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Franz Steinegger dirige la table ronde de Bellinzone et est président de la VAP

« Le trafic marchandises par rail est nécessaire »

Le trafic marchandises interne a besoin de meilleures conditions-cadre, car sinon CFF Cargo ne pourra pas couvrir ses frais en l’exploitant. Ce sont les mots de Franz Steinegger, président de la VAP, association qui représente les intérêts des utilisateurs privés du trafic marchandises. En tant qu’animateur de la table ronde pour les Ateliers de Bellinzone, il s’engage également pour d’autres mesures destinées à rétablir la confiance.

« Il n’y a pas simplement les bons d’un côté et les mauvais de l’autre » : Franz Steinegger dans son cabinet d’avocat à Altdorf.

contact.sev: Vous êtes président de la VAP, à savoir les clients du trafic marchandises. Quelles sont vos priorités ?

Franz Steinegger: Nous essayons d’améliorer les conditions-cadre pour le trafic marchandises par rail en Suisse, car nous sommes convaincus qu’elles se sont empirées.

Dans sa réponse à la consultation sur le financement ferroviaire, la VAP souligne l’importance équivalente du rail et de la route : comment ces deux modes « cohabiteront » à l’avenir selon vous ?

Nos membres sont aussi bien des clients du rail que de la route. Même celui qui possède sa propre voie de raccordement utilise la route à un moment donné. Nos membres estiment avoir besoin des deux offres. Nous estimons qu’une offre dans le trafic marchandises sur rail est nécessaire en Suisse.

CFF Cargo n’arrive pas à s’en sortir. Qu’est-ce qui cloche ?

Au niveau de l’entreprise, il y a encore quelques améliorations possibles, mais pour la défense de CFF Cargo, il faut avouer qu’elle n’a pas vraiment de bonnes conditions- cadre pour avancer. Nous parlons continuellement du transfert du trafic marchandises, mais dans les faits, on se focalise complètement sur le corridor nordsud. Il est favorisé, le trafic entre l’Allemagne et l’Italie est hautement subventionné, même en partie par le trafic marchandises suisse.

D’autres préoccupations ?

Le réseau ferroviaire suisse est utilisé de façon intensive. C’est réjouissant, mais il y a toujours moins de place pour le trafic marchandises. Les priorités sont les suivantes : le trafic longues distances tout d’abord, qui est rentable pour les CFF, puis le trafic régional, sur lequel les cantons ont un gros pouvoir. Le trafic marchandises doit toujours attendre qu’un sillon soit disponible. Entre la Suisse orientale et la Suisse occidentale, c’est très difficile en raison du goulet d’étranglement d’Oerlikon.

Info

Franz Steinegger, 68 ans, est un avocat ayant son cabinet à Altdorf. De 1980 à 2003, il a été membre du Conseil national, de 1989 à 2001, il a présidé le PLR.

Il est président de l’Association suisse des propriétaires d’embranchements particuliers et de wagons privés (VAP). En 2008, il a reçu le mandat de diriger la table ronde mise en place après la grève dans les ateliers industriels de Bellinzone, par le Conseiller fédéral Moritz Leuenberger.

Y a-t-il d’autres désavantages ?

En plus, le trafic marchandises paie trop pour l’utilisation du réseau. Le prix des sillons dépend des kilomètres- tonnes et cela le touche bien sûr fortement, lui qui participe également financièrement aux installations de sécurité pour le trafic à haute vitesse, qui devrait pourtant clairement toucher davantage le domaine Voyageurs. En résumé : contrairement à certaines déclarations, le trafic marchandises en Suisse ne bénéficie pas de conditions- cadre optimales.

Le transfert demandé par l’initiative des Alpes est également valable pour le trafic interne. Je me trompe ou le Parlement essaie à tout prix d’éviter ce sujet ?

Effectivement ! Lorsque je parle avec des parlementaires, je remarque qu’ils ne s’en rendent pas compte. Depuis cinq ans, nous luttons pour que ne soit pas seul considéré, en Suisse, le trafic de transit. On devrait expliquer l’article sur la protection des Alpes en invoquant son importance écologique. La charge par le trafic de marchandises doit être stabilisée ou même réduite. Cela ne suffit pas, et je le dis même en tant qu’uranais, d’atteindre les objectifs sur l’axe nord-sud, si sur les autres axes, c’est le contraire qui se passe. Il faut une vue d’ensemble.

CFF Cargo ne fait donc pas tant d’erreurs ?

Ils se sont déjà mis des auto-goals par le passé, oui. Est-ce que c’était vraiment toujours des erreurs de CFF Cargo ? Je ne peux pas juger, mais ils se sont trop longtemps considérés comme une entreprise uniquement de traction et non pas comme une entreprise offrant des prestations générales de transport. Les Allemands ont fait mieux à ce sujet.

Il y a quelques années, il a été décidé que les CFF allaient s’occuper seuls du trafic marchandises interne. Avec le recul : est-ce que c’était une erreur, la concurrence n’aurait- elle pas été une meilleure solution ?

