie pas que c’est difficile de déterminer à quelle hauteur il faut fixer le salaire minimum. Néanmoins, le salaire minimum ne peut pas être la seule source de revenu. Il faut le combiner avec d’autres mécanismes sociaux (indemnités, allocations familiales, par exemple).

Durant les années passées, au niveau des syndicats européens, le débat a été vif. Certains soutenant que le salaire est une affaire qui se négocie exclusivement entre partenaires sociaux. Qu’en pensez-vous ?

Je suis d’avis que les négo ciations des conventions collectives de travail, même si parfois elles sont conflictuelles, sont l’instrument le plus efficace pour obtenir un résultat et pour que ce résultat soit appliqué. Mais la nécessité de recourir à un salaire minimal s’explique pour deux raisons : avant tout, nous sommes forcés de constater que le pouvoir des syndicats a globalement diminué (donc diminution de son poids lors des négociations contractuelles), surtout lorsque les employeurs invoquent la paix du travail et la concurrence internationale. Deuxième raison, quoi que l’on veuille bien dire, de nombreux working poor ont été abandonnés à leur propre sort parce qu’ils ne bénéficient pas d’une convention collective de travail ou parce qu’on leur a imposé une convention d’entreprise faible (pas seulement dans le secteur de la vente). C’est pour ces deux raisons qu’un salaire minimum, défini et réglementé de l’extérieur, sera une protection pour ne pas glisser toujours plus bas.

Sur le marché du travail suisse, quels peuvent être les principaux avantages et les principaux inconvénients d’une telle mesure ?

L’avantage est certainement celui d’avoir une référence inscrite dans la Constitution qui ne se limite pas uniquement à des chiffres. Le désavantage, c’est de nous trouver opposés à un axiome néolibéral fortement ancré dans les mentalités : moins le travail est réglementé, plus il y a de travail (mais à quelles conditions ?) et donc moins de chômage. Axiome qui peut provoquer deux réactions dont on doit tenir compte : en premier lieu, considérer le salaire minimum comme une sorte d’indicateur officiel qui permet d’aligner les salaires sur ou juste audessus des salaires minimums (surtout pour les travaux les moins qualifiés, dans les secteurs des services, de la vente, la restauration, sanitaire, etc.) ; ensuite, renoncer à la création de postes de travail qui ne sont pas rentables s’ils sont alignés sur le salaire minimum fixé par la loi.

Selon vous, un salaire minimum risque-t-il de favoriser le travail au noir ?

Je ne le crois pas. Mais s’il n’y a pas de contrôles stricts (probablement que les syndicats auront là un rôle essentiel à jouer), c’est le contraire qui risque d’arriver. Du moins au vu de la situation actuelle du marché du travail.

Quel impact le salaire minimum pourrait-il avoir sur la politique contractuelle en Suisse ?

Ce sera un instrument de référence, surtout là où l’on ne respecte pas les droits des travailleurs à cause de l’absence ou de l’exclusion des syndicats ou bien à cause du laxisme des organes publics de surveillance. Je me permets d’ajouter que le syndicat ne devrait pas penser que l’éventuelle introduction du salaire minimum le dispense d’exiger un juste partage de la richesse créée dans notre pays ; car la part de la richesse qui sert à rémunérer le travail a continué à baisser durant les dernières vingt-cinq années, au profit de la rémunération du capital.

Pour contrecarrer le phénomène des working poor, est-ce que le salaire minimum est un instrument suffisant ?

Je ne crois pas que le salaire minimum soit un instrument suffisant pour réduire le phénomène des working poor, mais peut-être qu’il pourra l’atténuer. Aussi parce que la pauvreté n’est pas qu’un problème salarial.

Comment jugez-vous la proposition de fixer le salaire minimal légal obligatoire à 22 francs de l’heure (4000 francs par mois pour 42 heures hebdomadaire), régulièrement indexé au renchérissement, valable pour tous les travailleurs ?

Ce texte doit être soutenu, même s’il y a le risque de se bloquer sur ces 4000 francs.

Selon vous, quels devraient être les arguments qu’il faudrait mettre en avant lors de la récolte de signatures de l’initiative populaire ?

Premièrement : la nécessaire revalorisation du travail qui a été petit à petit dévalorisé durant ce dernier quart de siècle au profit de la rentabilité des capitaux (ce n’est pas moi qui le dis, mais la très officielle Organisation pour la Coopération et le Développement Economiques (OCDE), ainsi que de récentes études publiées en Suisse). Deuxièmement : si l’on veut continuer à croire que le salut réside dans la croissance de la bulle financière, soyons cohérents et rendons-nous compte, avec un minimum de logique économique, que sans redistribution du revenu du travail et en continuant à considérer le travail uniquement comme un facteur de coût qu’il faut comprimer à tout prix, on n’ira pas loin. C’est ce qui est en train de se passer dans divers pays européens où les travailleurs doivent supporter les dettes laissées par le monde financier.

Françoise Gehring/AC