Dans certains domaines, il y a concurrence, les trains complets peuvent être attribués librement par exemple. Le monopole n’est valable que dans le trafic réseau, le trafic lié au chargement des wagons. De notre côté, celui des privés, nous sommes intéressés par le trafic réseau, car sinon nous ne pourrions peut-être utiliser nos voies de raccordement plus qu’à un quart de leurs possibilités. Pour rentabiliser les investissements consentis par les chargeurs privés, nous avons besoin d’un trafic réseau. Là, il faut un véritable monopole.

CFF Cargo n’arrive pas à rendre ce trafic réseau indépendant financièrement. Est-ce qu’il faut des subventions ou y a -t-il encore une marge de manoeuvre au niveau des prix ?

Nous ne voyons plus de marge au niveau des prix, car la route est devenue efficace, au travers de la RPLP notamment. Je n’imagine pas non plus qu’on subventionne certaines formes de transport. On doit faire les investissements nécessaires afin de pouvoir travailler de manière efficace sur le réseau. Un exemple : dans le trafic est-ouest, le train roule plus vite et les signaux pour les voies de raccordement doivent être adaptés. On attend en partie que le propriétaire de la voie paie ces frais-là, mais le vrai déclencheur de ces coûts est le trafic longues distances. Cela doit donc être financé différemment. On doit créer les bases pour que CFF Cargo et en partie également d’autres prestataires du trafic marchandises, puissent travailler de manière plus efficace.

Avec suffisamment de tracés disponibles et des installations en ordre, ce trafic devrait alors être rentable ?

Il devrait, effectivement !

En tant que dirigeant de la table ronde sur les Ateliers de Bellinzone, vous avez un second angle de vue sur les CFF. Votre vision est-elle la même des deux côtés ?

Certaines connaissances du trafic marchandises m’ont aidé dans ma tâche à Bellinzone. Et certaines expériences rencontrées dans ce mandat m’ont aidé dans mon travail de président de la VAP. J’ai également « plongé » dans l’histoire de CFF Cargo. On pensait au départ qu’il y avait uniquement un « problème Bellinzone » mais finalement, c’était un problème annexe. Cela m’a montré, ainsi qu’à d’autres partenaires, que la séparation nette entre Cargo et le Trafic Voyageurs jusqu’aux locomotives et outils d’entretien était chose exagérée. Aujourd’hui tout l’entretien des véhicules est au sein du trafic voyageurs et l’efficacité a été démontrée.

Qu’est-ce qui vous a motivé dans cette tâche de médiateur ?

Bellinzone avait besoin d’un forum de discussion afin de rétablir la confiance. Cela a pris du temps pour savoir où était le problème au niveau entreprise et exploitation. Il fallait une nouvelle organisation, sans morcellement comme cela était prévu. Il fallait aussi que le personnel soit prêt à augmenter la productivité de 10 pour cent.

Où en est-on actuellement ?

La tragédie de Viareggio a motivé toutes les compagnies à intensifier l’entretien des véhicules : cela a amené nombre de mandats à Bellinzone. Ils sont bien occupés, également dans l’entretien des locomotives, et aussi par des mandats privés. Cela signifie qu’ils ont le savoirfaire et les installations pour effectuer ces travaux. Imaginer tout concentrer à Yverdon était une idée très discutable.

Vous avez répondu très objectivement. Mais qu’avez-vous amené en tant que personne ?

On ne peut résoudre un conflit qu’en tenant compte des deux parties. Aux CFF, on pensait d’abord que les gens de Bellinzone n’étaient que des râleurs. Il fallait amener l’idée qu’il s’agissait d’un problème objectif. J’ai dû faire en sorte que les deux parties se prennent au sérieux, sans préjugés et sans penser qu’il y a les bons d’un côté et les mauvais de l’autre.

C’était aussi une question totalement philosophique : d’un côté le personnel qui voulait que tout soit décidé de façon démocratique par la base et l’entreprise qui prépare les décisions derrière des portes closes.

Ce conflit a encore des répercussions. Le côté syndical, ceux qui font le poing et qui veulent gérer la chose de façon communautaire sont encore présents. Mais on ne peut pas gérer une entreprise en faisant prendre les décisions par la base. Entretemps, on a accepté qu’il fallait une direction entrepreneuriale mais on veut discuter de certaines questions de haut niveau. Les CFF ont maintenant accepté qu’une plate-forme institutionnalisée continue à exister. Une fois par an (plus si nécessaire) nous menons une table ronde, avec des cadres du deuxième niveau hiérarchique minimum et le personnel, qui peut exprimer ses inquiétudes et obtient des réponses en retour.

Etes-vous confiant en l’avenir ?

Il y a encore une problématique dans le cadre de Bellinzone, mais également dans d’autres lieux. Ce sont les filiales CFF qui travaillent également pour des tiers : on n’a pas encore trouvé l’organisation optimale. Elles auraient besoin de plus d’autonomie que celles qui travaillent exclusivement pour les CFF.

Interview: Peter Moor/Hes